Où Mucius détaille un processus efficace et systématique de conception et préparation de scénario de jeu de rôles, en un peu moins de 5000 mots. Rien que ça.
Tout d’abord, posons un fait qui passe inaperçu mais qui n’en est pas moins choquant :
Je n’ai jamais lu un seul jeu de rôle ou supplément qui m’ait instruit sur la façon de me préparer à une séance de jeu de rôles. Certains parmi les plus récents parlent de structure de campagne, d’idées de scénarios, et de “conception de Rencontres”, ce terme rebattu par la 4e édition de D&D… Nous sommes ensevelis sous des avalanches d’articles et de billets de blog sur comment accélérer les combats ou minimaxer un guerrier… Mais sur la préparation, point !
Le résultat est que de nombreux MJ n’aiment pas préparer leurs séances. Je n’ai personnellement jamais rencontré de MJ qui soit heureux de devoir écrire ses notes pour la séance du lendemain… Oui, du “lendemain”, signe évident de procrastination d’une corvée. La préparation d’une séance, c’est certes un travail… Et, comme tout travail, qui le repousse ennui l’aura supplice ! Ce n’est pas de moi, c’est de Victor Hugo.
Ne soyons pas l’esclave de la rédaction d’un scénario, apprenons à faire de la préparation efficace.
Mais d’abord, c’est quoi “préparer un scénar” ?
La plupart des MJ imaginent une pile de notes manuscrites étalées sur la table, les chaises et le canapé… Un blob de papier qui dévore tout sur son passage, y compris le temps du pauvre MJ peinant sur son bureau comme un moine copiste… La fatigue, la frustration, le stress, le vertige de la page blanche… La culpabilité de bâcler ça la veille au soir comme un devoir de maths… On a vite peur de ce “côté obscur” de la partie… La peur mène à la colère, la colère à la haine, et la haine… A une partie annulée.
La préparation a mauvaise réputation, et de nombreux MJ avouent qu’ils aiment jouer, qu’ils aiment créer des histoires, mais qu’ils ont horreur de les préparer, de les écrire… C’est la raison pour laquelle de nombreux groupes délèguent cette charge à la bonne poire qui veut bien s’en occuper, et que personne ne veut lui prendre ce rôle “peu enviable”… Et que d’autres, pour répartir cette charge “ennuyeuse”, s’arrangent pour que chacun soit le MJ à tour de rôle.
Beaucoup de MJ, avec ou sans expérience, en arrivent à suivre la voie de l’improvisation quasi totale… Ce qui est excellent lorsque c’est bien fait, mais ne convient pas à tous le monde ! Les notes sont nécessaires, qu’il s’agisse de quelques pense-bêtes ou de 20 pages d’écriture serrée… Qui plus est, l’improvisation ne convient pas pour tout : Dans un jeu d’enquête ou de conspiration, les joueurs ont besoin de détails précis et le MJ d’une idée claire de la structure de l’intrigue.
La préparation est inévitable, mais ça n’est pas une corvée… Une bonne préparation permet d’organiser l’information dont le MJ a besoin pour mener la partie sans accrocs ni temps morts (qui briseraient l’immersion des joueurs). Le but de tout ceci n’est pas d’accumuler des pages de notes, mais de rassurer le MJ, parce qu’il sait que toutes les informations dont il peut avoir besoin sont à portée de main.
Comme pour toute base de données, votre préparation doit être aisément accessible, bien organisée, efficace (facile à faire et à utiliser, sans contenu inutile, les informations n’étant pas noyées, erreur de beaucoup de MJ débutants), et fiable… C’est à dire que votre processus de préparation doit pouvoir être répété systématiquement pour donner de bons résultats à chaque fois, pour chaque scénario, dans chaque jeu. Cela demande une certaine introspection, et de la méthode…
De ce fait, la préparation ne se résume pas à une pile de notes, mais à un état d’esprit. C’est un processus qui commence bien avant la rédaction et qui passe par plusieurs phases à l’issue desquelles il est possible que vous ayez, comme la plupart des MJ, une série de notes synthétiques avec plans et caractéristiques des PNJ. La préparation, c’est partir de rien et arriver à tout ce dont on a besoin pour jouer, y compris (et surtout) le contenu de votre cerveau.
Dans tous les cas, il faut que le boulot soit fait !
Un MJ qui ne se sent pas prêt est trop stressé pendant le jeu et cherche à la fois ses mots et ses points de règles, un MJ qui n’est pas assez prêt ou mal préparé a des trous dans son scénario, et à souvent recours au TGCM pour forcer ses joueurs dans la voie prévue. Dans tous les cas, c’est une source de frustration. Prenez le temps de vous préparer… Vous allez voir, ça n’est pas si difficile de caser la plupart des étapes de la préparation dans n’importe quel emploi du temps.
Comme je le disais, la préparation d’un scénario ou d’un arc scénaristique (mais aussi de scènes… Et c’est valable pour pas mal de projets créatifs, d’ailleurs, de la dissertation formelle à la publicité) comporte des phases distinctes, au nombre de cinq :
1) Le brainstorming
2) La sélection
3) Le développement
4) La rédaction
5) La relecture
Ces phases, votre cerveau malade de MJ les aborde toutes naturellement, mais vous n’en avez pas forcément conscience, et elles sont sans doute un peu mélangées. Passons-les en revue l’une après l’autre…
Le Brainstorming (terme de marketing odieux mais omniprésent et compréhensible par tous) est la phase durant laquelle vous trouvez vos idées. C’est une phase essentielle, parce que le MJ qui n’a pas assez d’idées se rabat souvent sur les mêmes histoires, les mêmes personnages, voire sur la copie d’une intrigue lue ou vue quelque part… Et même si ses parties sont bien construites par ailleurs, elles peuvent vite devenir ennuyeuses ou prévisibles.
L’inspiration peut frapper à n’importe quelle moment, n’importe où… En parlant à un ami, en réunion, en arrosant les plantes ou en faisant la cuisine. Accueillez ces cadeaux avec bonheur… Mais vous feriez bien de ne pas vous fier qu’à eux. L’inspiration, maîtresse capricieuse, ne vous visite que quand ça l’arrange. Plutôt que d’attendre la pluie pour quelques gouttes de créativité, il vaut mieux creuser un puits. L’imagination est comme un muscle, elle se travaille !
Cette phase est un exercice mental distrayant, mais qui ne vient pas toujours naturellement. Il ne vous faut que trois choses : Un peu de temps, un lieu où réfléchir sans avoir à parler, et un esprit clair. Il vous faudra de quoi noter, si du moins vous ne pouvez pas retenir vos idées jusqu’au soir. Les débutants font ça au calme devant leur feuille blanche, mais on apprend vite à faire ça quand on a un moment, dans la queue du supermarché, dans le métro, à la machine à café… Sur commande !
Le principe est simple : Demandez-vous ce qui serait cool (pour le prochain scénar, pour le groupe, pour la séance…), et notez ce qui se présente. Les bonnes idées viennent souvent des thèmes imposés : Pour orienter votre réflexion, vous pouvez préciser la question selon vos envies. Avez-vous envie de combat, poursuite, braquage, enquête ? Cherchez les associations d’idées avec des mots clés en rapport avec vos PJ, comme “forêt”, “arcs” ou “animaux sauvages” pour un rôdeur…
Il faut en effet tenir compte de ce que les PJ ont déjà fait, ainsi que de leurs capacités et de leur background… S’ils ont été capturés, posez-vous donc une question du genre “Qu’est-ce qui se passe de palpitant en prison ?”. Si quelqu’un a détaillé des PNJ dans son background, c’est l’occasion de les utiliser en se posant la question “Qu’est-ce qu’il peut leur arriver d’intéressant ?”… Cherchez aussi des idées autour de capacités que les PJ n’ont pas utilisées depuis longtemps…
Posez-vous certaines questions si vous écrivez la suite d’un scénario : Que ferait le PNJ principal à ce moment là ? Avez-vous besoin de centrer l’action sur l’un des PJ ? Quel PJ n’a pas assez participé ? Comment bloquer une capacité que les PJ utilisent trop systématiquement ? Est-ce que les joueurs voulaient jouer quelque chose en particulier ? Est-ce qu’il y a un PNJ que vous vouliez utiliser ? Est-ce que vous avez besoin que les PJ atteignent un but spécifique pour la suite de la campagne ?…
Notez TOUS les éléments qui vous viennent à l’esprit… images, répliques, circonstances, monstres, personnages, lieux, scènes, dialogues… Souvent fragmentaires, ces idées n’ont pas forcément de sens évident ni les unes par rapport aux autres. Ne les jugez pas, ne tentez pas de les faire coller aux règles : Il s’agit de potentialités brutes. On n’en a jamais trop… Sauf lorsque le brainstorming devient chronophage au détriment du reste de la préparation, bien sûr !
Il y a deux moyens d’accélérer encore le processus… D’abord, veillez bien à ne jamais critiquer vos idées… ça, c’est pour plus tard. Notez, puis passez à autre chose. Ensuite, veillez à nourrir votre esprit. La créativité, c’est trouver de nouvelles associations inédites entre les éléments “digérés” issus de livres, films, séries, chansons, expériences personnelles, articles… Attention, cela ne veut pas dire que vous plagiez ! Simplement, même l’esprit le plus original ne tourne jamais à vide.
A la fin, vous devriez obtenir une liste d’idées, de phrases, de mots… Ne jetez rien, surtout ! Vous pourriez vouloir y revenir, même des années après…
La Sélection, c’est choisir une ou plusieurs idées dans la liste obtenue : Examiner chaque idée brute et ne prendre que celles qui peuvent être raffinées. Certaines idées sont visiblement excellentes, d’autres sont bonnes mais ont besoin de plus de travail, d’autres sont intéressantes mais ne mènent à rien… Et il y a les idées empoisonnés qui semblent pleines de promesses, mais ne les tiennent jamais : les Fausses Bonnes Idées dont j’ai parlé dans d’autres articles.
Durant cette phase, vous ne cherchez plus de nouvelles idées, mais examinez d’un œil critique celles que le brainstorming a amené. Séparer le bon grain de l’ivraie est fonction du jeu auquel vous jouez, de vos forces et faiblesses en tant que MJ, et des joueurs et PJ qui forment votre équipe. Choisissez les meilleurs candidates dans votre liste pour la prochaine séance, et surtout pour le groupe, pas juste pour vous-même… Cela demande de la discipline, et un certain niveau de détachement.
Chaque séance de jeu peut être résumée en une ou deux grandes idées, chaque scénario possède un fil directeur, une idée principale et des scènes “clé” ou marquantes. Vous devrez donc choisir peu d’idées… Même si vous pourrez inclure certains lieux ou PNJ accessoires si vous les trouvez bons. Le manque d’idées n’est généralement pas un problème après un bon brainstorming, mais si cela arrivait, n’hésitez pas à consulter d’anciennes listes… Y compris celles pour d’autres jeux !
Tenez compte de vos joueurs. Connaissez-les bien, ainsi que leurs goûts pour différentes activités à la table; combat, négociation/roleplay et enquête sont les trois grandes tendances. Si vous avez une idée de scénario incroyable pour un thriller machiavélique, elle tombera à plat si vous la présentez à un groupe qui n’aime que le cassage de monstre. Votre idée est probablement excellente, mais vous allez devoir l’écarter quand même !
Ensuite, tenez-compte de vous-même, le MJ. N’oubliez pas que vous allez devoir développer toute idée choisie lors de cette phase et la jouer plus tard… Chaque MJ a ses points forts, ses points faibles. Certains sont plutôt bons pour décrire les détails de leur univers, d’autres pour jouer les PNJ, d’autres encore pour gérer les combats de façon fluide… Tout ça n’est pas donné à tout le monde. Ecartez les idées que vous ne pensez pas pouvoir faire jouer de manière suffisamment satisfaisante.
Attention cependant… En tant que MJ, si vous restez constamment sur vos acquis, vous finirez par vous ennuyer et par ne proposer que des histoires du même genre. Sans vous forcer à jouer quelque chose que vous “ne sentez vraiment pas”, ne vous encroûtez pas ! Le moment idéal pour faire ce genre d’expérience, c’est le milieu de campagne, parce que vous aurez besoin d’être plus assuré au début (établissement des quêtes, PJ et PNJ majeurs) et à la fin (le “big finish”).
Tenez compte de votre jeu… Enfonçons une porte ouverte : Même si on peut techniquement tout jouer avec n’importe quoi, chaque système gère plus ou moins élégamment certaines situations ! Les batailles entre grandes armées, ça peut se faire à Pathfinder, mais pas avec le système de combat tactique habituel. La gestion de terres et de fiefs par saison est gérée à Pendragon, mais il est improbable d’y arriver avec un autre jeu… Ecartez donc toute idée mal soutenue par les règles.
Enfin, tenez compte de votre campagne… Les idées qui sortent de ce que peut proposer logiquement l’univers de jeu ou le thème de la campagne sont à proscrire, car elles peuvent empêcher l’immersion des joueurs (à moins qu’il ne s’agisse que d’un intermède vaguement comique, comme la découverte d’un vaisseau extraterrestre dans une partie de D&D… Et encore). Il n’y a que les quatre critères précités qui permettent la sélection, mais ils doivent être draconiens, et vous impitoyable.
Si vous ne sélectionnez pas assez, vous risquez de faire jouer des idées qui ne plaisent qu’à vous, ou même à personne… surtout si, dans l’urgence, vous prenez la première idée venue ! Si aucune idée ne convient, retournez à la phase 1.
Durant le Développement, vous construisez avec et autour de chaque idée sélectionnée, leur donnant un cadre logique dans votre campagne, sous la forme d’une trame… Vous pouvez prendre des notes (c’est même conseillé) mais il s’agit toujours d’un brouillon : Le temps n’est pas encore venu de rédiger au propre ! Vos idées, même sélectionnées, ne sont que des points… Des PNJ, lieux, scènes, images, idées de quêtes ou de motivations…
Vous allez devoir relier les points pour que votre scénario ait un début, un milieu, et au moins une fin logique. Nous avons déjà parlé de la structure du scénario, et nous n’y reviendrons pas ici. Pour composer une histoire, chacun a déjà entendu les questions rhétoriques habituelles que les écrivains nous disent qu’il faut se poser : Qui, que, où, quand, comment, pourquoi… Mais qu’est-ce que ces questions impliquent ? Bien sûr, nous savons déjà “qui” sont les héros…
Mais qui est après le McGuffin ? Qui tente d’arrêter les PJ ? Qui sont les PNJ ? Posez-vous ces questions et d’autres, selon les idées dont vous disposez, pour les lier et les rendre logiques dans votre univers : Rien ne vient de rien, toute action, même une catastrophe naturelle, avoir des moyens, un lieu et un moment, et surtout des conséquences… Et des motivations, si c’est l’action d’un PNJ. N’arrêtez de développer que si vous tenez le déroulement de la prochaine séance, au moins.
Que cherchent les PJ ? Qu’est-ce qui doit se produire pour faire avancer la campagne ? Qu’est-ce qui arrivera si les PJ échouent ? Que fera le méchant en représailles ? Où sont les PJ au début du scénario, et quand par rapport à la dernière séance ou à la fin de leur historique ? Où se déroule l’histoire, et où les PJ devront-ils voyager ? Où se cachent les méchants ? Quand mettront-ils leur plan en place ? Quel est ce plan ? Quel est le déclencheur du piège de l’oubliette numéro 116 ?
Pourquoi les PJ sont-ils tout indiqués pour aider ? Pourquoi le méchant veut-il ce qu’il veut ? Pourquoi les PNJ font-ils cela et pas autre chose ? Y a-t-il plus simple ? Pourquoi tel lieu est-il maudit ? Qu’est-ce que tout ça va changer pour les autres PNJ ? Pourquoi le méchant s’oppose-t-il aux PJ ? A-t-il connaissance de leur existence, et comment ? Qui a intérêt à voir le méchant réussir, même sans être en contact avec lui et ses sbires ? Quels sont les alliés potentiels des PJ ?
Quels sont les lieux et PNJ annexes ? Quels sont les moyens à la disposition des PJ ?… Et j’en passe. En vous forçant à répondre à ces questions, aussi bien générales que spécifiques, vous examinez les causes et les conséquences de chaque situation. Vous éviterez ainsi les failles logiques qui mènent au redouté TGCM… Comme ne pas savoir ce qui déclenche un piège, ou ne pas tenir compte du fait que les PJ peuvent se téléporter directement chez le grand méchant.
La plus grande faille logique possible, c’est un trou dans l’implication des PJ dans une trame cohérente : Vous n’avez pas ce luxe de l’écrivain qui peut décider que son héros choisit telle voie et passe à côté d’une autre. Vérifiez donc la logique interne de chaque élément, et identifiez bien ceci : Quel est le but, le conflit au cœur de l’histoire ? Quel est le fil directeur ? Pourquoi les PJ veulent participer (et pas seulement “sont tout indiqués pour ça”) ?
Attention… Soyez créatifs ! Il est facile de “se couvrir” en choisissant des liens typiques, surtout si le temps manque avant la prochaine séance… Ne succombez pas à la facilité. Posez-vous une dernière question… Qu’est-ce qui rendrait cette scène plus excitante ?… “Les PJ combattent des soldats dans un hangar” est il meilleur, ou moins bon que “les PJ combattent des soldats dans un hangar plein de caisses aux contenants inconnus déplacées par des drônes automatisés qui ignorent les combattants” ?
Il ne s’agit pas d’anticiper toutes les actions des PJ et leurs conséquences (c’est impossible), ni d’obtenir mille pages de notes… Mais si vous sautez cette étape, même vos meilleures idées manqueront de punch, et votre rédaction sera laborieuse.
La Rédaction, phase que tout le monde assimile à la préparation, n’est que la quatrième phase du processus… C’est le moment d’écrire vos notes et de créer tous les objets physiques qui serviront à la séance. Il n’y a rien à redouter : Comme vous avez déjà toutes vos idées développées, il ne reste qu’à mettre en forme… Etape alors débarrassée du “vertige de la page blanche” et de la frustration de devoir chercher ou recommencer sans cesse.
Certains me diront “mais j’ai déjà des notes, celles de l’étape précédente !”. C’est vrai… Mais ne sautez surtout pas la rédaction au propre, de façon claire et accessible ! Vous avez fini de réfléchir à votre scénario, à présent vous l’écrivez : C’est autre chose. Pendant la partie, vous aurez mille autre choses à faire que de fouiller vos feuilles volantes et vos carnets. Ne recensez que ce dont vous avez besoin, et ce qui vous rappellera le nom de “ce marchand qu’on a croisé il y a quatre scénars”…
A la différence des étapes précédentes, que vous pourrez toujours faire entre deux portes (mentalement, à l’aide d’un carnet, ou même avec un smartphone), vous aurez besoin de quelques heures au calme avec vos notes, si possible avec un bureau… Mais la forme que prendront vos notes vous sera toujours très personnelle. Moi, je suis de la vieille école, celle des cahiers à spirale et à petits carreaux et du stylo à bille… Mais, de nos jours, nous ne sommes plus esclaves du manuscrit.
Vous pouvez taper vos scénarios, les dicter à un logiciel de transcription, créer un wiki pour votre univers de campagne, des noms aléatoires, et vos PNJ, utiliser un classeur à intercalaires, un cahier d’écolier, un Moleskine, des fiches, des post-its… Vous pouvez créer des cartes en couleurs via un éditeur, utiliser des plans de villes réelles, griffonner un plan dans un coin de page, chasser les photos sur Internet pour servir d’aides de jeu ou de portraits, peindre des figurines, prendre des pions… Ou pas.
Il n’y a pas de nombre magique, idéal, de pages par séance. Le seul but de vos notes est de vous faire “savoir où tout se trouve”, d’être votre antisèche organisée et accessible, pas le texte d’un discours… Bref, de vous donner le confort nécessaire, de vous rassurer, parce que l’information est là, si et au moment où vous en avez besoin. S’il vous suffit d’une fiche A5, c’est très bien… Si vous écrivez cent pages par scénario, c’est très bien aussi… A condition que ce soit ce dont vous avez besoin.
La chose importante, c’est que vos notes doivent contenir les éléments clés de votre scénario… Elles sont souvent découpées en scènes (celles de l’histoire) organisées chronologiquement dans l’ordre où elles ont le plus de chances d’être liées. Certains incluent les PNJ et/ou les descriptions dans la scène où on en aura supposément besoin, d’autres aiment écrire ça à part… D’autres enfin n’indiquent que les PNJ et les lieux, et improvisent les scènes. Dans tous les cas, soyez efficace et synthétique.
Il est bon d’inclure des descriptions de lieux et d’objets, les caractéristiques et la description des PNJ et des ennemis, des plans, voire (si vous avez le temps et l’envie) des dessins et des aides de jeu que l’on peut donner aux joueurs… Détaillez particulièrement les points qui doivent être précis pour les PJ, et surtout ceux que vous avez du mal à improviser ou dont vous aurez du mal à vous souvenir… A chacun ses forces et ses faiblesses en tant que MJ !
Certains MJ savent très bien jouer leurs PNJ et n’auront besoin que de quelques mots qui résument leur caractère et les informations dont ils disposent, d’autres auront besoin de noter des phrases ou des éléments de dialogues entiers… Certains sont d’excellents tacticiens, et d’autres ont besoin de noter “d’abord les archers, puis tel sort…”… Certains auront du mal à se rappeler de tous les détails d’une description d’ambiance… Certains ont besoin de la référence exacte dans un livre de règle…
Il n’y a aucune honte à avoir : Personne d’autre ne lira vos notes… Mais elles doivent être là. Ne ralentissez pas le jeu, pris au dépourvu sans info, à consulter les règles ou à fouiller des notes encyclopédiques pendant des heures !
Beaucoup considèrent que c’est la fin de la préparation… Il n’en est rien. La relecture est l’étape très importante durant laquelle vous identifiez vos erreurs… inévitables ! Lorsque le temps manque pour préparer, cette étape est, à tort, la première à disparaître… Ne la prenez pas à la légère : Il ne vous sera pas possible de la faire en deux minutes avant la partie, à moins que vos notes pour la séance ne consistent qu’en une fiche bristol et que vous ne soyez un maître absolu de l’improvisation.
Il ne s’agit pas de corriger les fautes d’orthographe (quoique, c’est un problème pour certains)… Voyez plutôt cela comme une répétition générale du scénario. C’est là que vous repérez les dialogues faibles, les trous dans l’intrigue, les indices qui peuvent manquer, les “et si… ?” auxquels vous n’aviez pas pensé… C’est aussi durant cette phase que vous vous familiarisez de nouveau avec les règles dont vous aurez besoin pour chaque scène.
Vos notes rédigées, vos aides de jeu, vous les avez peut-être faites en plusieurs fois… Il est possible que vous ayez oublié un dialogue pour telle scène, des éléments de description pour tel lieu, que vous ne soyez pas satisfait de tel objet, que vous ayez oublié le score de bluff ou d’estimation de tel PNJ, les sorts de tel monstre et leur zone d’effet, les trésors de telle rencontre, les règles sur la noyade ou celles concernant tel don ou tel pouvoir en combat…
Ce sont de “petites” erreurs qui peuvent ralentir la partie en vous forçant à improviser l’imprévu ou à fouiller dans le livre de règles… Voire à rejouer une scène après coup, à changer ce qui s’est produit, ou pire, à changer la teneur des pouvoirs et capacités que les joueurs tenaient pour acquis ! C’est très grave… Mais il y a encore pire : Les erreurs de continuité… “Je croyais que le cadavre était dans la bibliothèque ?!”… “Ce PNJ n’avait pas le sort de téléportation la dernière fois ?”
La relecture idéale se fait en trois parties… La première, la correction “de base” (celle des caractéristiques oubliées, de la vérification des règles, des informations manquantes…), se fait naturellement, même s’il faut être le plus complet possible. La deuxième consiste à relire votre travail comme un metteur en scène plutôt que comme un correcteur d’orthographe : Il faut vérifier que votre scénario ne comporte pas de failles logiques, de trous… Et qu’il est aussi vivant que possible.
Il faut que tout ait un sens, que chaque scène soit liée aux autres (tel indice mène à tel endroit, qui mène à tel PNJ, et ainsi de suite…), que les réactions et les dialogues des PNJ leurs correspondent… Rappelons que vos notes ne sont pas le seul matériel à examiner. Révisez aussi le contenu de votre tête ! Il est encore temps de réécrire, de noter dans les marges ce qu’il vous manque ou ce dont vous ne vous souviendrez pas… Voire de refondre telle ou telle scène faible ou absurde.
Enfin, il vous faut réexaminer votre travail comme un joueur. Ceci nécessite une grande capacité à se détacher de son œuvre… Vous pouvez demander à un ami qui n’est pas aussi l’un des joueurs de vous y aider, mais c’est difficile à trouver. Laissez votre “joueur intérieur” vérifier que l’accroche vous motive, que vous ne trouvez pas de faille ou de raccourci qui vous éviterait de passer par la moitié du scénario, de combinaison de pouvoirs de votre groupe qui rendraient une rencontre bien trop facile…
N’hésitez pas à jouer les scènes clé dans votre tête, surtout la scène finale… Tant en termes de mise en scène et de présentation qu’en termes de règles. A l’issue de votre relecture, vous devez avoir le temps, éventuellement, de réécrire des scènes et de noter des points de règles. C’est pourquoi je réserve habituellement la soirée de la veille du jeu ou les quelques heures qui précèdent la partie à ce genre de tâche… Pas les minutes qui la précèdent !
Si vous avez bien découpé et effectué les autres phases, la relecture est une formalité, encore accélérée par l’expérience… Mais elle améliore la qualité d’un scénario, car elle permet de le peaufiner, et de le préparer efficacement en se le remettant en mémoire en profondeur avant le jeu !
Voilà. Je peux vous le dire en toute confiance : Faites cela, faites le bien, et vous serez prêt(e).
Et rassurez-vous, ce n’est pas si difficile… C’est même bien plus naturel qu’il n’y paraît à la lecture de cet article. Qui plus est, c’est un processus tout à fait organique : à vous de revenir à telle ou telle phase lorsque vous avez une meilleure idée en cours de route, ou lorsque vous voyez une erreur à corriger… A vous de maîtriser votre processus créatif. Nous l’avons vu, la plupart des étapes de la préparation peuvent s’effectuer n’importe où, n’importe quand.
Pour vous perfectionner, gardez bien chaque phase séparée. Le brainstorming a besoin de la liberté que procure l’absence de sélection critique pour porter plus de fruits; la sélection ne doit pas se mêler de développer les idées ni d’en créer d’autres pour être plus efficace; il ne vous faut commencer la rédaction finale que lorsque le développement des idées est “mûr” pour ne pas avoir à tout recommencer… Et il va de soi que la relecture est une étape à part !
En maîtrisant tout cela, vous pourrez préparer en un temps relativement court une séance de jeu, même pour un ami qui vient à l’improviste et ne reste qu’une nuit… La beauté de ce système, c’est que vous n’avez pas besoin de vous asseoir devant votre feuille blanche pour une session de préparation intensive : Vous pouvez avancer sur votre scénario entre deux séances peu à peu, lorsque vous avez le temps, quelques minutes à la fois.
Gérez votre préparation en jeu de rôles comme n’importe quelle autre projet créatif, sinon mieux…
Ce n’est pas du luxe pour ceux qui ont une carrière, une famille et des enfants. Les rôlistes sont de plus en plus nombreux dans ce cas, et heureusement ! Bien sûr, vous devrez quand même caser un minimum de temps avant le jeu, au calme, pour vous concentrer un peu, pour la phase de rédaction et de relecture… Sans compter qu’il vous faudra trouver du temps pour la partie elle-même. Mais apprendre à gérer votre emploi du temps, ça n’est pas spécifique au jeu de rôles… ça fait partie de la vie !
Sûrement pour moi l’un des articles les plus important.
La création d’un bon scénario/campagne est toujours a la fois simple et complexe. On peut faire un super scénario avec trois fois rien et en impro, mais tous n’ont pas cette faculté.
Je préfère travaillé mes scénarios en avance. Et a la lecture de cet article, j’ai comparé avec ma propre méthode, qui est assez proche.
J’utilisais généralement le “voyage du héros” comme base scénaristique, en répétant ce schéma et en l’entortillant sur lui même. Mais je n’avais jamais pensé a m’inspirer plus du cinéma en découpant mes scénario en acte et scène.
J’avoue que c’est une méthode vraiment intéressante, plus longue si on y travaille beaucoup comme moi, mais qui abouti a un meilleur résultat.
Chaque moment du jeu est un moment remarquable qui apporte quelque chose. Ca évite bien souvent de se retrouver avec des creux.
Après, c’est quelque chose j’applique et n’applique pas. Pour moi, tout les scénarios n’en ont pas besoin. Il y a des scénarios dans des campagnes qui sont plus de “transitions” et n’en requiert guère. L’important, pour moi, dans ces moments, est plutôt de favorisé l’ambiance, etc… De donner du relief au monde et impliquer davantage les joueurs.
Par contre quand je fais avancer l’histoire, je m’inspire maintenant des deux méthodes.
Un grand scénario global, une trame général de campagne. Et ensuite de multiple déclinaison en acte/scène en s’appuyant sur des schémas narratif aide vraiment.
Après c’est comme au cinéma. Une fois qu’on connait les règles, il faut les transgresser pour obtenir de nouveaux effets.