Monstres et rencontres construites

Où Mucius, à l’aide d’un questionnaire qui a plus à voir avec Poirot qu’avec Proust, vous parle de ces PNJ injustement décriés et simplifiés, et pourtant essentiels… Les “Monstres Errants”. Ceci est valable pour tous les univers médiévaux fantastiques, mais la méthode est la même pour tous les jeux !

C’est vrai, quoi… Dans les scénarios, le moindre aubergiste ou marchand de tapis supposé interagir avec les héros a déjà un tic de langage ou deux, parfois même une motivation (du moins on l’espère pour votre scénario… Ne faites pas comme l’ami d’un ami, qui maîtrisait des scénarios dans lesquels tous les personnage “pas importants” étaient des hommes appelés Hans, joués sans aucune profondeur !). Même le chat du mage et le loup du rôdeur ont des semblants de personnalités…

Et ce sont des animaux ! Vous n’allez pas me dire qu’une tribu de gobelins qui sait fabriquer des armes a moins de motivations derrière ses actes que la première bestiole venue, si ?

Dans trop de scénarios, les monstres, en dehors du grand méchant (et encore), ne sont que de la chair à canon : Ils avancent en bloc sur les PJ, et tombent comme des quilles à la bataille les uns après les autres, jamais découragés par le monceau de cadavres qui s’accumule aux pieds des héros… On ne sait pas comment ils sont arrivés dans le donjon, ni pourquoi ils attaquent les héros spontanément; pourquoi ni contre qui ils gardent “une grosse somme d’or posée là, bêtement”, comme dit le poète…

On “chosifie” trop souvent ces créatures parce qu’elles sont issues d’un manuel différent et qu’elles portent le nom de “monstre”, non de “personnage”. Assez !

Si vous prenez le parti de la vraisemblance pour le reste de votre univers de campagne, pour la description de vos villes, de vos méchants, de vos PNJ importants, du quotidien de votre univers, de vos décors et ainsi de suite (et je vous le souhaite, car c’est bien plus immersif et satisfaisant pour tout le monde), il vous faut bien évidemment jouer les monstres “logiquement”, comme s’il s’agissait de vrais personnages : ils ont une vie, il vous suffit de l’imaginer.

Et n’allez pas croire que les monstres “non intelligents” ou possédant une intelligence animale doivent échapper à ce traitement. Sachez que, dans les films-catastrophes ladite catastrophe est considérée par les scénaristes comme un personnage ! Les adversaires de vos joueurs, à plus forte raison, ne doivent pas échapper à ce traitement… Pour tous, il convient de se poser les mêmes questions. Soumettez donc vos monstres à un interrogatoire en règle…

Ce ne sont que les questions traditionnelles de l’écrivain, d’ailleurs : Qui, quoi, où, quand, comment, et avec qui ? Cela peut paraître rébarbatif, mais il faut vous les poser, parce que chaque adversaire de vos héros est, de son point de vue, le héros de sa propre chronique. Vous pouvez vous les poser dans l’ordre que vous voulez, les réponses peuvent être très simples ou remarquablement complexes, mais vous devez les avoir si vous prévoyez de placer ces monstres en face de vos joueurs.

Ne vous inquiétez pas, je vais prendre un exemple (en italique) tiré d’un de mes scénarios, pour vous montrer…

1) Qui ?

Cette question de base semble simple… Mais qui sont vos “monstres” ? Est-ce un monstre unique (ours, dragon…) ? Un vortex magique aux effets étranges mais sans but ni conscience ? De quoi se compose le groupe de monstres ? Est-il petit ou grand ? Avec un ou des lanceurs de sorts ? Avec des non combattants (femmes, petits…) ? Est-ce qu’ils emploient des mercenaires ou des animaux domestiques ? Est-ce que leurs ennemis sont aussi dans la région ? Pourquoi CES monstres et pas d’autres ?

Disons que j’aie envie de placer un groupe de gobelins face à mes aventuriers. Je pourrais mettre quatre ou cinq gobelins, là, bêtement, sur la route… Mais d’où viendraient-ils ? Disons qu’il y a un groupe sur la route des PJ, et une tribu un peu plus loin. Je veux un druide ou chamane en guise de chef, et peut-être un apprenti, parce que ça me permet de leur donner un ours (compagnon animal). J’ai aussi envie de mettre un géant, mais je ne sais pas comment…

2) Quoi ?

C’est une question que beaucoup de gens oublient de se poser, car elle est un peu floue… Elle recouvre en fait la motivation des monstres, qu’ils soient plusieurs ou un seul. Que font-ils dans la région ? Est-ce qu’ils y vivent ? Sinon, pourquoi sont-ils venus ici ? Ont-ils choisi ? Quels sont leurs projets, quel est leur plan s’ils en ont un ? Le groupe est-il partagé entre plusieurs influences ou chefs, plusieurs plans ? Pourquoi maintenant, et pas il y a trois siècles ou dans trois mois ?

Mes gobelins viennent des terres sauvages et inexplorées à l’Est (les PJ le découvriront), vu que j’ai envie de ce côté “sauvage”… Ils viennent d’arriver, sans doute poussés par des guerres tribales dans leur région natale. Ils rapinent et brigandent les marchands, car ils apprécient les biens raffinés des humains et des nains de la région. Leur plan, classique, est d’accumuler des ressources et de l’équipement pour lancer ensuite des raids de plus grande envergure.

3) Où ?

Il vous faut choisir le lieu de la rencontre, qu’il s’agisse de la région concernée, de la tanière du monstre unique, du village des orques, ou du coin de route auquel est tendu l’embuscade. Peut-on les trouver en plusieurs lieux (nomades, grand territoire, raids…) ? Où est-ce (village le plus proche, route des PJ…) ? Pourquoi ici ? Est-ce qu’il y a des ressources intéressantes pour ces monstres ou pour leurs plans ? Les monstres ont-ils le choix du lieu (malédiction, emprisonnement…) ?

Nos gobelins brigandent sur la route entre la cité naine dans les montagnes  et la ville humaine de départ des PJ, parce qu’ils apprécient la bière naine… Je décide inopinément qu’ils la distillent pour en faire des bombes incendiaires, pour leur “grand plan” : voilà la ressource qu’ils désirent accumuler ! La tribu s’est établie dans une des tours de guet abandonnées de l’ancienne frontière avec les “terres sauvages” susmentionnées, aisément défendable, et plus patrouillée par personne en ce moment.

4) Quand ?

Question souvent passée à la trappe, hélas, elle reste importante, surtout pour les morts-vivants (vous devrez décider des causes de leur état et de ce qu’ils faisaient de leur vivant)… Depuis combien de temps les monstres sont-ils là ? Pourquoi se manifestent-ils maintenant ? Pourquoi personne n’a rien fait avant ? N’ont-ils prévu que de se manifester plus tard ? Quand le lieu d’habitation/de rencontre a-t-il été construit, dans quel but premier ? A-t-il changé au cours du temps ?

Les gobelins sont arrivés il y a six mois, mais la tour est là depuis longtemps. Elle est en ruine, mais elle doit disposer de caves voutées sur un ou deux niveaux (assez pour accueillir une tribu, quoi…). Disons que c’étaient des réserves d’armes et de nourriture pour les armées des temps passés. Il doit y avoir un tunnel de secours pour l’évacuation, que les gobelins utilisent. En quelques mois, les gobelins ont creusé des galeries autour de ces caves, ainsi que des défenses et peut-être des pièges…

5) Comment ?

Comment survivent vos monstres au quotidien ? De quoi se nourrissent-ils, et en quelle quantité ? Comment se protègent-ils (climat, famine, humains, animaux, autres monstres) ? Se reproduisent-ils et comment ? (comment les orques qui tendent des embuscades sur les routes ont pu survivre là depuis des générations…) Quelles sont leurs traditions, leurs valeurs et leurs tabous ? Leur religion ? Ont-ils des prêtres, des chefs, des chamanes ? Utilisent-ils une monnaie, si oui laquelle ?

La tribu des gobelins doit forcément compter femmes et enfants. Attaqués dans leur base d’opération, quelques guerriers héroïques protègeront la fuite du reste de la tribu par le tunnel de secours… Ils se nourrissent en chassant et en cueillant dans la région, et améliorent l’ordinaire avec les humains et nains capturés, et leurs marchandises… Mais ils doivent se faire discrets avant la mise en place du “plan”. Ils n’utilisent pas l’or comme monnaie, mais en font des bijoux.

6) Avec qui ?

Des humains vivent-ils non loin de là ? Que font-ils au sujet des monstres ? Comment les considèrent-ils ? Est-ce un mal nécessaire et toléré ? Une calamité à éradiquer ? Sont-ce simplement des voisins ? Est-ce qu’il y a d’autres monstres dans la région, et comment réagissent-ils (mêmes questions) ? Qu’en est-il des animaux de la région ? Des voyageurs occasionnels ? Les monstres ont-ils des contacts avec d’autres personnes (un maître, une autre tribu, un ami…), ici ou ailleurs, plus loin ?

Voilà la question qui rattache cette rencontre au scénario : Les humains commencent à se préoccuper du problème de brigandage, justification de la mission des PJ. Je veux surprendre mes PJ avec un géant… Les gobelins ont donc un objet magique qui leur permet de contrôler un géant. Comment l’ont-ils obtenu ? Eh bien disons que les gobelins travaillent pour un maître plus puissant, qui leur fournit de l’équipement… Un employeur un peu plus lointain…

Qui ? En échange de quoi ? Ah, ça, c’est un secret ! Moi je sais, mais les PJ le découvriront dans les scénarios suivants…

Voilà pour les questions… Je pense que vous avez compris que toute rencontre est une histoire en elle-même !

Ces questions valent pour toutes les confrontations, on le voit bien, qu’il s’agisse d’un monstre unique, d’un groupe de monstres, voire même d’un “phénomène naturel”, fut-il magique. Elles ont pour but d’éviter les invraisemblances, et de vous permettre de maintenir la cohérence de vos histoires, de votre monde. Les questions du “Comment”, notamment, se posent pour tout ce que vont rencontrer vos PJ, village humain ou dragon sur sa montagne !

Alors oui, évidemment, vous allez me dire “et pour les rencontres ou les trésors aléatoires, comment faire, comment prévoir” ?

Je passe très rapidement sur le butin, ou les “tables de trésors” de nos grands-pères… Pour moi, il n’y a pas vraiment de trésor aléatoire, mais on trouve sur un monstre ce qu’il est logique qu’il ait sur lui : les armes qu’il utilise, sa propre peau (griffes, crocs, écailles, etc. le cas échéant), un nombre de pièces de monnaie (s’il en utilise) fonction de l’économie de votre monde de campagne, de menus objets comme un sac ou des colifichets…

Les monstres nomades ont des rations, les ennemis riches qui s’insèrent dans la société humaine (pas ceux qui sont loin de tout ou ne paient rien parce qu’ils sont nobles) ont de l’or sur eux, certains ont des bijoux ou des objets spécifiques (livre de sort, vêtements sacerdotaux…), peut-être une potion ou deux à haut niveau… On ne trouve pas d’objets magiques aléatoires “sur” un monstre, parce que les monstres utilisent ceux qui sont utiles et laissent les autres chez-eux !

Pour ce qui est des gros trésors accumulés, comme ceux des dragons, les objets magiques trouvés doivent être détaillés un par un et avoir une importance narrative (le dragon les utilise, ou les met à part, parce que c’est rare et précieux). Les pièces… Eh bien les trésors de mes dragons sont réellement des tas d’or, avec des pièces pas forcément triées, anciennes, oxydées… Et innombrables. Avec peut-être quelques gemmes dans le tas, mais il faudrait passer des mois à tout trier.

Les PJ, s’ils arrivent à vaincre le dragon (ce qui n’est pas une mince affaire) pourront en emporter autant qu’ils peuvent en porter… Autrement dit, pas tant que ça. Déterminez à l’avance la quantité approximative de ce qu’ils emporteront en fonction de ce qu’ils feront, voilà tout. Quant aux armures, eh bien, il reste rare qu’elles soient de la même taille que les PJ et puissent être enfilées sans retouches, à plus forte raison une armure métallique (maille ou plaques) : Ce genre d’objet n’est pas “taille unique”.

Fin de la digression sur l’économie…

Les tables de rencontre listaient, à la grande époque, les monstres individuels (avec de la chance, des groupes déjà faits) en fonction du climat et du terrain. Cela s’appelait les “monstres errants”, et symbolisait la dangerosité de l’univers de jeu. Cela existe encore dans les jeux vidéos… Mais nous, nous cherchons à faire mieux ! J’ai un scoop pour vous, chers MJ débutants, si je n’ai pas été assez clair avant : les monstres errants sans mobile ni personnalité font tache dans un scénario autre que PMT.

Le paysage ne produit pas des kobolds par génération spontanée, et des golems de fer n’émergent pas du sol lorsque vos PJ ont monté de niveau !

Rien n’est plus agaçant que de rencontrer un monstre inapproprié à la région, dont on ne sait pas ce qu’il faisait là, et de se dire qu’on ne le saura jamais… Un monstre qui attend bêtement la venue des héros, qui les attaque spontanément, sans rime ni raison. Rien ne fait ce genre de choses dans la nature. En cela, même si vous organisez un combat (ou une “rencontre”, comme on dit à D&D4…), il faut qu’elle soit logiquement insérée dans l’univers, et que chaque participant ait ses raisons d’être là.

Si vous y tenez, créez vos rencontres comme des mini-scénarios, facultatifs, et faites vous une table ou vous tirez ces petits éléments d’histoire au hasard, pas simplement les monstres… Par exemple, au lieu de “brigands”, l’entrée de votre table sera “Un groupe de brigands tend une embuscade sur la route”. Concevez le groupe de brigand (le chef, ses acolytes, les particularités et armes de chacun, même s’ils ont tous les mêmes caractéristiques), leur tactique, et le lieu de la rencontre.

Autres exemples :

Les PJ doivent passer la nuit dans une vieille maison abandonnée hantée par un spectre” (Inventez un spectre avec son histoire, décrivez la maison…), “Une caravane de nains passe sur cette route, il est possible aux PJ d’acheter et vendre, et d’obtenir des informations sur la prochaine ville” (notez brièvement le type de marchandise, la trésorerie, les informations…), “Dans la forêt, un groupe de charbonniers dans une clairière offre le gîte aux PJ, mais veut les tuer et les dépouiller pendant la nuit“…

Et ainsi de suite.

Je ne renie pas ces intermèdes à l’histoire principale, qui peuvent être distrayants, voire même être intégrés au reste du scénario en faisant trouver aux PJ un objet ou une information qui les aide pour la suite… Cela peut aussi donner un élément de combat, d’action, ou un point d’orgue du même genre à une séance autrement trop plate… Ou, au contraire, si c’est une rencontre sans combat, permettre aux PJ de se reposer un peu.

Mais, comme tout dans votre scénario, ça doit être construit !

  1. En ce qui concerne le butin c’est vraiment quelque chose d’important. Pour les nouveaux joueurs habitué a des jeux-vidéos où tu peux looter une épée ultra puissante sur un slime… Il est bon de remettre de la cohérence.

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