…Où Mucius vous explique comment jouer sans se prendre la tête avec l’argent, à des jeux ou, généralement, le butin est à la fois l’une des motivations principales, la récompense la plus courante, et le marchandage un passage obligé. La pénurie de ressources, c’est important pour certaines histoires, mais on la subit assez dans la vraie vie pour ne pas toujours vouloir qu’elle soit un élément de nos jeux, non ?
C’est ma faute, ma très grande faute… Mea culpa, méat coule plus. J’ai écrit naïvement un article sur l’économie dans les JdR et un autre sur la démographie médiévale fantastique, qui parlaient de mise en perspective, de flux de richesses et de ressources, de salaires moyens, de fluctuations des prix, de réseaux commerciaux, et ainsi de suite. Le premier vous expliquait même précisément comment rendre les histoires d’argent plus intéressantes et faire varier les prix.
J’étais à deux doigts de vous proposer des idées de scénarios qui jouent sur l’économie… un marchand qui affame une ville de certaines denrées pour les vendre à meilleur prix, des caravaniers qui spéculent sur l’importation commettant un délit d’initié sur le dos des paysans, un noble qui n’a théoriquement pas le droit de faire du commerce mais qui commandite un maître de guilde en investissant dans ses entreprises commerciales…
Il est facile de prendre cela pour l’admission, à demi-mot, que, puisque les épisodes « shopping » de vos aventures n’ont pas à être ennuyeux ou dépourvus d’événements, il est indispensable de les jouer. Rien n’est plus faux.
Premièrement, vous n’avez pas besoin de jouer ce que vous ne voulez pas jouer, et ma parole est loin d’être divine en la matière… Tout ce que j’ai toujours fait, c’est agrandir votre palette en tant que MJ. Tout ce que je fais ici, c’est proposer des alternatives, et vous dire que vous pouviez jouer autrement ou continuer à jouer comme avant… mais, dés lors, en connaissance de cause, et en comprenant mieux ce que vous aimez ou pas.
Deuxièmement, il y a vraiment des gens qui ont en horreur le fait de jouer le marchandage. Peut-être parce qu’il y a parfois cette mentalité que l’argent est sale, ou que l’on joue à un JdR pour s’éloigner d’une réalité dans laquelle l’argent, qu’il manque ou non, est une préoccupation sérieuse. Il y a des gens qui n’aiment pas marchander, ce n’est pas inscrit dans la culture occidentale… la peur de manquer ou de se faire avoir est anxiogène pour certains.
Et puis d’aucuns associent cela à deux choses : d’abord le côté jeu vidéo, ou l’on transfère de manière comique des douzaines d’épées courtes identiques qui tiennent miraculeusement dans un sac à dos avant de cliquer sur le bouton « vendre » permettant de courir de nouveau à pleine vitesse et d’acheter des objets magiques. Ensuite, le fait que c’est une étape fastidieuse que certains joueurs font durer et qui semble empêcher le groupe de passer à l’aventure suivante.
L’activité peut sembler un « entre-deux » parce qu’elle est souvent présentée comme telle alors qu’elle donne lieu à de grands moments de roleplay et a son importance. Elle a pourtant une compétence à soi dans la plupart des jeux, comme « marchandage » et « comptabilité » dans l’Appel de Cthulhu, « estimation » dans Pathfinder, « finances » dans le Monde des Ténèbres, en plus du sacro-saint duo de persuasion/diplomatie/baratin et intuition/empathie/psychologie.
Mais il se peut que votre groupe n’ait absolument pas investi dans ces compétences spécifiques, n’ait pas de Roublard, bref, ne s’intéresse pas à ce genre de chose. Comment faire pour préserver la vraisemblance ET ne jamais en passer par la case « finances » dans un monde qui se veut un tant soit peu réaliste, dans lequel tout le monde a besoin d’argent pour subsister, et dans lequel l’argent est la principale raison pour laquelle un « pauvre paysan » s’en va « chercher fortune » ?
Je l’ai déjà dit dans mon article sur l’économie, elle est déjà malmenée, la vraisemblance ! Le fait que le monde entier ait pour monnaie unique la « pièce d’or » et qu’il en existe a priori des millions en circulations pour permettre l’achat d’objets d’une valeur de centaines de milliers de pièces d’or alors que le salaire annuel d’un paysan oscille, selon les univers, entre une et dix de ces fameuses pièces, c’est d’un ridicule achevé. Et je vous avais expliqué comment remédier à cela.
Je vous avais même expliqué comment éviter de donner des récompenses systématiquement monétaires à vos joueurs (récompenses en nature, titres, objets, maisons, le fait que les monstres n’ont pas de boulangerie dans le coin, pas d’économie basée là-dessus, donc pas moyen de dépenser leurs pièces d’or et aucune raison de le faire, donc aucune raison de se trimballer avec ça dans les poches ou de les voler aux gens) …
Mais l’argent semble rester le « nerf de la guerre » pour la plupart des jeux, qu’il s’agisse de médiéval fantastique (les PO de D&D et Pathfinder), de space opéra (les crédits républicains de Star Wars), ou, surtout, de jeux contemporains ou historiques (l’Appel de Cthulhu notamment). Comment, donc, s’épargner la corvée pécuniaire dans ces jeux mainstream ? Plusieurs solutions s’offrent à vous, certaines plus évidentes que d’autres.
Mettre vos PJs à l’abri du besoin
Mettez-vous d’accord avec vos PJs afin de créer un groupe de riches, de nobles, ou au moins de grands bourgeois, ou qu’au moins l’un des membres du groupes possède les ressources suffisantes pour acheter sans même y penser tous les objets de type courant dont le groupe pourrait avoir besoin. Un noble barde ou paladin, dans D&D, fait très bien l’affaire. C’est à cela que sert le Dilettante de l’Appel de Cthulhu. Cela facilite les choses et permet de passer à la suite de l’aventure.
Le problème de la vente dans un univers médiéval sera réglé : les personnages n’auront plus aucun besoin de s’adonner à la morbide et immorale activité consistant à piller les cadavres pour vendre le butin, simplement de récupérer les rares objets remarquables ou utiles. Le problème de l’achat aussi, puisqu’aucun marchandage ne sera nécessaire, et que ce seront probablement des serviteurs qui feront les courses.
Vous pourrez toutefois décréter à votre guise que certains biens et services (notamment rares ou magiques) sont indisponibles pour cause de pénurie ou parce que les PJs sont trop loin de la civilisation, selon les besoins du scénario… et, bien entendu, il n’y a pas de commerces de proximité ou d’hôtellerie dans un donjon. Vous pouvez même vous en sortir en ne mentionnant ni ne consultant jamais les prix de quoi que ce soit en dehors des objets peu communs. J’appelle ça le meilleur des deux mondes.
Plus difficile à mettre en place dans certains univers avec certaines thématiques, cette méthode limite aussi les joueurs dans la variété des personnages qu’ils peuvent incarner et supprime presque toujours le paiement comme motivation… comme toujours, mettez-vous d’accord avant.
Ne rien dire, ne rien faire
Méthode encore plus simple : l’ellipse. Je suis le premier à demander à ce qu’on abrège la partie « équipement » de mon personnage, et le dernier à faire chier mes joueurs en ce qui concerne les rations, le matériel de couchage et les ingrédients de sorts, le temps passé à aiguiser les armes, chasser, lever le camp… surtout passé le niveau 1 à D&D5. C’est comme aller faire pipi ! On n’en parle pas, on suppose que ça arrive, mais la caméra ne s’attarde pas dessus.
Il y a quelques mois, lors d’un one-shot du très bon jeu Numenéra (scénario par ailleurs complètement nul, mais passons), la table à laquelle je jouais se perdait en arguties sur le nombre de litres d’eau à emporter lorsque j’ai éclaté « peut-on passer, s’il vous plaît, à autre chose, et dire que nous achetons ce qu’il nous faut comme provisions pour le voyage, et puis voilà ? » … tout le monde a immédiatement accepté, d’autant que le temps de jeu était limité. Il faut savoir transiger.
Arrangez-vous pour que vos joueurs trouvent très peu d’or, ou que les sommes restent floues. Par exemple « le trésor du troll vous met à l’abri du besoin pour quelques temps », « vous revendez l’équipement des orques à un forgeron, principalement comme matière première, pour quelques deniers ». Vous laissez ainsi le loisir aux joueurs de, spontanément, s’attarder sur le moment des négociations s’ils le souhaitent, mais uniquement lorsqu’ils le souhaitent.
C’est une méthode qui convient très bien à tous les jeux, dans tous les univers, des PO de Pathfinder aux « Shins » de Numenéra en passant par les crédits des jeux de SF. Néanmoins, c’est aussi la plus problématique lorsque la monnaie devient importante en jeu, puisqu’on doit tout inventer sur le moment.
Tirer parti des simplifications
Méthode à mon avis la moins intéressante, elle fait fi de tous les conseils que j’ai donné sur l’économie auparavant : vous prenez le système tel qu’il est, parce que c’est plus simple. Tout le monde utilise des pièces d’or, il y en a toujours assez partout pour acheter et vendre tous les objets des tables d’inventaire (qui sont toujours présents), il n’y a pas de marchandage parce que les prix sont les mêmes partout (ou il se résume à un jet de compétence qui divise le prix par deux).
Les marchands qui ne sont pas importants pour l’histoire sont des PNJs « carton-pâte » qui n’ont même pas à être joués directement, les transactions se résument à l’aspect « jeu vidéo » de la chose… même si ça reste parfois un peu long quand il s’agit de négocier le trésor d’un village de gnolls ou de préparer une expédition en Egypte, avec une bonne calculatrice, ça reste plus rapide que de tout jouer, et ça vous évite de bosser pour dévier de ce qui se trouve dans le livre de règles.
Ces simplifications grossières ont été faites pour une bonne raison, et elles perdurent jusqu’à aujourd’hui pour cette même raison : elles sont éminemment pratiques. Peu de jeux Med Fan y ont dérogé, leur système n’ayant pas duré longtemps. Mais vous pourriez aussi tirer parti des simplifications qui ont cours dans d’autres jeux… d’aucuns gèrent l’argent bien différemment qu’avec les pièces d’or de D&D 5 et Pathfinder, ou même les dollars et les revenus moyens de l’Appel de Cthulhu.
Dans un jeu contemporain, il y a toujours des problèmes de monnaie et de conversion… encore que, à une certaine époque, jouer des Anglais impérialistes ou des Américains privilégiés garantissait d’avoir une monnaie acceptée partout. Il ne vous est donc pas impossible de laisser ces questions dans le flou.
La compétence « Ressources »
Dans les jeux qui comportent un système d’Atouts/Handicaps (ou Qualités/Défauts, ou autre) comme Vampire, Savage Worlds, Buffy, All Flesh Must Be Eaten, GURPS et autres, il y a presque systématiquement un Atout « Ressources » ou « Richesse » (et un handicap « Pauvreté ») dont le niveau donne au personnage une fortune conséquente et un blanc-seing pour se procurer tout ce qu’il désire jusqu’à un certain point à chaque scénario.
Acheter au quotidien, pour les PJs « non pauvres », se fait alors sans qu’on ait à y regarder de près ou tenir les comptes : boire un verre dans un bar et prendre le métro, ou se faire servir un repas à l’auberge, selon les univers. Dans Vampire, par exemple, il est admis que, sans cet Atout, chacun fait partie de la « classe moyenne ». En plus du système précédent, un gros achat se fait en sacrifiant jusqu’au prochain scénario un point de l’Atout « Ressources ».
Dans FATE, vous avez le loisir de posséder votre richesse sous forme d’Aspect, de Prouesse (semblable à un Atout), ou même de compétence. En effet, la compétence « ressources » existe, et se procurer quelque chose (si ce n’est pas commun, donc qu’il y a risque d’échec) nécessite un jet dans celle-ci. Un échec signifie que l’objet n’est pas disponible ou qu’il est trop cher. Je rappelle qu’à FATE le joueur peut toujours décréter qu’il réussit son jet, s’il est prêt à subir une conséquence proportionnée.
Avec un peu de travail, vous pourriez très bien modifier le système de D&D pour faire abstraction totale des prix et gérer l’achat d’objets courants avec une compétence de négociation, décrétant que tout ce qui est magique ne s’achète tout simplement pas, et qu’au-delà d’une valeur de quelques centaines de pièces d’or, on paie en gemmes ou par troc.
Méta-monnaie où je pense
Si grâce aux atouts et compétences « ressources » on a le moyen de détacher le jeu des soucis d’argent et de ne plus jamais parler de la monnaie ou même donner une somme précise, si tel est notre désir, en JdR, il y a des jeux un peu plus « ésotériques », dirons-nous, qui font complètement abstraction d’une quelconque monnaie dans leurs univers. Si la monnaie existe parfois, elle n’est tout simplement pas importante pour les personnages.
Dans un jeu comme Vampire, si l’argent est important pour certaines choses, il est tout à fait possible à un PJ de vivre dans es égouts, dans un squat ou un garde-meuble la journée, et de ne rien dépenser la nuit : un Vampire n’a pas besoin d’acheter sa nourriture, ni de chauffage, ni d’électricité, ni rien, en théorie. Dans Nobilis, les PJs sont des dieux mineurs qui n’ont pas besoin de se nourrir, habitent dans un sanctuaire ou tout leur est gratuit, et peuvent créer des objets à volonté.
Il existe aussi des jeux futuristes ou la monnaie n’existe pas, ou, en tout cas, l’économie est bien différente… Dans Eclipse Phase, plusieurs puissances ont plusieurs économies différentes, mais les PJs ont souvent tout ce qu’ils désirent du fait de l’abondance procurée par la technologie. Le fait de pouvoir se procurer quelque chose de rare (un objet d’art, une faveur, un corps différent à habiter…) dépend de la popularité et de l’entregent du personnage sur tel ou tel réseau informatique.
Dans l’univers de Star Trek et son JdR, le problème de l’équipement est résolu autrement : les PJs ont toujours l’équipement de base de leur « profession » dans Starfleet au début de la mission, et peuvent dépenser l’équivalent des « points de destin » du jeu (obtenus en réussissant des jets au-delà du seuil nécessaire) pour décréter qu’ils ont emporté tel ou tel appareil.
Pas de système, bon système ?
Un mot, enfin, des jeux qui n’ont vraiment PAS de système pour l’acquisition de biens et services. Faisant souvent partie de ceux que l’on dit « narratifs » ou « narrativistes », ils mettent, tout comme FATE dans une moindre mesure, l’acquisition de bien comme, en gros, le sort des personnages, entre les mains des joueurs. S’ils n’ont pas de système de monnaie, ce n’est pas que la monnaie n’existe pas… c’est que l’objectif du jeu, la récompense et la motivation du joueur, ne sont pas là.
Ces jeux sont détachés de la vision colonialiste de la progression « à la D&D », ou, même si l’acquisition est une motivation pour certains personnages, elle est complètement détachée de la motivation du joueur, qui n’est, de ce fait, plus incité à favoriser son personnage de cette manière quand on lui met entre les mains le « pouvoir » de dire « mon personnage a tel objet » à volonté. La motivation ici (et cela devrait être pareil ailleurs, mais on n’y est pas forcément incité) est l’histoire.
Je pense à Fiasco, ou les joueurs ont tout le loisir de donner tout ce qu’ils veulent à leurs personnages, mais ne le font jamais parce que ce n’est pas marrant. Je pense à Good Society, ou, riche ou pauvre, l’idée n’est pas de simuler le fait d’aller acheter tel ou tel objet et de compter les pièces qu’on a dans la poche. Je pense à pratiquement tout ce qui est « Powered by the Apocalypse », de Monster Hearts à No Country for old Kobolds (qui, malgré son cadre très « D&D » n’a pas de monnaie).
Dans chaque cas, narratif ou non, ce sont des jeux qui n’ont pas de système pour ça parce que ça n’a pas d’importance dans le jeu. Chacun fait selon ce qui est vraisemblable, point.
Si vous redoutez, en tant que MJ ou PJ, l’inévitable session de jeu sur trois ou quatre ou le groupe doit vendre, acheter et entretenir son matériel, voilà en tout cas pas mal de conseils sur comment l’éviter, le minimiser… et même des jeux dans lesquels cela n’est pas un problème. Si c’est cela que vous recherchez et que vous détestez VRAIMENT la partie « argent », peut-être est-il temps de changer de jeu, ou de façon de jouer, au moins pour un temps ?
Il n’y a pas de raison de ne pas se faire plaisir, ou de continuer à subir, surtout quand on joue à des jeux entre amis. Par les temps qui courent, évoquer l’argent ne fait pas plaisir à grand-monde et peut dégénérer en discussion idéologique à la table de jeu. Faites donc l’économie de l’économie !
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