Où Mucius, qui est un joueur absolument odieux dans la vraie vie, fait un peu son autocritique… Il espère vous faire prendre conscience, à vous, joueurs, que le MJ est un animal fragile plein d’insécurités, qui n’aime pas être brimé.
Prenez soin de lui, il vous le rendra !
Un bon MJ est une chose rare et précieuse, il faut le respecter et le reconnaître à sa juste valeur. Il existe de nombreux articles (j’en ai moi-même écrit) sur les multiples tâches du MJ, comment les rendre plus simples ou, souvent, les complexifier pour le plaisir de tous. Toutes tournent autour du contrat que passe implicitement le MJ avec les joueurs : il veille à l’adjudication équitable des règles, à offrir une histoire intéressante, à ce que la partie se déroule sans heurts…
Le MJ, non sans une noble abnégation, prend sur lui ces lourdes responsabilités. Qu’a-t-il en retour ?
La satisfaction d’avoir créé une belle histoire, le plaisir du jeu ? Oui, évidemment… Mais ça, les joueurs l’ont aussi, et sans le surcroît de travail et de fatigue avant et pendant la partie (mener une partie est assez éprouvant par rapport au simple fait de la jouer, je peux vous l’assurer !). D’autant qu’on accuse toujours le MJ si le scénario ne s’est pas bien déroulé, s’il n’est pas prêt à temps, s’il oublie une règle, ou s’il n’arrive pas à gérer tel ou tel problème à la table de manière satisfaisante.
Et c’est normal… Le MJ lui-même se sent responsable lorsqu’il y a un problème : même s’il n’a rien fait, il aurait pu le prévoir, l’empêcher, désamorcer la crise… “Cette partie était trop difficile”, “J’aurais pu leur accorder ça”, “J’aurais dû mieux utiliser tel monstre”, “Ceci aurait pu être mieux équilibré”, “J’aurais dû retravailler ce scénario du commerce”… Les meilleurs battent ainsi leur coulpe. Il y a certes de mauvais MJs… Mais maîtriser cet art n’est jamais facile.
En tant que MJ, je me reproche même de mal gérer les absences ou les retards des joueurs (parce que je déteste ça, il faut dire) et de ne pas assez bien les jouer en tant que PNJ, alors même que l’absence n’est objectivement pas ma faute. Il est grand temps que certains joueurs apprennent à respecter le titre de celui qui, bien souvent, n’a que la responsabilité d’un maître sans en recevoir le juste hommage… A respecter, non à craindre ; à comprendre, non à blâmer.
Il est temps de me confesser : je suis un joueur ignoble. Vraiment. Peut-être que j’ai de moins en moins de patience en avançant en âge (et en expérience) en tant que MJ… Moins de patience avec les histoires que je n’aime pas… Je sais de mieux en mieux ce que j’attends d’une “bonne” partie, mais ça n’est pas une excuse…
Lorsque j’ai le sentiment qu’un jeu me fait perdre mon temps, que mon personnage est inutile à la table, ou que quelque chose n’est pas logique chez les PNJ, l’univers ou le scénario qu’on me fait jouer, je peux être désobligeant jusqu’à être infect.
C’est mal. Bon, j’essaie de me contrôler. Mais c’est difficile.
J’ai la chance immense de n’avoir pas de tels joueurs à mes tables actuelles (même si par le passé il n’en a pas toujours été de même…), mais ma sympathie va aux autres MJ dont j’entends les histoires… Et à ceux qui me font jouer à l’occasion.
Afin de tenter de résoudre le douloureux problème de l’ingratitude perçue de beaucoup (et du franc mépris de certains), voici quelques conseils pour VOUS, les joueurs, pour un plus juste partage des tâches, un plus juste équilibre de la palme et de l’anathème :
D’abord, le MJ n’est pas contre vous.
Sérieusement, le MJ n’est pas votre adversaire, et si vous pensez qu’il est là pour vous torturer, changez de jeu… Son but premier n’est pas le TPK, mais simplement de faire que tout le groupe s’amuse (parfois au détriment de son propre plaisir, et sans doute au détriment de son temps de sommeil la veille de la partie). Ne lui reprochez pas tout. Si il y a quelque chose à la table qui ne va pas, restez poli, explorez toutes les possibilités avant de blâmer le MJ ou qui que ce soit…
… et vérifiez que ce n’est pas de vous que vient le problème.
Parfois, vous aurez la sensation que, à votre avis, le MJ est injuste. Erreur d’interprétation de règle, abus quant aux pouvoirs des monstres, un certain favoritisme pour tel ou tel personnage… Quoi que ce soit, vous le percevez comme inique ou fautif. Premièrement, veillez à signaler aussi de telles “erreurs” en votre faveur lorsqu’il y en a, sinon vous ne serez pas crédible ! Deuxièmement, vérifiez si c’est vraiment une erreur, donnez au MJ le bénéfice du doute.
Peut-être qu’il y a eu un malentendu d’un côté ou de l’autre… Il est facile au MJ d’oublier de décrire quelque chose, et aussi facile à un joueur de manquer une phrase ou un mot dans le propos du MJ. Veillez à ne pas être ce joueur : Voyez si les autres se plaignent aussi de la méprise supposée. A la fin seulement, signalez au MJ (poliment !) qu’il y a peut-être un problème… Au pire, vous en serez quitte pour une consultation du livre de règles. Il est si facile, ensemble, de corriger le tir !
Dans tous les cas, respectez la décision du MJ quant à un point de règle ou une situation, même si ça n’est pas écrit dans le bouquin. Pourquoi ? Parce que c’est le MJ, et qu’il est là pour ça… Mais vous aurez bien entendu le droit de lui faire remarquer s’il se contredit plus tard !
Si vos personnages “en bavent” vraiment beaucoup, peut-être que votre MJ essaie d’instaurer une certaine tension dramatique en mettant réellement vos personnages en danger. D’habitude, c’est très bien… Mais parlez-en avec lui. Peut-être qu’il a mal jugé la puissance des PJ, de leurs adversaires, l’impact (psychologique ou en termes de règles) d’une scène… Soit il ne s’en est pas aperçu, auquel cas il corrigera le tir, soit c’est voulu… Et il vous dira peut-être si cela va continuer comme ça.
Entamez le dialogue, et décidez de la suite en fonction de cela. C’est souvent temporaire, ou le fruit d’une erreur de bonne foi; veillez juste à ce que le MJ comprenne votre ressenti. Ouvrez-vous aussi aux autres joueurs : Qu’attendent-ils de ces parties (difficulté, ambiance, scénarios, réalisme…) ? Et vous ? Si tout le monde perçoit le problème, alors le MJ se fera fort de le régler… Si ce n’est que vous, un compromis peut souvent être trouvé. Il est rare qu’on doive quitter une table pour ça.
Il est toujours bon, quoi qu’il en soit, de faire le point sur les attentes des joueurs et du MJ. Même lorsque les attentes de chacun sont différentes, il est rare qu’un bon compromis soit impossible.
Si une situation vous semble digne d’une quête (injustice criante pour un PJ paladin, opportunité pour un PJ voleur, description de quelque chose qui vous rend mal à l’aise en tant que joueur comme l’esclavage, la torture, l’exploitation d’enfants, la dictature…), mais que le MJ refuse visiblement de vous laisser l’explorer, ne lui reprochez pas forcément son dirigisme… On ne peut jamais deviner ce que feront les joueurs.
Il n’a probablement pas prévu cela, Ou il pense que c’est au dessus de ses forces de l’improviser, ou ça prendrait trop de temps, ou c’est une quête qui ne plait qu’à vous… Rappelez-lui gentiment le “contrat social du rôliste”. C’est flatteur pour lui : vous voulez explorer son univers ! Si ce que vous dites est vraiment logique par rapport au background (du PJ, du PNJ, du monde…), un bon MJ développera l’aspect en question pour vous… Et un excellent MJ en fera le sujet d’un prochain scénario.
Démolir le MJ ne servira à rien… Soyez donc constructif : Proposez des solutions, engagez un échange d’e-mails avec le MJ disant “mon personnage a envie de…” pour explorer le problème (en rôle ou hors-rôle).
Parfois (surtout si vous êtes MJ vous-même à vos heures perdues) vous voyez arriver ce genre de situation… Il peut vous être possible de prendre les devants. Un exemple pris au hasard… “Tu es sûr que la flèche magique de l’elfe ne lui a rien fait ?” Me demandait un joueur en début de combat… “Parce que si c’est le cas, je ne vois pas comment on peut battre cette bestiole”. Il avait raison : J’avais mal calculé la résistance magique… Le groupe était supposé avoir un personnage de plus, mais le joueur était absent.
Je me suis bien gardé de le lui dire, mais j’ai corrigé l’erreur en improvisant une nouvelle vulnérabilité au monstre en question. Bien sûr, parfois, vos intuitions seront mauvaises. Bien sûr, à trop questionner l’autorité du MJ, vous apparaîtrez comme un crétin méprisant. La limite n’est pas toujours claire entre les inquiétudes légitimes et le détestable “syndrome du MJ-joueur” qui vous pousse à critiquer le MJ en cours de partie parce que “c’est pas logique”, “vous, vous auriez fait autrement” (sous-entendu “mieux”).
Je n’ai pas d’autre conseil à vous donner que d’essayer d’avoir ce qui me manque, personnellement : du tact. En effet, il m’arrive rarement de surmonter cette terrible maladie du MJ qui rejoue… Mais je me soigne !
Enfin, souvenez-vous que le MJ a des besoins.
C’est parfois difficile à croire à ceux qui viennent du MMORPG, mais le MJ n’est pas un ordinateur, c’est un être humain qui a des hauts et des bas, comme vous. Un MJ heureux est un meilleur MJ. Un MJ malheureux est un MJ qui en a vite marre d’être MJ, et donc qui ne maîtrise pas longtemps… Ou pas avec vous, en tout cas. Qu’est-ce qui rend votre MJ heureux ? Pour le savoir, il faut le lui demander… Mais il est plutôt certain que ce qui suit figure dans sa liste :
Avant tout, rappelez-vous toujours les mots magiques que vous avez appris tout petit : S’il vous plaît et Merci… C’est simple et efficace, mais n’importe quelle expression visible de plaisir après une partie flatte l’orgueil de votre MJ, qui a travaillé dur (on l’espère…) pour ça. C’est sa récompense. Ne vous concentrez pas sur les mauvais points (sauf s’il n’y a que des mauvais points…), mais soulignez ce que vous avez aimé. Plus vous êtes spécifique, plus vous encouragez le MJ dans ces voies.
Vous pouvez en profiter pour glisser des critiques (constructives, bien sûr) et proposer des orientations… “J’ai bien aimé la négociation avec (tel PNJ) même si je n’ai pas eu l’occasion de jouer (telle partie de mon background)”… “C’était frustrant de voir le méchant s’enfuir à la fin… Mais c’est cool, j’espère qu’on va le retrouver !” “J’ai aimé l’atmosphère… S’il te plaît, tu pourrais faire un scénario avec encore des nains ?”… Je schématise, mais vous voyez l’idée.
Même lorsque ça a été, sans plus, dites “merci pour la partie”. Le MJ y a mis du temps et de l’effort, c’est la moindre des choses, non ? Si la partie s’est mal passée, à moins d’être lui-même extraordinairement mauvais, il est déjà au courant.
Plus que l’approbation verbale et le souci des convenances, il existe ce qu’on appelait jadis la politesse du cœur. Jouez votre personnage même quand ça ne vous arrange pas. Travaillez en équipe avec les autres joueurs, ne rompez pas la cohésion du groupe. Il y a toujours un moyen pour cela, et j’en ai déjà parlé dans d’autres articles… Respectez les autres joueurs, soyez honnête, ne trichez pas. Prenez des notes, partagez-les. Dessinez ou peignez des figurines (si vous savez faire)…
Soyez poli même quand quelque chose vous chiffonne (voir plus haut). De même, soyez là. Soyez disponible pour les parties (autant que possible), soyez à l’heure, évitez de décommander à la dernière minute. Il est difficile de concilier les emplois du temps, chacun doit faire un effort. Offrez de recevoir si vous le pouvez, amenez de la nourriture ou des boissons pour les autres de temps en temps (même pas trop chères !), payez votre part des pizzas commandées (ou offrez de le faire, au moins).
Inutile de faire des ronds de jambe, il ne faut pas confondre les convenances et l’aisance véritable ! il suffit simplement de penser au plaisir des autres autant qu’au sien, en jeu et hors-jeu… C’est tellement mieux quand tout le monde s’investit !
Rappelez-vous aussi qu’un joueur qui s’intéresse, c’est toujours agréable. Et rare. Le MJ a son petit côté artiste (le jeu de rôles est une activité créatrice, et le MJ est surtout un conteur). Il aime qu’on s’intéresse à son œuvre, ou au moins qu’on la respecte. Lisez et écoutez sa (mauvaise) prose (au moins un peu), souvenez-vous des détails de ce qu’il raconte, prenez des notes sur son scénario, aidez-le pour l’Initiative ou un autre point de règle s’il vous sollicite, et posez des questions…
Tout cela lui fait plaisir, ET c’est utile au jeu. On ne vous demande pas de vous forcer à aimer le monde “perso” de votre MJ, mais, au moins, essayez. Si vous aimez, vous pouvez aussi offrir de participer en soumettant certaines choses à l’approbation du MJ (telle faction, tel objet, tel PNJ…), ou rien qu’en vous investissant dans votre personnage (la guilde de votre voleur, le pays de votre demi-orque, le dieu de votre prêtre, l’université de votre magicien…).
Au pire, sans juger le travail de votre MJ, demandez-lui simplement de maîtriser quelques scénarios dans un autre univers que vous aimez tous les deux… Et même dans cet univers-là, intéressez-vous !
Bien entendu, si certaines parties de la campagne de votre MJ sont illogiques (Exemple vécu : “Tiens, la télépathie fonctionne comme ça, maintenant ? Mais ça veut dire qu’on aurait pas du tout fait la même chose au scénario précédent !“), que les réactions des PNJ sont forcées ou sans raison (Autre exemple vécu : “Nous venons à peine de rencontrer ce chef barbare, nous sommes ses prisonniers, et il nous fait confiance pour une mission secrète ?!“), ou qu’il y a foutage de gueule manifeste, même involontaire (Troisième exemple vécu; et en deux occasions différentes, qui plus est : “La suite du scénario est entièrement basée sur le fait qu’on se fasse arnaquer, et qu’on n’a pas le choix, même si on VOIT l’arnaque et qu’on refuse le truc ?!“), sentez-vous largement en droit de… Ahem… récriminer avec véhémence.
Mais évitez de faire un scandale à la table : ne gâchez pas le plaisir que d’autres pourraient tirer du jeu s’ils sont incapables de voir ces défauts ou s’ils les jugent mineurs !
Si je devais résumer l’idée principale du propos, je dirais que les maîtres mots sont l’amabilité, l’empathie, le respect, pour la résolution des problèmes éventuels en commun (comme le groupe des PJ est supposé le faire, d’ailleurs… une “leçon”, si on peut dire, que beaucoup oublient). Cela devrait aller sans dire. Il s’agit tout de même d’une soirée entre potes autour de quelques bières et d’un jeu, certes agréable mais pas non plus crucial quant au sort de la planète… Pourtant, ce n’est pas souvent le cas.
Les réactions des rôlistes (de par leur condition de geek, donc de passionné, et de par l’étrangeté intrinsèque d’un jeu où l’on adopte un autre rôle que le sien) sont parfois radicales, surtout lorsqu’ils prennent leur personnage ou le scénario à cœur…
C’est cela qui décourage un MJ même après qu’il ait accepté la plus grande part de travail qui lui incombe pour préparer son scénario. C’est aussi pour cela que le MJ est une espèce rare… on la chasse involontairement.
Le jeu de rôles, c’est comme tout loisir de groupe, il faut que chacun y mette du sien.
Recent Comments