Où Mucius, en ces temps de récession où même les articles se font rares, parle d’un mal terrible qui afflige la plupart des campagnes style D&D, quel que soit le jeu… Cette maladie affecte tous les mondes médiévaux-fantastiques, et même quelques autres qui le sont moins… L’économie donjonesque.
Attention, cet article fait 7000 mots et plus…
Le mal, le voilà : Aucun jeu médiéval-fantastique, à ma connaissance, ne propose un système économique plausible. Même pas “viable” ou “réaliste”, juste pas trop risible. En un mot : C’est une crise de l’économie ! Oh, je ne parle pas du système monétaire, “1po = 10pa = 100pc”, ou n’importe quel autre système plus ou moins ésotérique calqué sur un vrai système médiéval… Quoi que ce genre de choses donne parfois lieu à certains abus…
Non non, je parle véritablement des flux monétaires, de l’argent et des valeurs… bref, de l’économie !
Réfléchissez-y un instant, vous constaterez l’absurdité, l’énormité même, de la situation…
Le village typique où s’établissent nos héros préférés, les PJ, possède une micro-économie entièrement basée sur la présence d’aventuriers. Bien qu’il ne s’agisse souvent que d’un groupe de fermettes vaguement connectées autour d’une place du marché, il dispose d’une taverne, d’une armurerie/forge, d’un bazar où trouver tous les objets pour l’exploration, et peut-être même d’un revendeur d’objets magiques.
L’auberge y sert toujours de la bière naine et du vin elfique. Même au fin fond d’une contrée perdue, le village mitoyen d’un donjon sinistre, d’une forêt maudite et de douze tertres assortis possède fatalement tous ces magasins spécialisés “aventure”, en plus d’un temple qui dispense des soins et d’une inépuisable provision de riches anonymes qui veulent récupérer telle relique, protéger telle caravane, éliminer tel camp orque…
Et puis dans la ville la plus proche, il est possible sans aucun problème de trouver des objets magiques en grande quantité pour tous les aventuriers qui peuvent payer… Peut-être pas d’objets légendaires ou très puissants, mais tout de même des potions de soins, des anneaux de protection, des baguettes de sorts offensifs avec 50 charges… Ou, plus cher, des anneaux qui rendent invisible et des parchemins de guérison des maladies.
Il est bon de préciser ici que ce n’est PAS une exagération. C’est vrai dans les MMORPG et les autres jeux vidéos, c’est vrai pour la plupart des scénarii du commerce pour certains jeux, c’est vrai dans un certain nombre de mondes de campagnes “maison”… C’est vrai, mille fois vrai, pour la grande campagne des Royaumes Oubliés jouée par la RPGA pour les tournois de D&D en convention depuis des années maintenant.
Dans notre monde, si on pouvait vendre et fabriquer (même pour très cher) des objets capables de guérir n’importe quelle maladie, ce genre de choses remplacerait tout autre étalon monétaire en un rien de temps. La magie (et non les métaux précieux, l’agro-alimentaire ou le textile) seraient au cœur de tous les marchés… Jouant le rôle qu’ont aujourd’hui l’information, les nouvelles technologies et les biens ou services à forte valeur ajoutée.
C’est, incidemment, ce genre d’économie que l’on retrouve recréée spontanément par les joueurs dans les jeux en ligne comme Dofus, ou d’autres. Des joueurs, plutôt que de passer leur temps au but premier de ce jeu, c’est à dire à taper sur des monstres dans des donjons (ou à la limite taper d’autres joueurs) n’y font que “pharmer” des ressources, acheter, revendre, tuer douze fois le même monstre pour mieux “dropper”, fabriquer des objets, et spéculer sur les prix de ceux-ci pour faire de l’argent.
En plus de la spéculation sur les prix des objets, l’économie de Dofus souligne un autre problème intéressant : La dévaluation de l’or. L’or est une ressource qu’il est possible de miner dans le jeu… C’est une ressource minable, à tous les sens du terme ! C’est, en théorie, ce qui sert à frapper la monnaie du jeu, mais il y a longtemps que seuls les “noobz” le minent pour le revendre et non pour fabriquer des objet spécifiques, magiques, plus chers.
L’or est dévalué à mort, et la monnaie, le Kama, en est quasi détachée… Quelque chose de similaire devrait se produire dans la plupart des univers de jeux de rôles médiévaux fantastiques, et ne se produit pourtant pas. Combien y a-t-il, au juste, d’or enterré dans ces donjons que visitent les aventuriers ? Combien est-ce qu’on en a exhumé et réinjecté dans l’économie ? Quel impact ont les aventuriers sur la masse monétaire ?
Dans D&D, un seul trésor de jeune dragon se chiffrant au minimum à 4000po détruirait complètement l’économie du village lambda par un influx massif de liquidités… Autour de Myth Drannor, compte tenu du nombre de ruines “nettoyées”, l’or ne devrait presque plus rien valoir. Pourtant, le sac à dos continue de ne coûter que 2po, les ouvriers continuent de ne gagner que quelques sous de cuivre par jour, et ainsi de suite.
Même sans dragon, l’impact d’un seul aventurier un tant soit peu expérimenté sur l’économie d’un village est déterminant. Un paysan gagne peut-être 3po par an… L’épée, outil de base de l’aventurier, même non magique, coûte 50po. Le plus bas prix pour un objet magique mineur frise la centaine de Po. Chaque PJ de retour de donjon revend, fait réparer et rachète de l’équipement plusieurs fois par semaine… Vous voyez le tableau ?
Les aventuriers arrivent, éradiquent soi-disant les menaces qui pèsent sur les communautés, dépensent un fric fou… Et pourtant, les villages, bien que capables de racheter ou fabriquer de l’équipement magique à grands frais, restent éternellement pauvres, éternellement infestés de monstres, les donjons éternellement pleins d’or… Et les prix restent fixes. 10po l’épée courte, 2po la dague, 5pa les rations de survie, point.
La question que l’on est en droit de se poser devant une telle situation est pourquoi un tel système ?
Eh bien parce que c’est comme ça. L’économie, c’est comme les saucisses. On aime bien les sous, mais on n’a pas envie d’examiner de près comment tout ça fonctionne et avec quoi c’est fait. Ce n’est pas pour ça qu’on joue un barbare ou un magicien… Honnêtement, le Maître de Donjon va-t-il s’amuser à faire fluctuer les prix et le coût de la vie en fonction de ce que les aventuriers rapportent au village ? Difficile… Et surtout très ennuyeux.
Personne n’a envie de simuler une économie réelle, personne n’a envie de changer le système de jeu, personne n’achèterait un jeu dans lequel un chapitre (minimum !) serait consacré à la loi du marché… Les rares qui s’y sont essayé en ont fait une “règle optionnelle” qui n’a jamais convaincu. Il convient donc de trouver des raisons de minimiser les incongruités dénoncées ci-dessus, et de justifier ce statu quo économique autant que possible !
Il faut bien comprendre que, dans la plupart des jeux de rôles, les prix sont fixes pour une très bonne raison : Comment les aventuriers débutants s’équiperaient-ils, sinon ? Les prix sont en rapport avec le salaire moyen du paysan de base, les piécettes que coûte un repas à l’auberge, et ainsi de suite. Quant aux prix des objets extraordinaires, ils sont… extraordinaires. Donc exorbitants. C’est artificiel, c’est TGCM (voir lexique), mais bon.
Pour justifier les prix “de base”, l’excuse toute trouvée est celle du réalisme historique (oui, dans un jeu avec des dragons ça fait rire…). Dans beaucoup de pays au moyen-âge, la noblesse et la soldatesque sont les seules classes à pouvoir porter des armes, mesure de contrôle pour éviter la prolifération de la violence et des jacqueries. Dans beaucoup de sociétés, le contrôle s’effectue aussi par des prix plus élevés pour les armes en métal.
Qui plus est, une arme ou une armure, dans une société médiévale (dépourvue de moyens de productions de masse, eh oui !) est un objet de luxe. A la différence d’un tisonnier, d’un pare-feu en fer forgé, ou même d’une simple masse d’armes, une épée se doit d’être du meilleur métal, plus fine et plus solide qu’un soc de charrue. De même, une armure métallique est souvent faite sur-mesure, ou spécialement pour l’armée du seigneur local.
Le moindre défaut signifie que le porteur a beaucoup moins de chances de survie… C’est donc un objet bien plus cher que le reste. Même dans un monde médiéval “normal”, non fantastique, les armes et armures sont à la pointe de la technologie de leur temps : Les techniques des forgerons pour des alliages plus solides ou plus légers sont souvent ardues, nouvelles, expérimentales… Ce sont en fait les secrets les mieux gardés des compagnons !
La plupart des objets “chers”, en métal, ou de qualité exceptionnelle, nécessitent souvent des matériaux spéciaux. Je ne parle même pas de l’or et des métaux précieux… Non, au moyen-âge, le simple fer est un métal cher, difficile à obtenir (il faut le miner, puis le raffiner), et une commodité précieuse. Un paysan peut penser à mille et uns usages plus pressants, plus quotidiens, et bien plus faciles à forger pour un bloc de fer que l’épée ciselée d’un paladin !
Dans un monde fantastique, il n’est que très logique que les objets magiques, plus utiles encore, faits de matériaux plus rares par des artisans plus spécialisés, soient plus chers. Profitons-en pour corriger un abus : Oui, les objets magiques mineurs peuvent être suffisamment courants pour qu’on les trouve en ville, malgré leur cherté. Mais cela ne veut pas dire qu’ils sont produits en grande quantité, régulièrement.
S’il y en a suffisamment pour tous les aventuriers, c’est que les aventuriers ne sont qu’une minorité (on n’ose dire une élite, au vu de certains…). Il faut replacer le PJ dans sa perspective démographique. Nos héros sont… Des héros ! On n’en trouve pas des comme eux à tous les coins de rues. Oui, je sais, on avait sous entendu plus haut que c’était le cas, que ça courait les rues… C’est vrai, c’est le problème des MMORPG, des jeux en tournoi, en convention…
Mais ce n’est pas forcément le problème des jeux de rôles sur papier. Cela n’a pas a être votre problème, vous n’avez pas besoin de faire que les aventuriers soient courants dans votre univers de jeu : Vous n’êtes pas la RPGA ni la Pathfinder Society, vous ne gérez pas un million de joueurs en même temps. Replaçons aussi les objets dans leur contexte : Les aventuriers emploient une grande quantité d’objets à tendances violentes, armes et armures magiques…
D’une part, dans un monde plein de monstres, c’est souvent une nécessité de leur branche. D’autre part, économiquement parlant, ces objets sont une niche de peu d’influence : Ils ne sont en effet d’aucune utilité à l’immense majorité de la population, ceux qui ne font pas leur métier de taper sur des monstres. La plupart des objets magiques, en dehors du circuit des boutiques pour aventuriers, sont impossibles à revendre…
Alors qu’en faire ?
D’abord, il faut (à mon avis) que les Maître de Jeu fasse preuve de retenue en ce qui concerne la disponibilité des objets magiques. Il n’y a pas de catalogues magiques, les joueurs n’ont pas à commander la fabrication de telle ou telle arme… Même si des artisans peuvent le faire, cela prend énormément de temps. Soit l’arme existe avec ces capacités, unique et ayant été forgée avec amour il y a longtemps, soit il n’y en a pas. Point.
Il y en a peut-être ailleurs, là n’est pas le problème… Pour un PJ, trouver l’arme de ses rêves peut être une quête en soi. Les armes magiques sont, dans les histoires et les romans, quelque chose de rare et merveilleux : Cette façon de voir est la seule façon de ne pas déséquilibrer le fragile système économique décrit dans la plupart des systèmes de jeux… Quelle que soit votre opinion personnelle sur le sujet !
Il devient impératif, ne serait-ce que pour ne pas tomber dans une coupable routine, de trouver des récompenses alternatives pour les joueurs… D’autant que donner des récompenses plus rarement peut s’avérer problématique à expliquer si vous avez déjà une campagne en cours et que vous avez été généreux. Il existe de nombreux moyens de “payer” un aventurier de ses services, notamment pour ceux qui n’ont pas le sou…
J’en entends déjà qui partent d’un rire graveleux et pensent aux faveurs sexuelles ! Oui, c’est une possibilité… Mais que faites-vous de la gratitude ? De la reconnaissance d’une personne haut-placée ? D’un titre de noblesse, même s’il ne s’accompagne pas de terres ? De réductions chez tel ou tel marchand ? De la possibilité d’acquérir des articles magiques auprès de quelqu’un qui n’en fabrique d’ordinaire que pour sa consommation personnelle ?
Au delà du paiement en nature, en matériel, il y a les paiements encombrants mais qu’on ne peut pas refuser… Un paysan peut payer en vaches, un villageois peut offrir sa fille à marier (coutume étrange mais assez courante dans certaines contrées et à certaines époques)… Le paiement peut prendre la forme d’une maison construite par ceux qui sont redevables… C’est utile, précieux, quasi impossible à revendre sans blesser les gens.
Et surtout, ça ne rentre pas dans une poche. Privilégiez les paiements plausibles qui ont un fort impact affectif et un faible impact économique. Offrez leur quelque chose qui a une valeur sentimentale. Le savoir marche toujours : Offrez aux PJ de leur apprendre une compétence qui leur fait défaut. Et puis, de temps en temps, parce qu’il faut bien vivre, offrez leur quand même un peu d’argent et d’objets magiques !
Si un objet magique est bel et bien présent, les PJ peuvent sans doute l’acheter, quitte à économiser. Mais pour la revente ? Il est peut-être aussi possible de l’échanger contre des marchandises équivalentes, ce qui est plus logique que de le revendre contre de l’argent : à part la très haute noblesse et les aventuriers, qui ont de l’or qui leur coule des poches presque par distraction, qui donc peut posséder autant de liquidités ?
Songez qu’une épée magique un peu puissante pourrait acheter un village entier, habitants compris ! On en vient à l’estimation : La plupart des gens du peuple n’a aucune idée de la valeur astronomique des objets magiques, passé un certain niveau. C’est plus d’or qu’ils n’en peuvent compter, sans doute plus qu’ils n’en pourront dépenser en une seule vie, pensent-ils… Dés lors, pourquoi vendraient-ils un objet magique ? Penseraient-ils seulement que ça se vend ?
Pour eux (et c’est normal), ça n’a pas de prix. Si quelqu’un a la chance de tomber sur un objet magique, la rareté de la chose ferait qu’il le garderait, même sans pour autant s’en servir. Peut-être comme un héritage familial. Et, pour revenir à l’idée de contexte démographique de tout à l’heure, ils n’auraient de toute façon pas beaucoup d’occasions de le vendre, cet objet : Les aventuriers ne courent pas les rues, du moins la plupart du temps.
S’il souhaite ne pas être embêté par des problèmes de vraisemblance et éviter une inflation inévitable de la magie dans son monde de jeu, ou au moins la retarder, un MJ sage saura limiter de façon drastique la présence de magie dans celui-ci. Pour ce faire, il est aussi possible d’utiliser de vieux trucs : Faire perdre de l’équipement au groupe, faire perdre leurs pouvoirs aux objets, donner des objets utilisables un nombre de fois limité…
Une solution radicale pour réguler les objets magiques, pour le MJ, consiste à éliminer complètement tout type de magasin magique. On évite ainsi que les objets mineurs ne deviennent un véritable “indice” financier… Les objets magiques, même les potions et parchemins, doivent être fabriqués, trouvés, ou échangés à des particuliers de confiance, sans doute après avoir apporté les ingrédients à la personne capable de les fabriquer.
Dans ce contexte, même les sortilèges des magiciens ne peuvent pas être achetés, mais doivent être appris d’un autre sorcier duquel on aura gagné la confiance, trouvés dans des grimoires anciens, etc. Pas d’universités de magie, pas de “système”, pas ou peu de guildes : La magie est trop rare pour cela. Cela permet de minimiser l’impact de la magie sur le système économique… Et aussi sur la société en général.
Je connais un MJ à Pathfinder qui n’octroie pas d’objets “permanents” à ses joueurs avant le niveau 4, quel que soit la provenance… Il ne donne pas d’objets +2 avant le niveau 8, et ainsi de suite… Les objets +5 ou équivalents ne sont “disponibles” qu’au niveau 20. Et encore… C’est ainsi qu’il régule son univers de campagne. Et s’il a un problème avec un trop plein d’objets magiques (ce qui reste rare), il les fait perdre, ou les fait cesser de fonctionner s’ils sont mineurs.
Tout cela fonctionne très bien, en tout cas dans des mondes pauvres (ou seulement moyennement riches) en magie, comme Warhammer, ou même D&D 3.5 joué tel qu’il est supposé l’être quand on lit le livre de règles. C’est une école, dirons-nous… Il n’en va pas de même dans les mondes où la magie est courante, voire omniprésente, comme les Royaumes Oubliés, ou, à plus forte raison, Eberron.
Dans Eberron, la magie est produite en masse, omniprésente, et la société en a été altérée radicalement : Les gens se déplacent dans des bateaux volants, construisent des immeubles plus hauts grâce à des poutres qui lévitent par magie, font des voyages en train magnétiques propulsés au dessus des rails par de l’électricité d’origine magique… Une race de robots a même fait son apparition. L’économie est donc le dernier des soucis, dans ce monde là…
Les objets magiques en abondance ne sont donc pas une menace pour l’économie, mais pour la société elle-même… Enfin, non. Ce n’est pas vraiment une menace. Disons que c’est une menace pour le style de jeu médiéval fantastique. Même si seuls les très riches peuvent se le permettre, des sorts de soins disponibles à l’achat, des communications instantanées par magie, tout ça change une société !
Voyez l’impact qu’ont les téléphones portables de nos jours. D’un coup, vous ne vous trouvez plus au moyen-âge, mais dans une espèce de bouzin où les sorts de téléportation (ou pire, de résurrection), même si c’est réservé aux riches, à la noblesse ou à la bourgeoisie, changent la vie de tout le monde. Devenir magicien ou prêtre devient le métier le plus en vue, et fatalement, la magie devient de plus en plus répandue, commune, accessible…
Si le moindre apprenti est capable de lancer un sort de soins mineurs ou de serviteur invisible, même sans fabriquer l’objet qui va avec, le marché sera vite saturé.
Mais je digresse. Autre solution, à explorer en parallèle : Limiter la masse monétaire et jouer sur la fluctuation des prix. Pour les objets chers, la vraisemblance impose que le prix fluctue en fonction de l’affectivité et de ce que chacun est prêt à payer. Elle impose aussi que le prix ne soit pas forcément payé en pièces d’or… Déjà, les pièces prennent de la place. Et puis il n’y en a pas tant que cela en circulation.
Rappelez-vous que seul l’état, le Roi, peut “frapper monnaie”. Historiquement, les organismes qui émettaient une monnaie parallèle sans l’accord des autorités ont… mal fini. Vérifiez bien quelles sont les choses les plus pratiques, dans votre monde, pour payer au quotidien… Si c’est la pièce de cuivre, tout va bien. Si c’est la pièce d’or, la situation est grave mais pas désespérée. Si c’est l’épée courte ou l’anneau +1, vous êtes dans la merde !
Le cuivre est le métal le plus abondant, puis l’argent, et enfin l’or, qui sert finalement pour peu de transactions quotidiennes. Il n’y a guère que les héros qui l’utilisent couramment. Pour les gros paiements, rares, on peut utiliser des pièces de platine, ou bien d’autres objets, ou des services, des objets d’art, et enfin des gemmes et joyaux… Mais toutes ces choses doivent être estimées auparavant. C’est l’occasion pour le MJ de s’amuser…
Si l’on veut être réaliste, un service, un objet d’art, même une gemme, n’a pas de valeur fixe… Les règles le disent : Les prix sont à titre indicatif seulement et peuvent varier ! Aucune gemme n’est identique à une autre, et même si l’on admet que tous les marchands pratiquent à peu près les même prix bien qu’ils soient de régions différentes, pour des raisons de commodité dans les règles, on ne peut qu’en donner une estimation approximative.
Pour corser le tout, les gemmes et les objets d’art sont eux-mêmes des objets chers, donc des objets pour lesquels on paie… Avec d’autres objets ! Exemple : Grabgor le Mage trouve un diamant. Son compagnon voleur l’estime à 500po. Ils pensent qu’il vaut à peu près cette somme, c’est vrai… Mais qui sait ? Il est fort possible qu’ils doivent l’échanger finalement, à la ville, contre l’équivalent de 200po en objets divers plus courants et plus utiles !
Jugez plutôt : Même dans une grande ville, réunir les rares acheteurs prêts à payer pour un diamant, qui en ont besoin, et qui disposent de la somme dite en liquide et sur eux au mépris des voleurs, organiser des enchères, ça demande à la fois du temps et des contacts. Un bijoutier aurait pu échanger le diamant contre un autre joyau de moindre valeur (il faut qu’il fasse du profit aussi), mais c’est de provisions que nos héros avaient besoin…
Peu de marchands disposaient de denrées, nourriture, chevaux et objets divers dans les quantités idoines pour un tel prix… Dans D&D, 500po ce sont dix épées à deux mains. Inutile ! Une seule épée à deux mains de qualité exceptionnelle… Là, pourquoi pas ? Elle ferait plaisir au barbare du groupe… Seulement il faut la faire forger par un maître artisan et attendre des mois, au minimum. Le forgeron n’est pas d’accord sur l’estimation, évidemment… Et que ferait-il, lui, d’un diamant ?
Nos héros commencent à perdre patience… Ils ont besoin de nourriture, de corde, de chevaux, et personne ne prend les diamants parmi les commerçants de la ville, même les grossistes… Comme ils doivent repartir vite, ils finissent par trouver un marchand qui leur vend le matériel souhaité en échange du diamant… Mais ils y perdent la moitié de la valeur de la pierre, parce que le marchand sait qu’il est le seul à pouvoir immédiatement les satisfaire de ce point de vue là.
On peut faire à peu près la même chose en faisant fluctuer les prix d’un pays à l’autre, d’un royaume à l’autre. Il n’est pas toujours nécessaire de le faire (et c’est fastidieux, tout de même), mais ça peut être intéressant pour ajouter une touche d’exotisme et de réalisme dans le jeu. Si les PJ se retrouvent dans un pays du sud où les épices sont monnaie courante, pourquoi sont-ils aussi chers ici que chez-eux ?
Quel est l’intérêt des marchands qui sillonnent la contrée, si les prix ne varient pas d’un village à l’autre ? Sans cela, c’est réduire les marchands à de simples transporteurs, payés pour acheminer les marchandises, rien de plus. Et puis chacun sait qu’il n’y a pas, dans un monde sans moyens de production de masse, deux boutiques différentes avec des articles et des tarifs exactement identiques.
Donc, vous pouvez au moins introduire de subtiles variations dans les prix d’une ville à l’autre… Comment donc ? C’est bien simple. Même méthode, même punition : Les prix du livre de règles ne sont là qu’à titre indicatif ! Augmentez ou baissez-les aléatoirement, au gré de votre fantaisie. Les fluctuations du marché n’ont pas à paraître évidentes à vos joueurs de toutes les manières, sinon ils auraient fait marchand et pas aventuriers.
Soyez tout de même logique et inspirez-vous de la vie réelle : Augmentez les prix de tous les commerçants et des auberges s’il y a un festival en ce moment dans cette ville… Baissez les prix si la région est pauvre et que personne ne peut se permettre de folies… Montez les prix si le royaume est prospère et que sa monnaie est si réputée qu’elle est acceptée partout… Baissez les prix si vos PJ ont une bonne réputation…
Cela ne devrait pas être trop difficile : Ce sont des problèmes quotidiens, et on parle hélas régulièrement de l’inflation aux informations… Mais sans même plonger votre royaume dans la crise, vous pouvez aussi agir denrée par denrée : Baissez les prix des produits locaux, augmentez ceux des produits importés. Augmentez les prix si le marchand est réputé et que ses produits sont savoureux…
Il existe, dans la plupart des jeux médiévaux-fantastiques, des règles pour simuler des armes et armures d’excellente qualité… Pourquoi n’existerait-il pas des fruits et légumes de qualité exceptionnelle ? Des mets dix fois plus chers que les autres, comme des bonbons, des chocolats, des vins fins, des plats exquis, des fromages faits… Ou tout autre article de luxe, en dehors des produits de consommation, d’ailleurs ?
Comme on l’a vu plus haut, toutes ces choses sont autant de biens, d’objets d’art, ou de services (un cuisinier de renom peut cuisiner un repas pour des aventuriers gourmets en guise de paiement, par exemple) qui peuvent servir de monnaie d’échange. Et bien entendu, tout ceci peut être un prétexte à de nouvelles aventures pour nos héros… Qui va livrer certaines des précieuses commodités de luxe au seigneur local ?
Mais revenons à notre village lambda, celui qui comporte une taverne, une armurerie, et tutti quanti.
Le village en péril est un cliché du jeu de rôles… Quel joueur n’a pas exterminé les rats de la cave de la mère machinchouette, défendu la ferme du père Bidule contre les loups, éradiqué les gobelins de la forêt non loin de là, repoussé les horribles gnolls ou déjoué les machinations d’un culte démoniaque qui s’attaquait justement au village en question, allez savoir pourquoi ? On dirait qu’ils ont besoin qu’on les sauve constamment !
D’où la question qui tue : Pourquoi ces pauvre gens s’installent-ils là en premier lieu ? Sérieusement, qui construirait son village à l’orée d’une forêt qu’on sait pertinemment pleine de démons, près de la “Tombe des Horreurs Sans Nom”, et ainsi de suite ? Bon, peut-être que le village était là avant, ou que les dangers ne sont pas si immédiats que cela, ou ne l’étaient pas jusqu’à il y a peu… Mais tout de même, pourquoi rester ?
Pourquoi un paysan normalement constitué ne se dirait-il pas “Je risque ma vie rien qu’en sortant de chez-moi à la nuit tombée… Je vais donc partir, et offrir à ma famille une vie meilleure !” ? Est-il si fier qu’il préfère voir ses enfants mourir aux mains des monstres plutôt que d’entacher son honneur ? Et sa femme, pourquoi elle n’emmène pas les gosses chez sa mère, dans le village voisin, au moins le temps que ça se tasse ?
Bon, peut-être que c’est pareil partout, ou presque… Peut-être que la réponse réside dans le fait que le monde est assez sombre et que le problème des monstres est omniprésent. En ville il y a des rats géants dans les égouts et la guilde des voleurs en surface, ici ce sont les orques, mais dans le village voisin ce sont des trolls, et ainsi de suite. Et si ça n’est pas le cas, il est facile de se dire que ça l’est quand on se sent prisonnier d’une telle vie.
On peut imaginer que les gens restent parce qu’ici, la terre est fertile, ou qu’il y a une mine qui apporte un revenu conséquent à tous. Ou bien que le seigneur local cherche à agrandir son fief et à le repeupler, et exonère plus ou moins les impôts de ceux qui s’installent dans les régions “en friche”. A moins que les villageois ne soient des colons religieux ou des réfugiés qui fuient pour pouvoir vivre selon leurs propres coutumes…
Quoi qu’il en soit, il faut une raison pour vivre dans ce genre d’endroit, autre que le sentimentalisme… Je ne dis pas qu’il faut bannir ce genre de villages comme on bannirait les commerces magiques, mais il ne faut pas laisser le problème en suspens : Des gens vivent là en dépit de terribles dangers et de légendes atroces, il faut trouver quelque chose qui compense les pertes humaines, affectives, pécuniaires, de qualité de vie, etc.
Mais il y a plus. Il ne s’agit pas ici simplement d’un village de fermiers ou de mineurs, d’un village “normal”… Non, il s’agit d’un village pour aventuriers. Certes, il est concevable qu’il y ait une taverne… Mais pas forcément des magasins aussi bien approvisionnés, des marchands partout, des gens prêts à donner des missions à tour de bras… C’est quand même assez spécial ! Qui au village aurait besoin de tout ça ?
Là encore, il pourrait y avoir une raison… Les aventuriers sont riches. Très riches. Même s’ils sont rares, le village qui a la “chance” de pouvoir les attirer, donc de se trouver (c’est paradoxal) dangereusement proche de quelque donjon funeste ou tombe légendaire, peut faire de très bonnes affaires. Cela peut valoir le coup de reconvertir une partie des stocks pour s’adapter aux besoins de cette clientèle ésotérique…
Et là, nous entrons de plain pied dans une économie de donjon… C’est tout autre chose !
Lorsqu’un tavernier refait sa cave, il achète immanquablement le combiné “mari et femme” : Une liqueur parfumée et douce, une gnôle ou une bière forte. Il en faut au moins un peu, au cas où des voyageurs venus de loin voudraient se délester de leur or immanquablement trop lourd pour eux. Au hasard… Disons de la bière naine et du vin elfique ? Avec quelques chopes sales pour cette touche “authentique” ?
Même chose pour les armes, armures, et autres sorts de soins. Cela vaut le coup aussi pour les villageois s’il y a vraiment des monstres dans les parages de toute façon. Certes, le village est peut-être à cent lieues de toute civilisation, mais, miraculeusement, il y a de quoi satisfaire les clients… Même s’il y a peu d’aventuriers, ils paieront cher : Il n’y a pas de concurrence, et les héros sont notoirement riches !
Incidemment, accompagner les marchands qui traversent des contrées dangereuses pour approvisionner les héroïques villageois en objets de luxe dont personne n’a l’usage (sauf lesdits accompagnateurs, bien sûr) peut être une quête intéressante et paradoxale, non ? Quoi qu’il en soit, ça vaut le coup de se décarcasser un peu. C’est comme quand une ville possède de jolis monuments et, de ce fait, fait des efforts pour accueillir les touristes.
Du reste, les aventuriers sont les touristes du jeu de rôles. Ils sont bruyants, exotiques, ils dépensent dix fois trop et achètent des trucs dont on ne voudrait pas chez-soi, dénigrent les coutumes locales et commandent des breuvages bizarres, déclenchent des bagarres de taverne et cassent le mobilier… Mais ça vaut le coup… Pas seulement parce qu’ils se déplacent avec un matériel hors de prix et mille fois le salaire moyen en poche, mais aussi à cause du business qu’ils attirent :
Le type encapuchonné qui leur donne des missions dans un coin de l’auberge ? Il loue sa chambre au mois et paie sa tournée régulièrement, simplement en attendant que des aventuriers se présentent. Le sage près de la fontaine qui identifie les objets ? Les haillons, c’est pour faire plus vrai, c’est tout… Il a sa maison cossue et paie une taxe au maire pour “étal en plein air”. Il fait son beurre, et le dépense aussi dans le village, comme les autres.
Le forgeron importe des métaux exotiques de loin pour satisfaire la demande, mais il peut se le permettre : La moindre épée lui rapporte cent fois plus que de ferrer un cheval. Et, de temps à autres, les aventuriers lui commandent quelque chose de spécial… Et il gagne en une seule fois cinq années de salaire. C’est l’occasion pour lui de progresser dans son art. Il recrute et forme des apprentis à un métier d’avenir, et il les paie bien.
Le prêtre qui marie les jeunes gens ? Il a vite suivi le mouvement et il a gagné de quoi refaire le toit de l’église en une seule semaine. A 50po la potion mineure, faite avec des ingrédients locaux que les aventuriers vous rapportent en risquant leur vie plutôt que la vôtre (en échange, peut-être, d’une légère remise), pourquoi se priver ? Il a sans doute dû recruter quelqu’un pour l’aider… Il le paie et il le forme, lui aussi.
Vous savez quoi ? Les aventuriers, c’est BIG business. Mais cela a un certain effet pervers…
En toute logique, un tel village, avec des commerces orientés de manière à cibler presque exclusivement les aventuriers, a besoin d’aventuriers pour y injecter des capitaux, acheter des sorts et des objets hors de prix, en revendre… A long terme, il a besoin d’attirer des aventuriers, si possible de plus en plus. S’initie alors fatalement une relation symbiotique avec les monstres du voisinage…
Si les aventuriers étaient si efficaces que cela, alors quelle raison auraient-ils de revenir ? Les notables de la ville, pas fous, feront de leur mieux pour réguler la population des monstres dans le bon sens… En préservant quelques kobolds ou quelques vers géants, en gardant secrets les emplacements de certains nids, histoire de garder aux générations futures un bon revenu sans pour autant trop risquer la vie des citoyens.
C’est un équilibre délicat, évidemment, et tout est fichu par terre dés qu’un aventurier vous surprend. Cependant, il y a des moyens plus sournois de faire ce genre de choses… Mettons que les fermiers locaux subissent les assauts de monstres souterrains géants, agressifs et stupides, du genre ankhegs (les connaisseurs de Baldur’s Gate apprécieront). Ils voudraient bien demander aux aventuriers d’éliminer le “surplus” et d’en laisser quelques uns…
Ils n’ont qu’à inventer un prétexte débile (par exemple “ils aèrent le sol et le fertilisent”…) et le tour est joué. Le forgeron a appris à fabriquer des armures avec la peau des bestioles, le tavernier fait des affaires, les commerçants aussi, et c’est tout le village qui gagne de l’argent avec cette histoire : L’ankheg aux œufs d’or… Seulement on ne peut pas donner la vraie raison aux aventuriers, ils tueraient les derniers monstres.
Pour aller plus loin dans le concept, j’avais moi-même conçu (dans mon propre univers de jeu) une ville médiévale et fantastique qui en parodiait de loin une autre dont je tairai le nom… Entourée de tertres et de tombes, de ruines et de donjons, d’une forêt maudite, non loin de terres “inexplorées” et dotée d’égouts fort mal fréquentés, cette ville avait bâti une grande partie de sa prospérité sur les aventuriers.
Ils bénéficiaient d’un quartier spécifique bourré d’artisans spécialisés, de temples, de vendeurs d’objets magiques (Oui, plus besoin de limiter les objets magiques, avec ce genre de choses… La motivation pour les créer et trouver le moyen d’en produire en masse, elle est là !) et de tas de tavernes spécialement conçues pour eux. Il y avait même des rubriques spéciales dans les petites annonces pour ce genre de choses.
La municipalité faisait circuler des cartes canalisant la majeure partie des aventuriers vers des donjons connus, de façon cyclique, laissant “en jachère” certains autres donjons le temps qu’ils se repeuplent… Les autorités faisaient aussi de l’argent avec des taxes sur tout le butin rapporté d’aventure par les voyageurs, et la nécessité de déclarer les expéditions “au cas où on n’en revienne pas, pour prévenir les familles, organiser les secours, etc.”.
Dés lors, la prospérité aidant, il y eut de plus en plus d’aventuriers, attirés comme lors d’une ruée vers l’or, tant parmi les citoyens de la ville que d’autres coins du monde. Heureusement (enfin, si on peut dire) le taux de mortalité dans les donjons régulait la population et dissuadait beaucoup de gens de se lancer. Et tout ça grâce à un lieu inhospitalier au départ et à la planification avisée du maire et de ses conseillers !
Le fait que les joueurs soient au courant que les villages savent ce que font les PJ habituellement fait déjà hausser quelques sourcils… Quand ils comprennent que ces gens s’attachent à les servir comme une industrie rentable, plutôt que de les considérer comme des sauveurs et des héros rares et précieux, cela soulève encore d’autres questions. Des questions bien plus épineuses, et beaucoup plus inquiétantes…
C’est que le business est risqué. N’oublions pas qu’il s’agit de vie ou de mort, de monstres dangereux, de grosses saloperies… Et que les aventuriers eux-mêmes peuvent échouer. Prenons l’exemple de Piéjakon, un village reculé mais normal, qui a un problème de monstres. Peu importe lesquels. Avant la venue d’aventuriers, les habitants vivent loin de tout, dans la pauvreté la plus noire… Et ils risquent chaque jour d’être la proie de créatures impies.
Un jour, ils voient débarquer des gens odieusement riches, portant sur le dos des armures magiques qui valent plus que ce qu’un paysan pourra toucher d’argent en une vie entière… Ces aventuriers sans gêne houspillent le patron qui n’a pas de bière naine, déclenchent une bagarre de taverne, la gagnent, font les poches des corps des villageois qu’ils viennent de tuer dans la bagarre… Et ils demandent encore de l’argent pour les “libérer du mal” !
Finalement, les aventuriers tuent deux ou trois monstres, puis se font tuer bêtement par plus fort qu’eux. Eh oui, ça doit arriver souvent, sinon l’intérêt du jeu de rôles faiblit ! “A vaincre sans péril”, et tout ça… Au sortir de leurs caves (où ils s’étaient réfugiés pendant le combat) les villageois hébétés se retrouvent avec des mercenaires morts à leurs pieds… Rectification, des mercenaires morts qui furent odieusement riches.
Ont-ils des scrupules à fouiller les corps et revendre les objets magiques à la grande ville ? Je ne sais pas pourquoi, mais je ne crois pas ! Cela fait plutôt bien vivre le village pendant un certain temps. Pour autant, personne ne pense à en faire une habitude. C’est alors qu’arrive un deuxième incident similaire l’année suivante… Du coup, les habitants commencent à rendre le village plus risqué pour les aventuriers.
S’ils tuent des monstres, très bien… Sinon, on en profite aussi. Il peut s’agir, simplement, de “filtrer” les informations cruciales sur le nombre, la localisation et les habitudes des monstres… préférer se réfugier dans les caves qu’organiser des patrouilles la nuit et construire une palissade… Il est possible aussi que, finalement, le village ait un “contrat” plus ou moins tacite avec les monstres locaux les plus intelligents.
“On aiguille les voyageurs vers votre embuscade, et en échange vous nous laissez une partie du butin”. Ce genre de choses. “Vous voulez un permis pour exhumer des corps dans le cimetière pour votre culte démoniaque impie et vos expériences funestes ? Pas de problème… Pensez à nous quand des naïfs viendront vous voir avec des talismans inefficaces et de l’eau absolument pas bénite par notre prêtre !”
Plus tragique encore… Promettant une bonne récompense et leur gratitude éternelle dans de jolis tracts, à coups de messages larmoyants répandus par toute la contrée, le village de Piéjakon se dit assailli par un dragon ou quelque autre menace tout aussi grave et en appelle à des “sauveurs”. Des aventuriers arrivent, on leur indique une grotte dans les parages. Ils y entrent… Et deux villageois cachés scellent l’entrée derrière eux.
La grotte a été entièrement explorée par les villageois et ne comporte aucune autre issue. Elle est aussi dépourvue de monstres… Mais ça n’est pas grave, car les villageois ne l’ouvriront pas avant au moins un mois (plus si les aventuriers sont nombreux, en cas de cannibalisme). Comme les autres grottes de la région, elle est une ressource naturelle. De temps en temps, ce village qui serait autrement indigent revend un objet magique “rapporté des ruines et donjons alentours”.
Certes, il suffit qu’un seul aventurier survive et rejoigne le reste de la civilisation pour que le stratagème soit éventé… Mais le croira-t-on ? Après tout, les donjons, c’est supposé être dangereux… C’est normal que peu en reviennent. Si les villageois n’ont pas recours à ce stratagème trop souvent, tout va bien pour eux. C’est tout juste si une légende sera colportée autour de “la ville qui piège les aventuriers”… Saura-t-on seulement que c’est eux ?
Sans en faire un cas général, peut-être qu’il y en a plusieurs, de ces villages. Les aventuriers sont des proies difficiles, mais très rentables. Peut-être que d’autres villes, même celles dotées de vrais donjons, pratiquent ce genre de choses de temps à autres… Ou qu’au moins quelques criminels le font dans leur population. On parlait plus haut d’un monde quelque peu sombre… C’est assez sombre pour vous ? C’est plutôt réaliste, et fait.
Je suis un de ceux qui aiment le réalisme dans ses jeux… La vraisemblance, en tout cas. Je suis agacé quand les réactions des personnages non-joueurs ne sont pas logiques, ou quand la géographie n’est pas crédible, ou quand je ne peux pas croire à certains détails de l’univers de jeu. Quand on n’y croit pas un minimum, à quoi bon jouer ? C’est comme une pièce de théâtre ou un livre dans lequel on n’arrive pas à “rentrer”.
Partant, pourquoi l’économie serait-elle le parent pauvre des détails de l’univers de jeu ? Certes, c’est ennuyeux pour certains. Je dirais même chiant. Mais ce n’est pas plus chiant que les notions de psychologie, géologie, géographie, Histoire, voire même métallurgie ou physique dont font preuve ces geeks de rôlistes lorsqu’ils conçoivent leurs univers de jeu, leurs scénarii, leurs règles, maison ou non.
Du reste, nous venons de voir qu’on n’avait pas besoin de se plonger à corps perdu dans les théories macro-économiques niveau HEC pour gérer tout ça de façon un peu plus réaliste, un peu plus vraisemblable… Tout ceci permet d’ailleurs de poser de nouveaux défis inattendus pour des joueurs habitués à des villages entiers qui les attendent comme des damoiselles en détresse, leur passent tout, et disposent de toutes les commodités.
Certains diront que l’achat et la revente de matériel n’est pas leur partie préférée du jeu… Bien que cela soit démenti par les activités principales de ceux qui s’adonnent aux jeux vidéos du style RPG, on ne peut que les croire sur parole. Peut-être qu’on ne devrait pas examiner d’aussi près l’économie médiévale fantastique… Peut-être qu’il y a du bon dans une certaine innocence vis-à-vis de ces questions. C’est un jeu, après tout.
Cependant, les choses sont plus intéressantes ainsi, non ? Et pas forcément plus compliquées… C’est un autre genre d’aventures, où les aventuriers risquent peut-être plus gros s’ils ne font pas attention : Sont-ils aussi riches qu’ils le croient ? Vont-ils devenir aussi puissants qu’ils le veulent, aussi vite ? Vont-ils devoir revendre leurs objets magiques pour manger demain ? Ont-ils bien pesé les conséquences de cette bagarre de taverne ?
Tout ce qui met les PJ en face des conséquences de leurs actions ne peut qu’ajouter de la profondeur au jeu.
7000 lignes… ben ça se lit bien en fait!
Merci Mucius de mettre un peu de réalisme dans ces fameux villages. Quand je joue a pathfinder avec mon MJ, j’ai toujours l’impression de visiter Eurodisney : c’est cliché, c’est plat, convenu et ça fait faux façon décors en carton-patte.
Je lui donnerais ton article :)