Où Mucius se propose de vous parler d’un point assez important en jeu de rôles : Le background… Comment reconnaître (ou fabriquer) les bons backgrounds, et ceux qui n’ont aucun intérêt.
D’abord, à quoi ça sert, un background ? Eh bien, ce n’est pas simplement là pour faire joli, pour faire classe, ou pour faire « théâtre », en dépit de ce que pas mal de MJ et de joueurs peuvent penser. Tout cela, ce sont des effets secondaires background, qu’il soit bon ou mauvais. En fait, c’est très simple… Les caractéristiques de votre personnage, les valeurs chiffrées sur la feuille, c’est ce que le personnage peut faire, ses capacités. Le background, c’est tout le reste.
Je m’explique : Les chiffres, c’est la partie “jeu”, le background la partie “rôle”. Les deux sont essentiels. Ce n’est toujours pas clair ? Bon… Le background, ce n’est pas simplement la description de ce qui s’est passé avant que ne débute le scénario… C’est le rôle de votre personnage, ce qui permet de savoir comment et pourquoi il va réagir de telle ou telle manière. Ses expériences passées en font partie, mais cela ne se résume pas à ça.
Profitons-en pour dissiper les idées reçues : Il n’y a rien de mal à faire du “powergaming”. Il n’y a rien de mal à avoir un background sommaire, du style qui tienne sur un timbre-poste… Il n’y a rien de mal à choisir pour son personnage un rôle classique, voire cliché, facile à jouer. Il n’y a rien de mal non plus à élaborer une histoire compliquée pour la vie de son personnage, ni à prendre son rôle très au sérieux.
Tout dépend de comment chacun s’amuse à votre table, avec son personnage, voilà tout ! L’essentiel, c’est d’arriver à ce que chacun ait un vrai rôle dont le maître de jeu peut se servir, non pas pour piéger les joueurs, mais pour créer des histoires passionnantes qui les impliquent au premier chef.
Et, soyez-en certain, chaque personnage a un background… Consciemment ou non, chaque joueur voit son personnage d’une certaine manière, sait comment il réagirait dans telle ou telle situation, et possède une liste de choses que son personnage ferait ou ne ferait pas. C’est ça, le background. Il faut juste y réfléchir un peu.
La plupart des gens pensent qu’un Background est un texte écrit racontant l’histoire du personnage et ses “origines secrètes”, comme pour un super-héros… C’est parfois vrai (ou ça peut en faire partie), mais pas toujours. Beaucoup de MJ insistent pour que les personnages aient tous un background écrit, et c’est plus ou moins bien accepté par les joueurs… La plupart des joueurs ont en effet un point de vue bien arrêté sur ce qu’ils appellent le BG. La première moitié voit ça comme une corvée, et ceux-là bâclent un truc qui colle aux chiffres de la feuille de personnage. L’autre moitié des joueurs, au contraire, adore ça… Ils écrivent un véritable roman avec introduction, développement, et fin dans le soleil couchant ! La quantité prime souvent, hélas, sur la qualité.
Quant à moi, je suis d’avis que nous jouons à un jeu… N’est-il pas de notre devoir d’en éliminer les tâches rébarbatives, ou tout au moins de les rendre intéressantes ? Il faut en tout cas éviter les deux extrêmes ci-dessus. Dans le premier cas, le personnage n’a aucun élément ou événement exploitable par le MJ (du moins qui ne soit pas un cliché), c’est une silhouette en carton qui ne fait que fournir une image à une machine pour jeu vidéo. Dans le second cas, le roman du personnage est si complet qu’il est une œuvre à part, complètement séparée de tout scénario. Comment exploiter ce château en Espagne pour un MJ ? C’est trop long, c’est inutile, les trois quarts n’interviendront jamais en jeu…
Je me souviens d’un background écrit pour un certain personnage d’un certain jeu de rôles vampirique… La première page (sur quatorze) détaillait, entre autres, le petit déjeuner du PJ avant qu’il ne devienne un vampire. Et puis il y avait une histoire de fromage, comme quoi il n’aimait que ceux à pâte dure… Et puis les trois quarts de la chose relataient des épisodes de la petite enfance du personnage pour finalement montrer que tous les gens décrits étaient morts, et tous les lieux détruits. Excusez-moi du peu, mais, en tant que MJ, qu’est-ce que j’en ai à faire ? Il eut été aussi simple de dire “Tout ce qu’il connaissait a été détruit”… Non ?
Même si vous écrivez très bien (et il y a de fortes chances pour que ça ne soit pas le cas… Ne nous leurrons pas, n’est pas Terry Pratchett qui veut), le background n’est pas un devoir à rendre. Vous n’êtes pas noté à la copie-double, et votre MJ n’est pas là pour corriger les copies du bac. En tout cas, en tant que maître de jeu, si j’ai besoin de chercher des petites “graines” pour alimenter mes scénarii et impliquer le joueur au milieu de trente-six-mille paragraphes au style douteux, je vais probablement louper pas mal de choses…
Alors que faire ? Comment fait-on un background de jeu de rôles ?
Pensez “points clés”. Bien sûr, ce que vous allez écrire et la façon dont vous allez le faire dépend hautement de vos goûts, de ce que votre MJ vous demande, et du jeu auquel vous allez jouer… Mais il y a quand même un certain nombre de points communs à tous les backgrounds pour tous les jeux. Ce sont sur ces points que j’insiste, et ce sont ces points dont je me sers d’instinct depuis toujours en tant que MJ.
Voilà ce que je recherche dans un bon background, par ordre d’importance :
- Un concept
- Une description
- Des événements importants
- Des motivations
- Des intentions
- Des relations
Le concept, c’est la nature du personnage, quelque chose qui renseigne tout de suite sur ce que le joueur veut jouer. Par exemple, « Ancien flic plein de rancœur », « sorcier avide », « Chevalier valeureux »… Rien d’affriolant. Et n’en mettez qu’un seul, sinon c’est trop compliqué à jouer. En principe, ça peut même suffire, comme BG… Eh oui ! En fait, l’une des raisons pour lesquelles on devrait tous réfléchir au moyen de résumer son perso en une phrase, comme ça, c’est que cela nous met en face des traits majeurs du personnage, ceux que l’on aura à cœur de jouer à la table. Pour le maître de jeu, c’est aussi une indication de la façon dont réagit le personnage dans telle ou telle situation : c’est idéal.
La description est essentielle. Bien entendu, il faut décrire le personnage physiquement, au moins succinctement (les dessins et les figurines sont toujours appréciées), ne serait-ce que parce que ça donne de la couleur… Mais cela ne se limite pas à ça. Il est intéressant de montrer comment le joueur voit le personnage, comment le personnage se voit lui-même, et comment il est vu. Il s’agit autant des vêtements qu’il porte, que de sa couleur d’yeux, que de sa manière d’être, certaines de ses habitudes marquantes… Pas forcément juste un tic de langage ou ce qu’il aime manger (c’est sans intérêt, on l’a déjà dit !)… Mais les choses importantes. Pas besoin d’en faire des tonnes non plus. C’est important parce que ça aide le joueur à incarner le personnage, à se mettre dans le rôle, et le MJ à l’insérer dans le monde de campagne.
Les événements importants viennent ensuite, car ils aident à déterminer les motivations du personnage. Il ne s’agit pas ici de raconter par le menu la vie du personnage (quel intérêt pour le MJ de les lire ?), juste ceux qui ont changé la vie du personnage. Il en suffit de peu… Les grands héros n’en ont d’ailleurs vraiment pas beaucoup. Prenez Batman : Le meurtre de ses parents a changé sa vie, l’a mis sur sa voie et lui a fourni ses motivations… Selon les auteurs, il existe plusieurs versions de cet événement, mais c’est toujours plus ou moins le même, court et brutal. C’est un bon exemple : Pas besoin de faire trop long. Les détails importent peu, seulement la manière dont cela affecte le personnage.
Les motivations sont liées au reste. La plupart viennent à l’esprit automatiquement en lisant ou relisant les événements importants. Elles sont la clé d’un bon background, parce qu’elles aident le joueur (et le MJ) à savoir où va se diriger le personnage si on le pousse de telle ou telle façon. Par exemple, si le personnage est motivé par l’avarice, il se lancera dans une mission s’il est bien payé… Les motivations peuvent être aussi vagues ou aussi précises que le souhaite le joueur… « Il croit en la justice pour tous » marche aussi bien que « Il recherche l’assassin de sa sœur ». L’important, c’est que cela donne instantanément au MJ qui le lit une idée du genre d’histoire que le joueur veut vivre avec son personnage… Et ça, c’est inestimable.
Un point très lié au précédent, ce qu’on pourrait appeler (faute d’un meilleur terme) les intentions du personnage renseigne le MJ sur ce que le joueur compte faire du personnage plus tard… Ou ce qu’il ne ferait pas. Il est important pour le joueur comme pour le MJ d’avoir une idée de ce que le personnage va faire, parce que personne n’est figé dans le temps. Le personnage a-t-il un plan de carrière ? Au contraire, improvise-t-il ? Est-ce qu’il hésite à tuer autrement que pour se défendre ? Est-ce qu’il y a certaines choses qu’il respecte, dont il se fiche ? Tout ceci permet d’éviter le fameux “Mon personnage refuse d’aider/de tuer/de travailler pour…” Et permet aussi au MJ de créer des dilemmes intéressants pour ses joueurs !
Dernière clé, il est important d’écrire qui le personnage connaît, ou a connu, qui il aime et qui il déteste. Ce sont ses relations. Trop souvent, un personnage de jeu de rôle est une île, et n’a, contre toute vraisemblance, rien ni personne en dehors des autres personnages du groupe d’aventuriers… Alors même qu’il ne les connaît pas au début de leurs aventures ! Le “cavalier solitaire” est un archétype courant parce qu’il semble cool et reste très pratique pour ceux qui n’ont pas d’idées. C’est une opportunité perdue : Tout le monde a un passé, a grandi, a une famille, des amis, peut-être même des serviteurs, des collègues, des animaux… Et aller délivrer un ami, travailler pour lui ou se faire trahir, c’est une bonne histoire.
C’est tout ? Oui, c’est tout. C’est déjà beaucoup.
Idéalement, tout bon background comprend ces six points, plus ou moins développés, ce qui peut prendre… A peine six phrases ! Est-ce qu’il faut que ça soit écrit ? Pas forcément. Il faut que ces points soient cohérents les uns avec les autres, et que le joueur en ait discuté avec le MJ au préalable. Ne notez par écrit que si vous voulez garder une trace de cette histoire, ou si vous avez peur de ne pas vous souvenir de tout, notamment des noms ou des dates, ou des événements qui pourraient intervenir dans de futurs scénarios.
Si un ou deux de ces points ne sont pas très détaillés, voire absents, c’est intéressant aussi : Il est souvent plus amusant de découvrir certaines choses à propos de son personnage alors même qu’on est en train de le jouer, voire d’inventer en cours de partie. Mais il faut que ce soit volontaire… Que le joueur laisse sciemment certaines choses de côté. Il peut être intéressant d’avoir quelques blancs à remplir pendant le jeu, que ce soit le MJ ou le joueur, ou les deux, qui s’y collent. Et puis, j’ai vu quelquefois une bonne idée sur le papier se révéler compliquée à jouer plus tard… Enfin, parfois, les bonnes idées ne viennent qu’à la table de jeu.
A mon avis, le “fluff”, on peut toujours en pondre au kilomètre, mais ce n’est tout simplement pas la peine. Moi, en tout cas, je trouve ça beaucoup plus amusant à jouer, en définitive, qu’un background artificiel qui n’est là que pour « expliquer » la feuille de perso, ou quelque monstruosité gongoriste pleine de conflits émotionnels de lycéenne greffés sur de grands elfes dégingandés, pâles et imberbes, de préférence en manteau de cuir noir à la Matrix…
Après, vous faites ce que vous voulez.
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