Où Mucius, ayant conscience que, comme dirait Trajan, ça va sans dire, mais que ça va mieux en le disant, donne des conseils concrets pour la préparation de scénario qui font écho aux billets qu’il a publié depuis ses débuts sur ce blog.
Bon. Cela fait quelques temps que je bourlingue, question jeux de rôles. On me dit que je m’en sors mieux que d’autres, voire même très bien. J’ai pourtant des échecs. J’ai le bénéfice de l’expérience, mais je n’ai pas vécu étant jeune une époque ou le jeu de rôles était « cool », mainstream, et ou Internet, une source infinie de « live plays » était là pour expliquer ce que c’était et comment on faisait, et fournir les encyclopédies sur le monde réel et tous les mondes fictionnels que vous vouliez.
Je vois des gens qui font ça depuis un an à peine et qui ont, grâce à cela, le bénéfice de vingt ans d’expérience, des avancées sur la théorie des jeux et la psychologie, et ainsi de suite… et c’est très bien ! « Nous nous tenons sur les épaules de géants », et ainsi de suite. C’est ma passion, et je pense que je n’aurai jamais fini de l’explorer, ni de progresser, comme pour toute entreprise créative et artistique : il n’y a pas de « meilleur », il n’y a que des œuvres uniques, pas de perfection.
Je trouve qu’à une époque où les contenus médiatiques sont hautement consommables, ou l’art doit être « rentable », ou les « créatifs » sont précaires, dire que l’histoire dont on attend la suite chaque semaine n’est PAS en streaming mais celle que nous racontons ensemble autour d’une table, c’est un acte révolutionnaire. Et un créateur de lien social plus fort et plus intime que même les « fandoms » les plus enragées.
Dès lors, je trouve qu’il est important de continuer de jouer, et de jouer mieux, et de chercher à questionner sa pratique. C’est pourquoi je continue d’écrire ces articles, et c’est pour cela que je traite de nouveau des mêmes sujets après des années. Tout ça pour dire qu’il était temps pour moi de vous dire ce que j’ai appris de neuf depuis le temps… ce que j’ai appris à condenser et systématiser dans le processus.
Avec la légitimité de l’expérience, mais en reconnaissant que je suis déjà de l’époque révolue des premiers temps.
Je vous avais parlé de « Maîtriser Zen », de savoir comment se préparer, brainstormer et développer des idées d’histoires, inventer des backgrounds pour faire des personnages vraisemblables ; je vous avais même parlé de structure narrative, du contrat social implicite entre maître de jeu et joueurs… J’avais même abordé des sujets spécifiques, comme la structure des rencontres, la noblesse, l’économie, la bureaucratie et ainsi de suite.
Je vous ai dit quoi faire. Je vous ai dit « là, il faut que vous inventiez un village, une ville, un dragon, une auberge, un PNJ… » mais je ne vous ai pas dit en quoi ça consiste. Je vous ai dit « voici comment écrire une rencontre en détails », mais pas quand les placer. Je vous ai dit « il faut des choix », mais pas comment en fabriquer. Je vous ai dit « Dans un scénario ouvert, il y a des points que les PJs relieront » en supposant que vous saviez déjà créer ces points.
C’est ma faute, c’est ma faute, c’est ma très grande faute. Plus j’avance, plus je réalise que je crois avoir posé des bases, mais qu’il y a des choses encore plus basiques et plus essentielles.
Moi-même j’éprouve des difficultés à concevoir tout cela, en fait : Ce n’est même qu’en formalisant cet article (et d’autres) que j’ai vraiment réfléchi à ce que je faisais, au juste, quand j’écrivais un scénario. Il y a des choses piquées à droite et à gauche, parce que je m’y suis retrouvé moi-même ou que ça m’a fait progresser. Il y a des choses qui semblent évidentes pour les jeux narrativistes, et certaines qu’on ne peut pas formuler sans avoir fait des années de PMT.
C’est par cette démarche que j’essaie de formaliser ma méthode, et que je vous livre ce que je pense être un lot de conseils pas trop mauvais.
J’ai fait des rubriques sans ordre particulier. On commence par…
Adversaires et antagonistes
Traditionnellement, les PJs rencontrent des obstacles. Ils sont de plusieurs types : les gardiens, et les rivaux. Les gardiens sont des PNJs, des phénomènes naturels, des monstres ou des obstacles qui se trouvent sur le chemin des PJs, leur bloquant la route ; soit qu’ils aient pour tâche de garder l’objectif principal ou intermédiaire des PJs, qu’ils le possèdent, ou qu’ils passent par là. Une montagne escarpée, un dragon, un fonctionnaire obtus, un cadenas, un BBEG, autant de « gardiens ».
Les rivaux sont à la recherche de la même chose que les PJs, mais pour un but différent, voire opposé. Ils peuvent aussi être directement opposés aux PJs parce qu’ils désirent leur défaite ou leur mort. Les gardiens sont indispensables, les rivaux ne le sont pas… mais ils sont utiles pour créer un sentiment d’urgence, et font de bons méchants dans le cadre d’une campagne ou les PJs devront tenter d’aller plus vite que leurs rivaux pour atteindre un McGuffin, par exemple.
Il y a des codes concernant les rivaux qu’il est utile d’avoir en tête pour les créer : ce sont soit « les PJs en mieux », soit « L’opposé exact des PJs ». Ils ont la même puissance que les PJs, parfois un peu plus élevée. Ils sont généralement intelligents et jouent leurs capacités correctement. Ils ont des serviteurs et des informateurs, ce qui fait qu’ils ont généralement à peu près les mêmes pistes que les PJs. Vous pouvez y déroger, bien sûr, mais les suivre est rassurant et fonctionne toujours.
Les rivaux doivent avoir droit à leur scène d’introduction, bien sûr, qu’il y ait combat ou non… ils sont toujours tirés du background des PJs de toute manière, qu’ils soient de vieux ennemis introduits dans leur historique, ou que vous vous serviez de leurs motivations et objectifs pour concevoir les concurrents parfaits, et leur donner des capacités opposées ou identiques à celles des PJs afin de les faire encore plus enrager.
Pour ce qui est des gardiens, je vous engage à lire plus avant la rubrique « repos et rencontres » et « topologie et tables ».
Il y a quand-même quelques choses à dire sur les obstacles inanimés… D’abord, ils ne le sont pas. Considérez une montagne, une tempête, autre chose, comme un personnage qui agit selon une motivation, ou un comportement. Certes, c’est un comportement simple, mais il existe : « si les PJs font ci, il se passe ça », « d’abord, la tempête réduit la visibilité, puis elle attaque à coups de vagues »…
La montagne a des « armes », éboulement en phase 1, à-pics, terrain neigeux en phase 2, attaque de créatures aériennes (sbires)… la tempête a des attaques, telle une bourrasque, une lame, limiter la vision, rendre le terrain difficile… Leur objectif ? que les PJs n’atteignent pas le sommet, que les PJs n’atteignent pas l’autre côté de l’océan. Elles n’ont pas de points de vie, mais on peut les vaincre en utilisant des compétences à bon escient, en étant rusé, et en faisant des jets de sauvegardes.
Les obstacles physiques ont, plutôt que des « points de vie », un certain temps d’existence, un certain nombre de jets à réussir pour les traverser, et ainsi de suite… ce qui est rigoureusement la même chose, d’ailleurs : un certain nombre d’attaques à réussir contre un monstre, un certain nombre de coups à encaisser. Considérerez les obstacles comme un « boss », avec parfois plusieurs phases, ça vous changera la vie !
Plus généralement…
Plus une menace est dangereuse, plus elle est évidente. Les menaces qui restent secrètes ne font pas peur aux joueurs ni aux personnages, elles ne servent donc à rien dans l’histoire ! Arrangez-vous donc pour que les PJs aient connaissance de la fameuse conspiration qui les menace. Vous pouvez tout à fait créer des menaces insurmontables, à la condition qu’elles soient explicitement connues comme telles. Sinon les PJs vont tenter le coup, puis ils seront frustrés et vous en voudront.
C’est grâce à vos adversaires et vos antagonistes (et au talent de vos joueurs et l’intérêt de leurs personnages, mais ça, c’est hors de votre contrôle) que vos PJs vont « grandir » et progresser. La progression en puissance s’effectue entre deux scénarios, mais la progression narrative, elle, c’est ce qui fait que les personnages deviennent de plus en plus intéressants… et elle se fait pendant le jeu, souvent dans des directions que l’on n’attendait pas.
Pour provoquer ce genre de progression, les rencontres et les PNJs doivent être marquants. Pour marquer, toucher un PJ, il peut y avoir plusieurs moyens : le confronter à des antagonistes personnalisés (voir les codes des « rivaux » plus haute), ensuite le menacer de mort et le faire traverser des dangers réels, et enfin se servir de son background pour le confronter à ce dont il a peur et l’attirer vers ce qu’il désire (voir l’article « qu’est-ce qu’un bon background »).
Structure et scénario
On ne va pas revenir sur la structure du récit, j’ai déjà fait plusieurs longs articles dessus, de même que sur l’introduction et les descriptions, et même la préparation/écriture. Mais concrètement, comment on fait une fois devant la feuille blanche ?
Prenez votre stylo (ou votre traitement de texte) et écrivez, en une seule phrase courte pour chaque élément : des scènes mémorables que vous avez envie de faire, des personnages intéressants, peut-être une ébauche de quelques fins potentielles. Faites une liste des éléments intéressants des backgrounds de vos PJs et ayez soin de les inclure ou d’y faire référence. Puis, toujours grâce aux backgrounds, écrivez votre introduction.
Comme pour une dissertation classique, c’est beaucoup plus facile d’écrire l’introduction du propos si on sait d’abord par ou on veut passer, puis ou on va à la fin. Vous pouvez écrire tous ces éléments dans n’importe quel ordre, la structure idéale émergera à la fin. Vous allez aussi devoir couper sans merci ce qui ne « colle pas », à charge pour vous de garder ça dans un coin pour le mettre dans d’autres scénarios. Ou pas : vous aurez sans doute de meilleures idées plus tard.
N’hésitez pas à utiliser des flashbacks ou des scènes de rêves et de visions pour faire des références au background d’un des PJs. Prévoyez-en quelques-uns afin d’exposer le background des PJs à la table des joueurs (s’ils sont d’accord), et faites-leur confiance pour faire semblant d’ignorer ce que leurs PJs ne savent pas… cela les poussera à partager leurs backgrounds plus librement ! Vous pouvez aussi commencer une session de jeu « in media res » et exposer ce qui s’est passé en flashback.
De la même manière, utilisez l’ellipse. Plus j’avance et plus je l’utilise avec libéralité. Pas la peine de jouer tous les voyages et les transitions, surtout si c’est pour tuer trois gobelins bien en dessous du niveau des PJs. Racontez en deux mots ce qui s’est passé, ou qu’il ne s’est rien passé, et allez-y gaiment de votre « une semaine plus tard, vous arrivez à la ville de X ». Le nombre de session de jeu est souvent trop limité pour s’étendre là-dessus !
Ne gardez aucune de vos meilleures idées « pour plus tard » : il n’y aura PAS de plus tard. La plupart des campagnes ne se finissent jamais, et seules 2% dépassent le niveau 11 à D&D (ce chiffre est un peu plus élevé pour Pathfinder). Bref, les campagnes au long cours se font rares dans notre monde ou l’immédiateté et les mini-séries binge-watchées règnent en maîtresses. Vous aurez TOUJOURS une meilleure idée plus tard le cas échéant !
Faites-vous des « pense bête » ou des « bullet-points » dans chaque scène, pour vous rappeler des trois ou quatre points importants. Par exemple « ce monstre utilise tel pouvoir », ou « ne pas oublier qu’il utilise tel objet magique, et qu’ils le trouvent sur son cadavre à la fin », ou « ce personnage possède les informations suivantes », « ce PNJ dira ceci, ceci et ceci », « il interdira l’entrée sauf si X » : j’ai une mémoire éléphantesque, et même moi je ne pense pas à tout sans cela.
Ecrivez, écrivez, il en restera toujours quelque chose. Ecrivez jusqu’à ce que vous vous sentiez prêt. Au pire, vous n’aurez pas à lire vos notes, parce qu’en les écrivant vous les aurez en tête.
Choix et changements
Il y a des éléments qui rendent une histoire (et une session de jeu) palpitante. Vous n’êtes pas obligé de faire du palpitant constamment, vous pouvez tout à fait faire des histoires plus calmes, mais même là vous devrez quand-même proposer des choix, des dilemmes. Le choix est l’essence du jeu de rôles, sinon à quoi bon ? Lors de la préparation de votre session de jeu, veillez donc à inclure un ou plusieurs dilemmes.
Le dilemme est un choix entre deux options ou plus. Il peut être extrêmement basique, comme « passer par la forêt, dangereuse mais plus courte, ou faire le tour », « soigner X ou frapper l’ennemi », « marier la princesse de force pour faire une alliance, ou la laisser libre de choisir »… soyez certain que vos joueurs trouveront toujours une option à laquelle vous n’avez pas songé. Il ne vous est cependant pas loisible de ne pas proposer de dilemme, sous peine de faire des scénarios… nazes.
Le choix le plus complexe et le plus évident à la fois est le monde ouvert : laisser aller les PJs où ils veulent. J’en ai déjà parlé dans l’article sur l’ouverture du scénario.
Pour créer un dilemme, c’est facile : si vous avez une situation « plate » dans votre scénario, ajoutez une alternative. Prenez deux options et rendez-les soit désirables pour les PJs (ici des druides capable de soigner et donner leur savoir, là une ville avec des forgerons mythiques…), ou complètement indésirables (ici un dragon, là un démon) mais obligatoires. Les PJs devront choisir pour continuer. Ne vous inquiétez pas, vous pourrez réutiliser plus tard les chemins qu’ils n’ont pas choisis.
D’ailleurs ils se peut que les PJs souhaitent jouir des deux options l’une après l’autre ou en même temps, surtout si la récompense/motivation est à la hauteur (voir la rubrique « objets et objectifs » plus loin). Ne les punissez pas, ne les obligez pas à choisir ! Informez-les seulement des conséquences de leur choix : cela leur coûtera logiquement davantage de ressources, de temps, et de risque en voyage, par exemple.
Si les joueurs ne veulent plus avancer, en revanche, et refusent votre choix, c’est qu’il y a un problème d’intérêt de votre scénario, de peur, ou qu’ils ne voient pas la logique du choix en question. C’est le moment de les écouter : demandez-leur quel plan ils proposent. S’ils posent une question, comme « Avant de choisir entre le démon et le dragon, est-ce qu’il n’y a pas une ville avec un forgeron mythique pour qu’on ait des armes adaptées ? », répondez-y de préférence par oui, ou équivalent.
Il n’y avait pas de ville ? Tant pis pour vous ! Si vous êtes déjà à la table de jeu et que vous n’avez pas prévu ce que les joueurs ont choisi, c’est facile : soit vous vous arrêtez en disant « je ne suis pas prêt, on verra ça la prochaine fois », soit vous faites une ou deux petites rencontres génériques (ou prévues, voire plus loin ) sur le chemin vers cette destination, et vous arrêtez la session au moment ou vos héros arrivent près de la destination.
Aux joueurs, on ne dit JAMAIS non. C’est le prix à payer pour avoir des co-auteurs !
Dites de préférence « Oui, et… » (exemple : « oui, et il y a aussi des druides dans la forêt », et hop, vous introduisez un nouveau choix !) ou au moins « non, mais… » (exemple : « à votre niveau, vous n’avez ni les sous ni le temps pour ça… mais vous avez entendu parler d’un château hanté ou il y aurait des objets magiques… »). Quoi qu’il en soit, ne proposez jamais de choix qui n’influencent pas le reste de l’histoire, ou de « oui » qui ne change pas la situation des joueurs pour la suite.
Chaque choix que font les PJs leur feront, par exemple, affronter un adversaire différent, permettront à l’autre de poursuivre ses plans sans personne pour lui faire face. Ou, par exemple, leur donneront tel bonus plutôt que tel autre. Leur feront voir telle chose merveilleuse ou tel environnement dépaysant. Approfondiront l’histoire de tel PJ plutôt que tel autre. Utiliseront telle ressource plutôt que telle autre. Si l’une des alternatives est « neutre » quant à la suite de l’histoire, repensez-la.
Informations et idioties
Je vous l’ai déjà dit dans pas mal d’articles, particulièrement celui sur les enquêtes et celui sur les descriptions, mais vous, le MJ, êtes les sens des PJs. Ils n’ont d’informations sur ce qui les entoure QUE par vous. Faites des descriptions claires et compréhensibles sollicitant de préférence tous les sens des PJs. Exposez correctement la situation aux joueurs. Si vous pensez qu’ils ont mal compris pendant le jeu, clarifiez sans attendre pour éviter qu’ils partent sur de mauvaises bases.
Si vous constatez qu’ils prennent une décision illogique, récapitulez la situation, ou dites à celui qui la prend « avant de faire cela, tu sais, je vous avais dit qu’il se passerait probablement X dans ce cas, non ? », ça vous évitera des déconvenues… il ne suffit parfois pas d’un « est-ce que tu es sûr ? » appuyé. Il vaut toujours mieux donner trop d’informations que pas assez ! Donnez généreusement des informations, tant que c’est quelque chose que les PJs peuvent apprendre logiquement.
Il faut bien comprendre une chose : une information cachée, à la table, ne sert à rien parce qu’elle ne fait pas partie de l’histoire qui est racontée. Une information n’est jamais mieux cachée que quand les PJs ne la cherchent pas, et ils ne la chercheront pas s’ils ignorent qu’il y a quelque chose à chercher. Les joueurs ne chercheront spontanément les informations que très rarement, aussi n’hésitez pas à proposer des pistes : « si vous voulez en savoir plus, vous pouvez aller voir X ».
Si vous avez des joueurs qui posent des questions, répondez-y honnêtement dans les limites de ce que les PJs peuvent percevoir, deviner ou déduire… j’ai bien dit les PJs, pas les joueurs ! Les PJs ont des sens surnaturels, une Intelligence bien plus élevée, et une expertise que n’ont pas vos amis ! Si vous n’aidez pas les pauvres humains à votre table en forçant un peu les choses, personne ne fera de déduction holmesienne, ni n’émulera les stratégies d’Alexandre le Grand.
Tout le monde est frustré quand les joueurs n’ont pas assez d’informations, y compris le MJ à la peine qui ne peut que répéter « mais c’est pourtant simple ! ». C’est forcément simple pour celui qui l’a écrit ! Personne n’est frustré quand vous avez donné beaucoup d’informations, et que les joueurs ont pu deviner les plans du méchant, même si c’était un peu plus facile que ce que vous aviez prévu ! Bref, on ne le dira jamais assez : pas de rétention d’information. Préparez-vous à cela avant le jeu.
Repos et Rencontres
Il existe pour moi trois types de lieux. Le lieu « camp de base », en ville ou dans l’auberge, ou autre, le lieu « de transition », par exemple la forêt ou sur la route ou la montagne ou pendant la traversée ou certaines pièces du donjon… et le lieu « destination », qui est la dernière pièce du donjon, le village des minotaures, la salle du trône, et tout lieu dans lequel doit se dérouler une scène spécifique de l’histoire (combat final, interaction sociale importante, étape même facultative…)
Le « camp de base » est souvent décidé par les PJs, et vous pouvez très facilement vous constituer un dossier avec des plans ou des idées de ce genre de chose déjà créées pour tous vos scénarios. Vous n’en aurez que rarement besoin : uniquement si vous comptez faire attaquer ou cambrioler les PJs dans leur « camp de base ». Dans ce cas, Internet fourmille de plans génériques de campement et d’auberges, et vous savez à quoi ressemble une chambre d’hôtel pour les jeux contemporains.
Ce sont les joueurs qui décident de quand et ou ils se reposent… toutefois, s’il n’y a qu’une seule auberge dans le village et que toutes les clairières se ressemblent, c’est plus facile ! Mais attention, les PJs veilleront à se reposer dans un endroit qu’ils pensent sûr pour eux : ce serait illogique qu’ils se fassent attaquer chaque fois qu’ils se reposent, ou jamais ! Les PJs doivent pouvoir se reposer en sécurité dans la majorité des cas, même si pas tous, sinon à quoi sert leur expertise ?
Pour ce qui est des rencontres dans les lieux de « destination », elles doivent être bien plus scriptées. Ce sont souvent des scènes spécifiques, et j’ai déjà consacré au moins quatre articles aux combats « construits », un aux descriptions et conceptions de lieux « vivantes », ce qui devrait vous aider pour le « combat final » ou la « présentation du château/donjon/de la cité » et ainsi de suite. Ces scènes sont généralement au début, à la fin et à chaque étape du scénario.
Pour les PNJs dans les scènes sociales, c’est aussi facile que de jouer un PJ : chacun a une motivation et des compétences. Envisagez la rencontre sociale comme un combat ou chacun tente d’obtenir quelque chose de l’autre, si ça vous arrange. C’est ce que font un certain nombre de jeux, notamment Legend of the Five Rings qui possède un système de « combat social », ou FATE et l’Appel de Cthulhu pour lesquels le système est le même pour le combat que pour le reste.
L’introduction des PJs a fait l’objet d’un autre article, on n’y reviendra pas. Cependant, souvenez-vous que lorsque l’accroche du scénario est présentée aux PJs, il faut leur donner envie d’y aller : faites-leur miroiter l’intérêt de la chose, la récompense éventuelle. Informez-les aussi sur les menaces de façon crédible : une ou deux des choses les plus dangereuses à propos de la mission. Laissez-les découvrir le reste eux-mêmes, mais ne les laissez pas complètement dans le schwartz.
Ne leur faites pas une si grosse surprise qu’ils n’aient pour autre objectif que de rebrousser chemin, car ayant le sentiment d’être mal préparés ou qu’on leur ait menti ! Un voyage en bateau vers une destination convenue qui se finit en naufrage sur une terre inconnue, sans matériel et sans personne ? Faites-le une fois, pas deux. Un gros monstre jamais vu garde le donjon sans que personne ne le sache, et il n’y a pas le trésor convenu ? Vos joueurs vont déserter la table.
Dans le doute, faites intervenir les rivaux des PJs, surtout si les PJs s’ennuient.
Topologie et Tables
La majeure partie des rencontres auront lieu dans un « lieu de transition ». Pour ce qui est des rencontres, je suis contre les tables aléatoires… mais pas contre les tables tout court ! Je m’explique : comme pour le reste, je fais des listes. Je prépare au minimum trois rencontres (et au maximum 6) dans un lieu donné. Pas plus : elles ne seront pas jouées. En fonction de l’ambiance à la table, je choisis sur le moment une ou plusieurs rencontres à mettre en face de mes joueurs.
Qu’est-ce que je veux dire par « ambiance » ? Je me pose les questions suivantes : est-ce qu’il y a déjà eu un gros combat marquant et intéressant cette session de jeu ? Est-ce qu’il y a eu assez de petits combats ? Est-ce que cela fait longtemps qu’ils n’ont pas eu un obstacle naturel ou une énigme ? Une rencontre sociale ou un lieu pour se reposer ou réfléchir ? Est-ce qu’ils ont envie de rester dans ce lieu, ou de passer à autre chose ? Est-ce que la session de jeu va devoir s’arrêter bientôt ?
Cela m’aide à rythmer ma session de jeu.
En fonction de ça, j’utilise ce qu’il y a sur ma « table de rencontre ». Cette table, sous la forme d’une liste avec trois lignes ou quatre par entrée, comporte presque systématiquement 1) une rencontre avec un personnage pittoresque, marchand, fuyard, barde, animal parlant, lieu étrange avec une histoire, etc. 2) un combat très dangereux avec un plan de l’endroit, et 3) une rencontre de combat qui n’a pas de rapport avec l’intrigue principale mais fait couleur locale.
Le cumul est permis, mais ne faites pas de remplissage. Chaque rencontre doit vous paraître intéressante et avoir le potentiel de choquer ou changer les plans du groupe, ou au moins de distraire les joueurs. Coupez ce qui vous semble inintéressant, ne gardez pas vos « meilleures idées » pour plus tard (je l’ai déjà dit, cela vaut d’être répété), et ne vous tracassez pas pour les rencontres qui ne seront pas jouées : vous les réutiliserez dans un autre lieu, pour un autre scénario.
Toutes peuvent avoir lieu dans n’importe quel ordre, ou pas du tout. Aucune n’est indispensable au scénario, à la différence des autres « lieux ». Presque toutes ont une menace potentielle (toutes, si le lieu de transition est réputé dangereux), mais toutes ont une petite histoire et un objectif au-delà de la pure hostilité : des loups sont là pour manger, des bandits pour voler, un lieutenant du méchant pour arrêter les PJs, et il est chaque fois possible de s’en tirer sans combattre, quitte à fuir.
La plupart de ces rencontres de combat peuvent s’effectuer sur des plans de lieux génériques trouvés sur Internet si vous utilisez des figurines. La plupart sont aussi recyclables dans des biomes similaires. Très souvent, plusieurs rencontres auront une « histoire » différente, mais les caractéristiques des monstres seront les mêmes ! Hommes-loups avec une attaque de morsure et un grand gourdin ou minotaures avec une attaque de cornes et une hache à deux mains, quelle différence ?
C’est sur le moment, pendant le combat, en fonction de la personnalité et la tactique de ces adversaires, et en fonction de la topographie du lieu, que la différence se voit ! Pas dans le nombre de points de vie ou les jets de sauvegardes, ça c’est votre petite cuisine derrière l’écran. Tout au plus le type de dégâts change-t-il un peu. Vous n’avez même pas besoin de toutes les caractéristiques : dans le doute, en D20, un score fort est 16 (+3), faible 8 (-1) et moyen 11 (0).
Le comportement d’un monstre ou d’un méchant est simple, et vous pouvez l’écrire en face de l’entrée de sa rencontre dans la table : si vous ne les connaissez pas par cœur, écrivez trois des pouvoirs/attaques les plus cools ou spectaculaires du monstre en question (si ce n’est pas spectaculaire, à quoi bon ?). Ecrivez la motivation de la créature, partant, écrivez ce qu’elle a tendance à faire en combat. Ecrivez à partir de quand elle estime que le jeu n’en vaut pas la chandelle, et fuira.
Décrivez le lieu, qui ne doit JAMAIS être juste une étendue plate ou une pièce vide. Il doit y avoir des endroits ou se cacher, peut-être des objets interactifs, pour rendre le combat intéressant. En bref, j’en ai déjà parlé dans « monstres et rencontres construites », mais chaque rencontre, combat ou non, doit 1) mettre en scène des antagonistes/PNJs avec des motivations, même si c’est juste l’environnement 2) coller avec le lieu et l’univers, afin de le rendre vivant et 3) être mémorable pour les PJs.
Objets et objectifs
Les PJs, quel que soit le jeu, cherchent quelque chose ou obtiennent quelque chose, soit en récompense, soit au cours de l’aventure. Cela s’appelle le trésor ou des objets magiques (ou les plasto-crédits et les prototypes d’armes plasmiques machintruc dans un jeu de SF). Cela peut aussi être des informations, matérialisées par la personne qui les possède ou par l’objet qui les contient, un McGuffin, un objet de quête, bref… quelque chose de tangible.
Ou se trouve le McGuffin ? Prévoyez un lieu intéressant, d’autant plus intéressant et unique que le « trésor » l’est. Une incroyable armure magique qui traîne bêtement dans une pièce aléatoire d’un donjon, c’est nul, personne n’y croit : pourquoi se trouve-t-elle là ? Le livre avec la bonne info, suffit-il vraiment de l’emprunter à la bibliothèque municipale ? Tout ça n’a pas besoin d’être dangereux, ça peut juste être complexe, caché derrière une énigme, et ainsi de suite.
Mais le danger, quelle qu’en soit la source, peut être une bonne idée pour intriguer les joueurs et attirer leur attention sur l’objet en question. En effet, l’objet ne doit pas être en libre accès, à moins que l’énigme à résoudre ne soit justement de découvrir en quel lieu chercher (personne ne sait que l’info se trouve dans CETTE bibliothèque, personne ne sait que les ruines du temple se trouvent à cet endroit, personne ne parle plus l’énochien archaïque, etc.)
Pourquoi personne ne l’a pris avant les PJs (particulièrement leurs ennemis) ? Peut-être que personne ne sait qu’il est là. Peut-être que c’est très dangereux. Peut-être que personne ne sait qu’il est utile, ou qu’il n’est utile que dans certaines circonstances. Le Necronomicon est à la bibliothèque de l’Université de Miskatonic… Mais alors pourquoi n’importe quel sectateur fou n’y a pas accès ? L’épée magique traîne bêtement dans le donjon, alors pourquoi les gobelins ne l’utilisent-ils pas ?
S’il s’agit d’une récompense, réfléchissez à pourquoi elle n’a pas été distribuée avant : somme d’argent ou fief, à qui appartenait-elle? Est-ce que cela lèse quelqu’un ? Si c’est un trésor dans un donjon, arrangez-vous pour qu’il soit relativement inconnu, ou que les PJs soient à la confluence de toutes les informations et opportunités. Pourquoi eux ? Pourquoi pas directement leur commanditaire, leur adversaire, ou les gardiens du donjon ?
S’il s’agit d’informations, par exemple détenues par un témoin, le témoin en question peut se cacher, ou ne pas savoir que ses informations sont importantes, ou la personne qui serait compromise par ces informations ne sait pas que le témoin existe. Si c’est une information contenue dans un support elles sont peut-être codées, ou à chercher dans une énorme masse d’informations anodines, ou derrière un PNJ retors, réceptionniste vindicative ou bibliothécaire tatillonne.
Le plan de la banque et des immeubles attenants est par exemple au fin fond des archives municipales datant de 1958… Le rituel du Grand Cthulhu est dans un incunable dont personne ne sait lire la langue, et peu de gens croient à la magie… La preuve des malversations du vice-président est bien cachée dans les comptes de la mégacorporation, copiables pour peu qu’on ait les autorisations, mais compliqués à éplucher : pourquoi le ferait-on si on ne soupçonne rien ? Et ainsi de suite.
Dans tous les cas, si vous n’avez aucun trésor et aucun McGuffin dans votre scénario, aucun objectif ni aucune récompense à la fin, pas même les honneurs ou la reconnaissance, c’est qu’il y a un problème : la motivation. La simple survie de vos PJs ne peut pas être, à mon sens, suffisante, sauf si votre scénario est juste une lutte sans objectif intermédiaire, sombre, sans gradation, souvent sans raison. Personnellement, j’ai toujours détesté les scénarios « fuite en avant » de ce type.
Même dans le film « les gardiens de la galaxie », les héros sauvent tout le monde par altruisme et instinct de survie, mais sont tout-de-même récompensés à la fin par un peuple reconnaissant et sortent grandis de cette aventure.
D’une manière générale, plus grand a été le risque, plus grande doit être la récompense. La récompense étant située à la fin d’un scénario, c’est le seul moment ou vous pouvez faire qu’elle ne soit pas « portative », car n’ayant pas vocation à être utilisée tout de suite. Sa valeur est d’ailleurs inversement proportionnelle à son utilité directe et sa praticité : un énorme trésor intransportable, une faveur du roi utilisable à condition de se déplacer pour aller le voir, un fief dont il faut s’occuper, etc.
N’hésitez pas à le dire à vos joueurs : les PJs ne se lanceront jamais dans une aventure si c’est juste pour affronter des trucs dangereux. Dans le doute, donnez leur davantage d’informations sur la récompense éventuelle sous forme de rumeurs, ou par la bouche d’un PNJ qui raisonne tout haut : « j’ai entendu dire qu’il y avait un trésor d’au-moins X pièces d’or… » ou « je crois que les sortilèges secrets de Y sont dans les ruines de Z… » Il faut éveiller leur intérêt !
En guise de conclusion : rythme et ruses
Pendant la partie, il a un certain nombre d’habitudes à prendre. Vous les prendrez bien assez tôt, et pour cela il vous faudra jouer, maîtriser… bref, y aller. Pendant les trois ou quatre heures de votre première partie de jeu de rôle, vous en apprendrez davantage sur la maîtrise de jeu que tous les articles et chapitres de livres de règles réunis. Comme pour le théâtre d’improvisation, le marathon, le jeu d’échecs, ou piloter un avion : lire un livre sur le sujet ne suffit pas.
C’est pour cela que les vidéos de « actual play » sont importantes pour diffuser le loisir : on peut voir « comment on fait », plutôt que d’essayer de deviner comment ça doit être en lisant ! Elles remplissent une partie du rôle du « grand frère » ou du pote qui vous apprend le JdR. Moi, je peux quand-même vous donner un certain nombre de conseils dignes d’intérêt que vous ne comprendrez sans doute pas sur le moment, mais qui prendront tout leur sens après quelques « heures de vol ».
La gestion des combats est importante. Il faut, nous l’avons dit plus haut, bannir toute scène de combat dans une pièce vide ou un terrain plat. Ajoutez toujours un truc intéressant ou un événement en plein milieu du combat. J’ajouterais que si le combat doit s’éterniser, il faut l’envisager en « phases » (voir les articles « donnez-leur une/deux/trois chances de vaincre »). Dans D&D ou Pathfinder, les rounds étant longs, il faut que quelque chose ait changé presque à chaque round !
Si ce n’est pas un adversaire ou plusieurs qui sont tombés, un PJ mal en point, des mouvements qui ont changé la situation, il faut que vous vous y mettiez : changement de tactique des ennemis, arrivée de renforts, utilisation d’un pouvoir ou d’un objet magique que les PJs n’avaient pas vu, changement de « phase » du combat, ou même un événement extérieur : une avalanche soudaine, l’arrivée d’un gros monstre qui met les adversaires en fuite, bref, quelque chose qui bouscule tout.
Rien n’est pire que le combat qui prend des heures pour quelques rounds, du style « c’est chacun son tour de taper et tout le monde reste en place jusqu’à la mort ». Et ça vaut aussi pour les jeux d’enquête/sociaux ou le combat est d’autant plus rare.
Gérez le rythme de la session : il peut y avoir une session « shopping » ou calme de temps à autres, mais force est de constater qu’il en faut généralement pour tous les goûts, aussi faut-il placer une grosse scène de combat ou une grosse scène sociale (pas les deux, il n’y aura pas la place) dans une session de jeu. Si cela n’est pas prévu pour cette fois dans votre histoire, ajoutez-en une ! Il faut aussi une ou deux scènes de combat/conflit/sociales mineures avec ça.
Laissez vos joueurs respirer, et laissez-les jouer leurs personnages. Plantez le décor pour qu’ils jouent des scènes entre eux, et qu’ils se posent mutuellement des questions sur leurs backgrounds respectifs (surtout s’ils les ont gardés secrets). Au besoin, si les gens sont timides, rappelez-vous : cela va sans dire, mais cela a mieux en le disant ! Dites à haute voix « (PJ1), tu étais intrigué par la réaction de PJ2 lorsqu’on a mentionné X… ce serait le moment de lui poser des questions, non ? »
Attention, une telle scène, bien que calme, n’est PAS une pause. Prévoyez une pause juste avant une grosse scène : les PJs vont élaborer un plan, profitez-en pour aller aux toilettes, faire du thé… et surtout les écouter, afin de mieux réagir à ce qu’ils feront ! C’est aussi à ce moment que vous pourrez clarifier les informations des PJs en détrompant les joueurs (« rappelez-vous, ce n’est pas exactement ce que X vous avait dit ! »). N’oubliez pas, toujours donner des informations !
Si vous avez besoin de suggérer quelque chose ou, surtout, de poser une question aux PJs en cours de jeu, faites-le de préférence par le truchement d’un PNJ (et pas juste un type qui passe par là, hein, quelqu’un qu’ils connaissent et qui est avec eux). Par exemple « L’aubergiste vous demande… alors, comment est-ce que vous comptez l’affronter, ce dragon ? parce que j’ai entendu dire qu’il vit sur le pic de… » ça donne des infos, suggère une route, et pousse les PJs à faire un plan !
Par-dessus tout, connaissez vos joueurs. Adaptez ces conseils à votre table, jetez-les au panier si ça ne vous convient pas : ce sera toujours mieux de jouer à votre manière qu’à la mienne, parce qu’elle vous convient à vous.
Enfin, n’oubliez pas qu’il faut continuer à jouer : si la machine s’arrête, il devient de plus en plus difficile de la redémarrer à mesure que la date de la session précédente s’éloigne !
Comme je l’ai dit et redit, c’est là le meilleur des conseils : jouez !
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