Où Mucius réfute l’adage “entre amis autour d’une table, on ne parle pas de politique”… Et vous expose quelques idées pour concevoir un scénario politique, un scénario centré sur le social et non sur le combat !
Beaucoup de scénarios de jeu de rôles sont tous plus ou moins centrés autour des scènes de combat. C’est probablement parce que beaucoup de joueurs en redemandent… Le côté “film d’action”, le simple fait d’être des héros qui mènent à bien une quête, d’être ceux qui combattent le Mal (littéralement), et bien sûr le fait que la plupart des jeux de rôles sont principalement un système de combat assorti de quelques compétences… Tout cela y contribue évidemment.
Pour ma part, en tant que MJ, je prends souvent comme un échec personnel les rares fois où mes joueurs n’ont pas un moyen (certes bien caché) d’éviter un combat s’ils le souhaitent.
Evidemment, si vous faites ce genre de choses et que vous ne voulez pas que votre jeu se transforme en une fuite permanente, il faut trouver d’autres choses à faire à vos PJ. Les énigmes (comme dans le magistral article d’Augustus), les pièges, cela n’a qu’un temps… Lorsqu’on évite le combat, c’est toujours au profit des interactions sociales. Qu’il s’agisse de négociation entre marchands, d’intrigues de cours, d’arbitrage entre nations ou de querelles de clocher, c’est la même chose…
Elle a pour nom “politique”. Les enjeux en sont tout aussi hauts que ceux d’un combat, et c’est tout aussi intéressant ! Voici quelques recettes pour préparer ce genre d’intrigue… Des choses qu’on finit par faire instinctivement quand on a de la bouteille et qu’on examine les motivations de ses PNJs en profondeur, mais qu’il est bon de “poser” correctement. Envisageons les éléments spécifiques à ce style de trame scénaristique un par un…
Beaucoup de gens sont intimidés par les “intrigues de cour” (avec le combat, on sait à quoi s’en tenir…), mais vous allez voir, ce n’est pas si difficile !
Pour préparer un scénario “politique”, il faut comprendre la nature d’un dilemme faisant appel aux compétences sociales des PJ, et comment il diffère d’un moteur d’histoire plus classique… Ou plus habituel. La première chose à considérer, c’est la mission, la motivation des PJ. Que cherchent-ils à accomplir ? Il faut que le but du scénario soit quelque chose qui ne peut pas être obtenu par la force, ne serait-ce que parce qu’une traînée d’assassinats sanglants ferait tache dans le paysage…
Il ne peut pas s’agir d’un trésor qui pourrait être volé, acheté, ou pris sur un cadavre… Ni de la défaite pure et simple d’un ennemi en combat. Il faut que ce soit quelque chose d’abstrait, ou quelque chose de si étendu ou de si complexe que les PJ ne peuvent pas “simplement” y aller et se l’approprier. Alternativement, s’il s’agit de quelque chose de concret, arrangez-vous pour que les PJ se refusent à faire ce qui serait nécessaire pour l’obtenir par force (acte mauvais, crime, mauvaise réputation…).
Exemple : Les récoltes ont été mauvaise cette année. Le seigneur local embauche les PJs pour qu’ils trouvent de quoi nourrir ses sujets (les habitants d’une ville) cet hiver. Il est impossible aux PJ de chasser autant… Et piller les duchés voisins est hors de question, car cela menacerait la paix fragile au sein du royaume. S’ils réussissent, ils deviendront de vrais héros auprès du peuple, auront gagné un allié dans la noblesse, et probablement un titre quelconque à sa cour.
Voilà une bonne motivation… Considérons à présent l’adversaire des PJs.
A la différence d’un scénario orienté “combat”, le méchant n’a pas besoin d’être violent, ni d’en vouloir à la vie des PJs… Ils peuvent tout à fait se respecter, être du même “bord” ! La seule condition nécessaire et suffisante est que l’adversaire des PJs ait un objectif qui entre en conflit avec celui des PJs. C’est encore mieux si l’adversaire est quelqu’un que les PJs ne peuvent pas tuer, parce que ça desservirait leur cause, ou, mieux encore, que ça ne desservirait pas la cause de l’adversaire !
Exemple : Un noble ambitieux souhaite mettre fin aux raids des Barons de l’Est, ennemis de longue date menaçant le Royaume. A cette fin, il accapare toutes les vivres qu’il peut pour que ses troupes aient des provisions au printemps. Il veut certes agrandir ses frontières, mais il est patriote… Il estime qu’une guerre avec l’Est est une menace plus grande, et tant pis si quelques paysans doivent se rationner. Le tuer ne résoudra rien, et ne fera que le transformer en martyr ou faire passer les PJ pour des traîtres !
Bien sûr, ce n’est qu’un exemple simple… N’hésitez pas à donner aux PJs pour mission de contrecarrer les plans de quelqu’un d’autre, ou d’introduire plusieurs adversaires dont les buts entrent en conflit avec ceux des PJs de manière plus ou moins directe, et sont ou non compatibles entre eux. Les PJs devront décider de certains compromis, et, en fonction de leurs méthodes et de leurs actions, pourront s’allier avec les uns ou les autres…
Une fois ceci fait, il va vous falloir détailler un certain nombre de circonstances différemment d’un scénario classique.
Tout d’abord, décidez du lieu et de l’époque… Si votre scénario politique parle d’une querelle entre deux nobliaux locaux, ce n’est pas la même chose qu’entre deux nations membres de l’ONU. L’échelle est importante, ne serait-ce qu’à cause du temps de voyage (et des dangers de celui-ci, surtout dans un monde médiéval), et l’époque aussi : les moyens de communication, les conventions sociales, les lois… Tout cela change la façon dont les PJ peuvent ou non résoudre le problème posé.
Même au sein d’un même univers, la politique dans une tribu de guerriers nomades est bien différente de celle à la cour d’un prince. Intéressez-vous à la culture du lieu en question, aux coutumes, à ce que les gens estiment “honorable” ou non. Détaillez les lois du pays, surtout celles importantes pour l’intrigue (succession, crimes de poison, trahison, droits seigneuriaux…), et détaillez aussi le système de gouvernement… Toutes ces choses peu utiles lorsqu’il s’agit simplement d’aller casser du dragon.
Les PJ, qui doivent toujours résoudre le problème de la famine, ne pourront pas s’amuser à parcourir le pays pour aller de duché en duché constamment… Les voies de communications sont trop lentes. L’action devra se passer à la cour du Roi, dans son château. Pour ce qui est des lois, c’est système féodal classique… Le protocole exigera que les roturiers s’adressent aux nobles avec un grand respect, et que seuls le Roi et son chambellan décident de qui a audience officielle, et de qui sert d’arbitre.
Examinons à présent le plus important : les PNJs.
Dans une campagne politique, les PNJs doivent être plus détaillés que de coutume : Intéressez-vous avant tout à la personnalité de chacun, même des PNJs mineurs. Quitte à n’ébaucher cela qu’en deux mots, déterminez ce que chacun veut, et ce qu’il est prêt à faire. Les caractéristiques comptent moins que les motivations et le comportement général… Surtout en termes de loyauté, d’expertise, et d’informations : qui est au courant de quoi, et qui acceptera de le dire à qui, à quel prix !
Le valet du Duc veut-il entrer au service du Roi ? Ne désire-t-il que servir son maître, comme sa famille depuis des générations ? Est-il du genre à colporter les rumeurs, ou à réunir des informations en vue de chantage ? Trahira-t-il ? La servante est-elle paresseuse ? Discrète ? Approuve-t-elle les frasques de sa maîtresse ? Le duc a-t-il un secret ? Le Roi a-t-il un mignon ? Qui est au courant ? Qui décide de quoi ? Quels sont les moyens de pression que peuvent utiliser les PJ contre chacun ?
A la capitale, les PJs rencontreront les représentants des ducs, mais aussi un ambassadeur des Barons de l’Est, et le noble ambitieux qui plaide la guerre auprès du Roi. Ils auront un allié en la personne du représentant de leur maître à la cour, qui leur expliquera le protocole. Ils s’apercevront vite que, pour plaider sa cause auprès du Roi, il faut traiter avec le chambellan, quitte à le corrompre pour qu’il fasse une place dans l’agenda chargé de sa majesté…
Tout comme les sous-quêtes et les rencontres mineures dans une trame “normale”, il faut étoffer votre intrigue.
Les interactions sociales ne suffisent pas toujours à un scénario équilibré… Des adversaires prêts à tout en politique pourraient bien recourir à des moyens illégaux pour arriver à leurs fins, tels le chantage, la calomnie ou le discrédit, faire accuser les PJs à tort, tenter de les assassiner en arrangeant un accident, ou simplement inventer des sujets qui ont l’air plus pressants histoire de détourner l’attention du Roi de la plainte des PJs. Le principe d’une intrigue politique, c’est que c’est rarement simple !
N’hésitez pas à enjoliver l’intrigue de base : Un fils qui veut empoisonner son père, une vendetta entre nobliaux réprimée à la cour mais qui continue en sous-main, les bâtards du Roi, le “marchand” qui prête en secret à un noble désargenté, un duc corrompu par une puissance étrangère, un conseiller qui fait de la nécromancie en secret, la “maladie” d’un baron qui s’avère être une addiction, un jeune noble qui ne pense qu’à faire la fête, les domestiques qui volent et se détestent cordialement…
Sans en faire l’action principale, cela vous permettra d’introduire des combats (duels, assassinats, joutes…), de la furtivité (vol d’un objet clé, falsification, discrétion nocturne dans les couloirs des palais…), de la magie (soins des empoisonnements, envoûtement, conseiller mort-vivant camouflé par une illusion…), des connaissances (légendes d’un fief perdu, savoir quel valet travaille pour la guilde des voleurs…), bref, de quoi mettre à profit les talents de tout le groupe !
Un mot du déroulement des évènements, qui n’est pas à négliger…
Comme il est peu probable que les PJ voyagent, s’arrêtent dans des villages, aient des trésors à vendre et achètent du matériel, toute cette partie passe un peu à la trappe (et certains ne s’en plaindront pas). Mais ce n’est pas pour ça que le MJ ne doit pas rendre le monde vivant et interactif d’autres manières… Les PJ seront-ils hébergés au palais ? Qu’en est-il des repas ? Qui paiera pour les habits de cour très onéreux qu’ils devront porter devant le Roi au lieu de leurs tenues d’aventuriers crottées ?
Les diplomates et les politiciens sont réunis dans un même lieu pour leur travail, mais il leur faut aussi des distractions et ils ont sans doute des obligations par ailleurs. Pour reprendre la cour de notre exemple : festins et fêtes, parties de cartes amicales, activités occultes ou illégales, tournois, chasses, messes, fonctions officielles, deuils de famille, cérémonies, naissances, bals des débutantes, réception d’une délégation étrangère, doléances des roturiers, adoubements des nouveaux chevaliers…
Cela brise la monotonie et fait vivre le château : le pays ne s’arrête pas de tourner le temps du scénario. Ce qu’il faut, c’est donner aux PJs des occasions de rencontrer les PNJs, d’en apprendre plus sur eux (ce qu’ils aiment, ce qu’ils font là, leurs relations…) ou au contraire les empêcher de leur parler quand ils sont “occupés”. Il faut aussi éviter que le scénario ne se déroule comme un jeu vidéo, dans lequel chaque PNJ traîne dans un lieu précis, et où les PJs font des allers et retours entre chacun d’eux…
Et n’oubliez pas d’introduire quelques surprises, pour faire bonne mesure !
La nature exacte des surprises n’a pas d’importance, du moment que ça change la dynamique du jeu. Un meurtre à la cour, ou du moins un accident suffisamment étrange et spectaculaire, et des négociations qui n’ont rien à voir peuvent être bouleversées : Dans un climat de paranoïa générale, les accusations peuvent fuser, des alliés peuvent commencer à se méfier les uns des autres parce qu’ils se soupçonnent de tremper dans cette affaire…
Il en va de même pour un duel ou une joute, mais ce sont des éléments à utiliser avec précaution. Il y a presque toujours un mort, et souvent une humiliation. Le prestige qui accompagne un duel est plutôt sinistre. Il existe des règles de duels et de joutes selon lesquelles les participants peuvent choisir un “champion”. Un duel organisé sous un prétexte quelconque peut être utilisé pour se débarrasser d’un importun en le provoquant, puis en le mettant face à quelqu’un de plus fort que lui…
Moins sombre, l’annonce d’un nouvel hériter ou de la grossesse de la Reine peut être la source de quantités d’intrigues secondaires (ou principales), de spéculations (est-ce un bâtard ? va-t-il survivre ? qui gagnerait à faire “passer” l’enfant ? qui sera nommé régent si le couple royal meurt soudainement après l’accouchement ? qu’est-ce que ça change pour la succession ? etc.), mais aussi de fêtes, de bals, de tractations protocolaires, et moins d’audiences disponibles avec le futur papa…
Affaires de meurtres, affaires urgentes, problèmes dans les provinces qui obligent certains PNJs à s’éloigner… Les idées ne manquent pas pour chambouler les plans des PJs et l’emploi du temps de la cour.
On le voit, ce n’est pas facile de fabriquer un tel scénario avec maestria, mais la conception de l’intrigue n’est pas insurmontable une fois qu’on en a décomposé les différentes étapes, les différentes parties. Le plus dur reste pour le MJ de jouer les différentes personnalités des PNJs sans faillir : Il lui sera demandé une bien meilleure performance d’acteur que simplement lancer des dés, jouer des gobelins ou des monstres animaux peu intéressés par le dialogue… Bref, organiser la bagarre.
Mais la politique en jeu de rôles, c’est l’une des activités les plus gratifiantes pour un MJ… Le tissu des intrigues les plus complexes, des sujets les plus profonds, des scénarios les plus élégants, des meilleurs rôles. Et, surtout, cela force vos joueurs à concevoir des plans complexes, à découvrir le monde et ses habitants, et à s’intéresser aux PNJs et à leurs motivations… Bref, à réfléchir. Cela change agréablement de l’optimisation “combat”, et des PJ qui tranchent dans le vif d’un scénario à coups d’épée.
Bien sûr, certains esprits chagrins auront une objection… Celle des règles.
“Je joue un personnage diplomate et intelligent, je devrais pouvoir convaincre cet homme avec un lancer de dés plutôt qu’en causant… On doit tester les capacités du personnage et non du joueur ! Et pourquoi je dépenserai mes points là-dedans, ça rapporte pas d’XP ! “. C’est vrai, c’est un problème. Je répondrai trois choses… Premièrement, de nombreux jeux ont un système de tests de compétences et de résolution des interactions sociales.
Certes, Pathfinder ne donne pas forcément de “récompenses” indicatives en points d’expérience pour avoir résolu des conflits sociaux, à la différence d’autres jeux qui accordent plus d’importance aux compétences (Cthulhu, Vampire…). Mais c’est normal. Pourquoi le paladin progresserait-il dans le maniement des armes s’il n’a fait que parler pendant tout le scénario ? Les récompenses de la politique sont tout autres : faveurs, alliés, ressources… Et, toujours, le plaisir de jouer son rôle !
Et justement… Deuxièmement : rien ne dispense de jouer son rôle, jamais. Même en combat, il m’est arrivé de ne pas prendre en compte l’action d’un joueur parce qu’elle n’avait pas été annoncée “en rôle”… et d’accorder un bonus pour des actions audacieusement décrites. De la même manière, c’est le joueur qui met en avant ses arguments lors d’une joute verbale, et le jet détermine le succès de l’action… Comme pour tout ! Le jet à sa place, mais ne mâche pas le travail du joueur.
La dernière partie de ma réponse vexera certains, mais elle doit être dite… Et elle vaut autant pour les joueurs qui veulent jouer des personnages sociaux que pour le MJ en butte au problème qui nous occupe.
Si vous n’avez pas, en tant que joueur ou MJ, la maturité (on n’ose dire l’intelligence) nécessaire pour jouer un baratineur, ou un intrigant, ou un politicien… Ne le jouez pas ! Certes, la plupart des jeux de rôles indiquent “à partir de 10 ans”, mais on ne donne pas à un gamin le rôle d’Henry Kissinger… Donc, avant de vous lancer dans ce genre de choses, renseignez-vous, cherchez l’inspiration dans la littérature, à la télévision, au cinéma, sur Internet, regardez quelqu’un jouer un PJ social…
Il arrivera un moment où vous essaierez… et ou vous vous planterez. Ce n’est pas grave, c’est un jeu. Une erreur de débutant est de fabriquer un personnage “mystérieux”, souvent de noir vêtu, et qui, pour donner l’illusion de la profondeur, suggère à tous qu’il possède des secrets (identité secrète, travail pour une organisation occulte, et ainsi de suite…). Je l’ai fait quand j’étais jeune, je l’ai vu faire cent fois. Evidemment, ça ne marche pas. Le mystère sans rien derrière, ça n’a aucun intérêt.
Pour un MJ, c’est la même chose : Il ne s’agit pas de créer des personnages à moustache machiavélique avec des chiffres qui reflètent leurs talent dans les compétence sociales du jeu. Comme pour tous les PNJs, ce qui compte avant tout ce sont les plans, les motivations, les méthodes employées, les ressources… Les objectifs de chaque personnage, et ce qu’ils font pour les réaliser. MJ ou joueur, examinez vos forces et vos faiblesses en tant que rôliste avec honnêteté, et vous y arriverez !
Il faut tout de même le dire, l’exercice d’un tel scénario est parfois casse-gueule, surtout pour qui ne l’a jamais tenté et s’en est tenu jusque-là au porte-monstre-trésor… Mais si ce genre de chose n’est pas de votre goût, rien ne vous y oblige !
Que ceci serve de conclusion à mon propos… Je ne peux que vous souhaiter que cet article vous aide à y voir plus clair !
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