Où Mucius disserte sur le fait de faire jouer des personnages d’alignement “mauvais” dans un jeu de D&D 3.5 ou Pathfinder… Conseils qui peuvent s’appliquer aussi dans les jeux sans alignement, mais où l’on peut jouer méchants et criminels.
De nombreux MJ n’aiment pas laisser leurs joueurs faire des personnages mauvais… Qu’il s’agisse d’avoir un seul “méchant” dans le groupe, ou que tout le groupe soit pourri jusqu’au trognon. Ce qui est étrange, c’est que même dans les jeux de style “Vampire” dans lesquels on joue par définition des monstres, voire “Shadowrun” dans lequel on joue des criminels et des assassins, certains MJ maintiennent une sorte de moralité de bon ton…
Loin de moi l’idée de les blâmer. C’est plus facile, quand on est soi-même relativement moral, d’imaginer des aventures pour des êtres moraux. Mais on peut très bien diverger de cette pseudo norme. Pour cet exercice de style, nous allons considérer Pathfinder et D&D, des jeux qui introduisent le concept d’alignement (dont Trajan a déjà parlé) et qui permettent donc de placer son personnage sur des axes moraux plus ou moins bien définis, d’un côté ou l’autre de la balance…
Comme je le disais, il y a deux possibilités : le groupe “mixte”, ou le groupe complètement méchant.
Dans tous les cas il va falloir s’adapter, soit pour intégrer le ou les joueurs de l’alignement opposé à l’histoire, soit pour tenir compte des motivations spécifiques des méchants…
Tout d’abord, une mise en garde : Il faut dire qu’autoriser des personnages d’alignements opposés dans un même groupe, c’est encourager des tensions… Tensions qui peuvent venir du “Loyal Bon” (les paladins intégristes sont souvent des empêcheurs de tourner en rond…) comme du “Chaotique Mauvais” (la destruction aveugle et la torture finissent par énerver), même s’il est vrai qu’il y a des alignements plus problématiques que d’autres. Ne pas en avoir conscience, c’est un peu se voiler la face.
Cependant, en cas de groupe “disparate” en termes d’alignements, de même qu’en cas d’opposition en termes de profession (le druide contre le clerc de la religion organisée, le voleur cambrioleur contre le paladin de la justice, le magicien contre le barbare illettré, le roturier contre le noble…) les joueurs qui “jouent leur personnage” ne sont pas obligés d’être fanatiques et de se comporter comme des imbéciles les uns avec les autres…
Certes, vouloir jouer un personnage mauvais (même au milieu d’un groupe bon) est souvent une excuse que cherche un joueur peu coopératif pour pouvoir se comporter (et faire se comporter son personnage) comme un psychopathe ou simplement un… comment dire ? Un gros c… malotru, voilà. Mais ouvertement plutôt que de manière détournée. La plupart de ces joueurs, interdit de “méchant”, se rabattent sur un “chaotique neutre à tendance psychotique”, ou un “non aligné” lorsque c’est permis.
C’est alors à mon sens un problème de joueur, pas de personnage… A régler comme tel, donc. Nous n’en parlerons pas ici.
Même dehors des conflits internes au groupe (surtout avec un psychopathe, et surtout quand il y a une majorité de PJ mauvais à la table…), le Mal tend à semer la zizanie hors du groupe.
Le Mal tend à vite faire craquer un scénario “classique”. Certains MJ refusent ce genre de personnage (et moi le premier, bien souvent) parce qu’ils savent que jouer les “méchants” ne convient pas à une histoire du type habituel… Que faire jouer des méchants va probablement faire dévier, voire détruire complètement leur campagne (c’est à dire des heures de planification), l’emmener dans des directions où le MJ ne souhaite pas aller… Du moins pas cette fois-ci.
Le MJ est investi dans son histoire à un autre titre que les PJ : Du moment qu’ils s’amusent, les PJ se fichent de savoir si c’était prévu dans la trame ou pas. Pour le MJ, si le but de son histoire est de sauver la princesse, il se peut qu’il soit fort marri de constater que les PJ la violent avant de la rançonner à leur tour, pour ensuite s’enfuir avec la rançon sans livrer la princesse, en brûlant quelques orphelinats au passage… ce n’est qu’un exemple.
Bref, un scénario “bon” classique, ça peut s’improviser. Un scénario “méchant”, beaucoup moins.
Il n’en reste pas moins que les joueurs n’aiment pas qu’on leur dise qu’ils ne peuvent pas jouer tel ou tel personnage, surtout si c’est prévu dans les règles… Et en l’occurrence, c’est prévu. Ils argueront que “si c’est écrit, je peux le jouer… et je peux le jouer à fond si je veux !” en se braquant comme des idiots… Et ils auront raison. Pas forcément de se braquer, ni de forcer le MJ à accepter… Mais vouloir jouer des méchants, au moins pour une fois, c’est une doléance légitime !
Etant donné que les motivations de personnages “méchants” ne sont pas les mêmes que celles de PJ classiques (nous n’osons dire “gentils” vu le nombre de meurtres commis par ces individus au nom des points d’expérience et des pièces d’or…) il va de soi qu’un scénario pour ce type de personnage doit motiver les personnages d’une autre manière… De même, les méthodes employées par des personnages qui ne sont clairement pas du “bon” côté sont toutes différentes.
Les buts et les méthodes des PJ changent donc, et il faut en tenir compte pour bâtir leur histoire :
1) L’illégalité ne leur pose aucun problème…
…de même que frayer de manière amicale avec la lie de la société. Là où les “bons” peuvent commencer dans une taverne avec une honnête bagarre ou un PNJ qui leur demandera leur aide, les “méchants” commenceront sans doute dans un bordel ou un tripot, s’adonneront eux-mêmes à la luxure et à la drogue, tandis qu’un PNJ mafieux tentera de les forcer à payer leurs dettes en accomplissant une mission, ou leur proposera une “opportunité lucrative”…
2) … Et la légalité non plus.
Du moment qu’ils ne sont pas recherchés par la loi (ou pas dans cette ville, du moins…) des PJ méchants (loyaux mauvais et neutre mauvais, particulièrement) n’hésiteront pas à tourner celle-ci à leur avantage. Cela peut vouloir dire corrompre, mais cela signifie aussi simplement en profiter légalement : Le propriétaire qui expulse les pauvres gens qui ne peuvent plus payer le loyer de ses immeubles crasseux est sans doute du “bon” côté de la loi, et il aura l’aval total des PJ mauvais.
3) Ils ne sont pas aux jeux olympiques.
Les personnages mauvais sont motivés par leur intérêt personnel. Pouvoir magique, influence politique, argent, terres, sexe, mort d’un rival, peu importe… Ils n’aideront personne gratuitement, ils ne paieront jamais une dette s’ils n’y sont forcés, et par dessus tout, ils n’auront aucun honneur. Même un “loyal mauvais” remettra une dette aux calendes grecques, ou la paiera le moins cher possible. Il ne respectera que la lettre d’une loi (s’il le faut vraiment) au lieu de son esprit…
4) L’excès de violence, c’est normal !
Beaucoup de PJ mauvais aiment la violence et aiment voir souffrir autrui. Si ça leur semble plus compliqué ou plus long de ne pas utiliser la force, ils utiliseront la force. Ils le feront même par plaisir quand ce n’est pas nécessaire ! Là où des PNJ bons iront enquêter et vérifier des alibis, des PNJ mauvais emploieront l’intimidation, la torture et le chantage… Même s’ils sont les mercenaires d’une autorité “bonne”, comme une église. Qu’on les paie ou qu’ils se paient eux-mêmes, seul le résultat compte !
5) Le monde leur tend les bras…
Si un méchant voit une opportunité de faire du profit, même si ça n’a rien à voir avec le scénario, il va probablement tenter de la prendre, que ce soit légal ou non. Un “gentil” qui passe chez un marchand ne pensera pas forcément à le voler, à l’arnaquer, à le racketter, à l’embrigader… Ou à planifier un cambriolage afin de s’insinuer dans les rouages de la guilde des voleurs locale. Il faut qu’il ait une plus grosse carotte qui en dépende ou un plus gros bâton qui le menace pour le dissuader.
6) Ils se fixent eux-mêmes leurs objectifs.
La motivation d’un méchant, c’est, en fin de compte, le pouvoir personnel. Face à une organisation (mauvaise ou bonne), ils voudront en prendre le contrôle si possible. Les bons nettoient des donjons et arrêtent les brigands… Les méchants tentent de détourner toute source de puissance, même maudite, à leurs propres fins… profitant de la base de pouvoir que constitue un donjon défendu par une troupe de brigands et de monstres à leur service !
Nous avons parlé de ce qui attire le méchant… La carotte. Parlons maintenant de ce qui le pousse, autrement dit le bâton. Voyons ce que le méchant redoute… Et ce qu’il ne craint pas, à la différence des “bons” :
1) Le Mal fuit le Bien… Mais pas toujours :
Les bons craignent les méchants, mais les méchants ne craignent pas toujours les bons. Les méchants craignent l’autorité (les paladins, les clercs, la police, et ainsi de suite) uniquement lorsqu’ils sont découverts en tant que méchants et qu’ils sont du mauvais côté de la loi… Eviter d’être découvert, éviter les autorités, éviter l’ire des “bons” (et non forcément les fuir) peut donc constituer une bonne motivation pour un PJ mauvais, qu’il soit au sein d’un “bon” groupe ou non.
2) le Mal reconnaît le Mal…
… il ne cherche pas à le détruire s’il peut l’utiliser à son avantage. Il ne cherche pas à chasser le monstre autrement que pour “le sport”. Il n’a pas cette notion qu’il lui faille tuer les monstres pour “protéger le village” ou “faire cesser les raids de gobelins”. Il ne craint pas un moindre mal, un mal contrôlable, ou avec lequel on peut argumenter… En revanche, un autre méchant avec lequel il ne peut s’allier ou qu’il ne peut pas contrôler, sera inévitablement considéré comme un rival.
3) Le Mal est couard.
Le premier intérêt personnel du méchant, c’est sa propre vie : Il est lâche, et n’ira pas explorer un donjon au péril de sa vie s’il y a un village plus facile à piller… Que ce soit fuir une expédition punitive chargée de le tuer, un danger plus grand que lui, une invasion de bestioles, une catastrophe naturelle, toute menace fonctionne aussi bien sur les méchants que sur les gentils. Une menace suffisamment importante pesant sur le monde (et donc les intérêts du méchant) le fera même s’allier aux “bons”…
4) Le Mal ne fait confiance à personne…
… ni à ses associés, ni à ses sbires. Les associés ? S’ils sont eux aussi méchants, l’association ne durera que le temps que les intérêts de chacun convergent. Après, attention aux poignards dans le dos. Quant aux sbires, il faut s’en défier aussi : Comment se fier à des gens qui accomplissent de basses œuvres pour de l’argent ou du pouvoir ? Des informations quant à la trahison d’un lieutenant peuvent pousser un méchant à agir… Il est facile de semer le trouble dans les rangs des mauvais.
5) On récolte ce qu’on sème !
Des PJ qui agissent de manière exécrable ne doivent pas s’étonner d’être traités de même. Si un scénario classique nous apprend une chose, c’est bien que les méchants ET les bons n’ont aucun scrupule à tuer les méchants ! Si vous vous placez hors de la protection de la loi, ne vous étonnez pas de n’être pas “couvert”. Si vous volez, préparez-vous à être volé. Si vous tuez, prenez garde aux dagues dans le dos… Si vous manipulez… Vous avez compris.
6) Le Mal est en fin de compte prévisible…
Les crimes sont toujours les mêmes, au fond… Même si les PJ ne laissent aucun témoin (surtout si ça commence à se savoir, d’ailleurs…) ils finiront par avoir mauvaise réputation ou laisser des indices, des présomptions… L’idée selon laquelle “les méchants ont sans doute compris quelque chose que les bons ignorent” (Woody Allen) n’est pas toujours vraie. Les bons ne sont pas au dessus de faire miroiter une opportunité aux méchants pour atteindre un Mal plus grand… Ou les piéger.
En fin de compte, qu’est-ce que le Mal ? Fi des questions philosophiques, et parlons jeu de rôles !
On le voit, le méchant qui nous occupe, c’est celui, certes manichéen, qui ne se restreint pas et ne s’oblige pas pour autrui, parce qu’il s’estime au dessus des autres, et de ce fait qu’il peut profiter d’eux. C’est aussi pour cette forme de liberté (bien au delà de la liberté du “chaotique bon”, par exemple) que l’on peut légitimement choisir de jouer un méchant et y prendre du plaisir… le Mal, c’est vouloir atteindre un but intéressé, décomplexé, à n’importe quel prix et par n’importe quel moyen.
Le PJ mauvais peut se cacher derrière l’expression “il faut un mal pour un bien”, mais il se rapprochera plus de Ad Augusta Per Angusta : C’est son propre intérêt qu’il recherche. Même s’il estime sans nul doute qu’il sera un “meilleur” calife, le grand vizir veut être calife à la place du calife !
Ces quelques idées sont cependant tout aussi utiles face à des personnages moins “tranchés” que bons ou mauvais… Parce que l’intérêt personnel est toujours une motivation puissante, que le pouvoir peut être utilisé pour le bien ou le mal, que les antagonistes des personnages peuvent employer les mêmes méthodes intelligentes ou cruelles…
Mais aussi parce qu’on peut se servir de ces motivations de départ pour ensuite forcer les joueurs à choisir entre le bien, le mal, ou d’autres voies moins tranchées. Définir le bien et le mal, c’est un point de départ pour brouiller la limite.
Quant au choix, il est l’essence du jeu de rôles, et ce sont aussi les conséquences des choix des joueurs qui sont intéressantes !
Exellent article, j’ai eu le plaisir, durant 3 ans de participer a une campagne méchant a rolemaster, il y avait du demi orc nain nécro, de l’elf corrompus seigneur de la mort, du guerrier chaotique a 6 bras, du vampire illusioniste … Bref que du bonheur avec en plus un mj qui nous masterisait une campagne standard en meme temps, ce qui avait des impacts : mmmmeeerrrdddeee c’est MA tribue d’orc qu’on a rasé avec l’autre groupe !
En fait ça se fait très bien, malgrès ce que peuvent croire les mj, mais je suis d’accord avec toi, ca demande un gros travail, du mj, mais surtout du joueur car trouver les motivation d’un méchand, avec le recule, c’est très dur et, chercher cette explication c’est aussi découvrir un volet entier du jdr souvent oublié!