Rôlistes et communautarismes

Où Mucius se demande pourquoi UNE définition à DES jeux de rôles, pourquoi UNE communauté pour DES jeux… Et autres considérations communautaristes.

J’ai un ami anciennement parisien qui vient de s’expatrier loin, très loin, dans une campagne hostile et broussailleuse, une jungle incivile et sauvage. La Bretagne. Bon, c’est de l’humour… Je ne veux pas blesser les bretons, que je chéris, et d’ailleurs la Bretagne est on ne peut plus civilisée puisqu’elle compte de nombreux rôlistes, et que mon ami a trouvé un groupe. Ah, la fameuse “communauté rôliste”, cet animal multiforme et secret… Elle a du mal à tenir, et pourtant, elle tient.

Il y a quelques temps, Maximus nous a donné sa vision du jeu de rôles. J’y souscris, au moins en partie… C’est aussi ce que je recherche dans un jeu de rôles. Pourtant, il y a des tas de rôlistes qui se plaisent à avoir une vision différente… A vouloir plus de quotidien dans leurs univers, ou au contraire des choses carrément bizarres et assumées. Simulationnisme, réalisme, mise-en-scène, sérieux, sentiment, personnages proches de soi ou différents… Il n’est jamais vain de s’exprimer là-dessus.

Je le vois de plus en plus dans la grande variété des rôlistes, et je ne me lasse pas de le dire, chacun a sa vision de la chose : il n’y en a pas de “bonne”. La façon de jouer, la définition même, varie d’un joueur à l’autre selon sa vision de cette occupation… Jusqu’au mot. Pour certains, on fait DU jeu de rôle, pour d’autres on fait DES jeux de rôles. Il y en a qui jouent à un jeu de rôle, il y en a qui préfèrent le jeu de rôleS, au pluriel… Consciemment ou non, on met l’accent sur des choses différentes.

L’un des chapitres qu’on a tendance à sauter quand on lit un bouquin de règles, c’est cette espèce d’introduction où, tant bien que mal, l’auteur du jeu essaie d’expliquer ce qu’est un JdR… Pas mal de jeux (dont l’Appel de Cthulhu et certains jeux de chez White Wolf) omettent carrément ce passage soi-disant obligé. Les ventes ne s’en ressentent pas, tant il est vrai que rares sont ceux qui achètent un tel jeu sans qu’on leur ait montré avant : un jeu vidéo n’explique pas ce qu’est un ordinateur sur sa boite.

Warhammer 2e édition, après un début qui perd à la traduction, explique ce que font un MJ et des joueurs. C’est un peu flou, mais heureusement il y a un exemple de partie. Le livre de base de Pathfinder a 7 ou 8 pages sur le thème du jeu, comment ça se joue autour d’une table, et, oui, un exemple de partie. Beaucoup de jeux, français ou non, parlent de “storytelling”, de “conte partagé”, et s’étendent (parfois en termes techniques ou ampoulés) sur l’objectif supposé du jeu de rôles…

Et, comme d’habitude, ce sont ceux qui se prennent au sérieux qui se fourrent le doigt dans l’œil. Se profile vite un jargon du style “Théâtre improvisé” ou “Saga mythopoïétique”, et des considérations sur le fait qu’il s’agit d’un art, que cela fait appel à la créativité, que c’est une activité essentielle et ancestrale… “Nous allons élaborer une histoire en commun”, “Nous sommes les héritiers des conteurs d’histoires à la veillée dans les chaumières”… Le côté “amis autour d’une table” est vite expédié.

Alors oui, c’est un peu vrai. Je ne nierai pas que je trouve le jeu de rôles génial justement parce que c’est un jeu d’interactions sociales intelligent et formateur. On crée des histoires, on résout des problèmes ensemble, on s’exprime devant les autres et on les écoute, on élabore des plans, on improvise devant l’adversité, on joue à porter un masque, on fait face aux conséquences de ses actions… Et pourtant, ce n’est qu’un jeu, c’est “pour de rire”. Mieux encore : il n’y a pas de vrais perdants.

C’est un hobby incroyable, et qui peut être plus gratifiant qu’aucun autre… Il est bon de le faire “sérieusement”, mais, comme je l’ai dit ailleurs, il ne faut pas confondre le sérieux et la solennité. Ne pétons pas plus haut que notre cul : Nous ne sommes pas les dépositaires d’une tradition millénaire ni les défenseurs d’un outil psychologique sophistiqué… C’est un jeu ! Ne faisons pas passer le jeu de rôles pour ce qu’il n’est pas. Le meilleur moyen de le “protéger” est simplement de partager notre passion.

Pourquoi disséquer ainsi techniquement cet innocent loisir, comme si, pauvre de nous, nous avions besoin de nous justifier et d’être sur la défensive face aux bigots de tout poils ? Présente-t-on les jeux de cartes comme “Une séance d’analyse statistique additionnée d’éléments de psychologie appliquée, faisant travailler la mémoire et la logique” ? C’est peut-être exact pour pas mal de jeux, c’est sans doute une description académique adéquate, mais on passe complètement à côté de l’essentiel.

On peut décrire le jeu de plateau comme “un divertissement social dans lequel on pousse selon des règles une série de marqueurs sur un référentiel illustré dans le but d’arriver à une résolution avec ou sans gagnant”, mais ça fait moyennement avancer le Schmilblick. Répondre à la question “Qu’est-ce qu’un jeu de rôles” se heurte au même écueil. Avons-nous besoin d’une définition universelle du jeu de rôles, en fait ? Oui et non… Seulement pour expliquer ça aux grands débutants.

Nous avons surtout besoin d’une explication pour chaque jeu, ne serait-ce que parce que ça ne sert à rien d’expliquer sans montrer, sans faire partager. C’est ce que font les jeux de rôles les plus pédagogiques avec leur petit laïus explicatif : Ils ne s’embêtent pas à décrire ce qui se passe quand on joue à autre chose. Et ils donnent des exemples de parties de LEUR jeu. De ce fait, ils échouent complètement à décrire LE jeu de rôles, mais décrivent peut-être un peu mieux LEUR jeu de rôles.

C’est leur boulot. ils ne font pas un état des lieux du JdR. Quand un jeu s’attelle (comme c’est parfois le cas) à décrire “le jeu de rôles” de façon générale, la définition est souvent restrictive et on patauge dans de fausses généralités ou des paragraphes inutiles. On n’imagine pas consulter une règle du jeu de Dames et y trouver un paragraphe qui parle de Mémoir’44, SmallWorld ou de tous les autres jeux de plateaux, même si, effectivement, il s’agit “aussi” de pousser des pions… Eh bien là, c’est pareil.

Nous savons que les Petits Chevaux sont différents du Monopoly, qui est différent du Jeu de l’Oie, qui est différent des Colons de Catane… Et chacun aime tel ou tel jeu, recherche tel ou tel plaisir, voudra bien faire une partie d’échecs un soir mais pas le lendemain. Chacun le sait et le comprend, même les néophytes… Mais pour une raison inconnue, tout le monde (y compris pas mal de rôlistes) met les jeux de rôles tous ensemble dans la même catégorie, et a SA version de “ce qu’est un jeu de rôles”.

Les jeux-de rôles, c’est très varié. Il y en a sans MJ, il y en a sans chiffres, presque sans règles, il y en a sans dés, il y en a sans papiers. Il y en a sans table, avec des gagnants et des perdants, en costume et grandeur nature, ou par ordinateur. Les mauvaises langues diront que D&D4 est le premier jeu de rôles sans rôles… Le MMORPG et le RPG en jeu vidéo est à la frontière de jeu de rôles, tout comme Il était une fois, les loups garous de Thiercelieux et les livres dont vous êtes le héros.

Pas la peine, donc, de s’attarder à ce genre de détails pour présenter l’activité, non ? Ne nous demandons pas pourquoi il n’y a que peu de définitions générales du Jeu de Rôles, demandons-nous plutôt pourquoi tant de gens en cherchent une. Avoir une définition, c’est bien, et cela a même semblé une solution pour mieux répandre le jeu de rôles… C’est une réponse un peu trop “En Vérité, voici la Bonne Parole” et pas assez “Viens essayer ce jeu, il est bien, on va se marrer !”, mais c’est parfois utile.

La meilleure définition que j’ai trouvé, celle que je donne toujours, c’est celle-ci : On se réunit entre amis et on fait semblant de vivre des aventures, pour s’amuser. Un exemple qui parle à tout le monde, c’est celui des “gendarmes et des voleurs”. On a tous joué à “on dirait que je serais une princesse, et toi tu serais le shérif et moi je serais Batman…” étant gamins. Là, c’est pareil, sauf qu’il y a des règles pour savoir si on réussit ce qu’on veut faire.

Il s’agit à peu de choses près de la définition donnée par la FFJDR (Fédération Française de Jeu De Rôles, association agréée Jeunesse et Education, c’est bon, mangez-en !), mais ça n’est pas pour ça que je l’ai choisie. C’est une phrase simple et compréhensible qui décrit l’activité en peu de mots, qui ne choque personne, qui souligne bien qu’il s’agit d’un jeu, et qui constitue une entrée en matière. On est loin de “l’histoire coopérative” ou du “psychodrame commun”.

Après, je peux bien vous le dire… Moi, dans un jeu de rôles, ce que je recherche, c’est qu’on se réunisse autour d’une table entre potes pour incarner des personnages matérialisés par des fiches, suivant des règles, et vivre l’intrigue élaborée par un Maître de Jeu. J’insiste sur certaines autres choses (la vraisemblance, notamment), et il y a des choses que j’aimerais essayer (le jeu sans MJ, au moins une fois), mais ça, on s’en fiche un peu. C’est assez spécifique, finalement !

Compte tenu de ce qu’on a dit, c’est déjà un miracle que la cohésion soit si forte dans la communauté rôliste : A-t-on vu les joueurs de Scrabble se trouver une communauté d’esprit avec les joueurs de La Bonne Paye ? Non. Et nous ne voyons pas non plus les joueurs de La Bonne Paye dire que les joueurs de Scrabble ne “comprennent rien au VRAI jeu de plateau”, ou les joueurs de Destin, le jeu de la vie dire que “le jeu de l’Oie, c’est vraiment pour les bourrins”.

En même temps, ils n’ont pas eu à militer ensemble pour une reconnaissance de leur passe-temps. La communauté, le réseau, c’est utile, et ça répond aux besoins de trouver des joueurs, comme mon ami l’a vu. Cela dit, je pense qu’il faut aussi mettre certaines choses derrière nous… Le jeu de rôles en est aujourd’hui au stade où se trouvait le jeu vidéo il y a quelques années : méconnu, communautariste, peu lucratif, soupçonné de tous les maux.

Le jour où nous serons prêts à vraiment sortir de nos communautés, à nous faire connaître, à faire de l’argent, on n’aura plus à se faire de souci quant aux soupçons… Cela commence à être le cas : la dernière édition de Donjons et Dragons a eu droit à un article dans Time Magazine, les JdR sont à présent des produits de qualité, le geek devient chic et brasse de l’argent (entraînant le rôliste avec lui) et on ne compte plus les rôlistes célèbres qui “sortent du placard”.

Quoi qu’il en soit, comme je le disais, chacun a SA vision du jeu de rôles. Il n’y en a pas de “bonne” ou de “correcte”. Sortons de notre coquille, tant face aux non-rôlistes que face aux autres rôlistes. Je reviens d’une convention de jeux de rôles en Irlande, et cela m’a fait du bien de sortir de ma routine, de mes groupes… J’ai trouvé une communauté variée de gens prêts à se faire des amis. Il suffit d’en avoir conscience, et de rechercher ceux qui aiment les mêmes choses.

… Ou mieux, d’initier des amis ! On n’a pas tant besoin d’une définition que de gens sympas qui partagent leur passion.

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