…Où Mucius, au cours d’un long article qui n’est autre qu’une liste subjective de plus, détaille un certain nombre de motifs récurrents qu’il retrouve dans beaucoup de scénarios de jeux de rôles ainsi que dans les médias modernes (séries, films, etc.) et qui lui font bien souvent rouler des yeux à la table de jeu. Tout le monde en fait, même lui, et c’est une gymnastique mentale de se demander si chaque élément du scénario en est un, mais autant essayer de les éviter !
Je suis un joueur chiant. Je le confesse, des décennies en tant que MJ, joueur, lecteur, traducteur et créateur de l’imaginaire m’ont rendues exigeant. Je refuse de me dire « blasé », parce que c’est, justement, souvent les histoires les plus simples, voire les plus innocentes, qui me font en ce moment retrouver tout le plaisir des jeux de rôles. Cet article a commencé comme une série de notes sur certaines choses que je retrouvais souvent dans les séries et les scénarios. Des choses qui m’agaçaient.
Mais d’abord, qu’est-ce qu’un cliché ? Un cliché, c’est un motif récurrent dans une histoire qui est surutilisé, éculé, et qui en devient à la fois prévisible et… ennuyeux, voire agaçant. Mais attention, il ne faut pas confondre un cliché avec un code, ou ce que les américains appellent un « trope » ! Se plaindre qu’une histoire répond à certains codes du genre, qu’elle possède des « tropes », c’est se plaindre qu’un arbre est fait en bois.
La définition du cliché est donc subjective, mais cela n’est pas pour ça que les clichés n’existent pas. A l’instar de la pornographie, de la douleur et de l’art, c’est relatif et souvent indescriptible, mais on peut reconnaître ces phénomènes instantanément et sans effort. C’est pourquoi il ne sert à rien de décrier les clichés sans exemples… ni de faire une telle liste sans admettre humblement qu’il y a toujours des moyens de mettre en scène ces clichés sans déparer une histoire.
Passons donc à la liste subjective, non-exhaustive et totalement désordonnée de désidératas scénaristiques :
La Darkitude
Vous savez bien de quoi je veux parler… cette tendance à donner dans le grand-guignol, à montrer la douleur et le trauma des gens, même des héros, à montrer la saleté, la compromission, la corruption, la mort, des gens qui se haïssent et ne savent pas communiquer, les mondes tout cassés, sans espoir et qui vont mal… à montrer les héros comme de simples humains, impuissants, qui font ce qu’ils peuvent, voire même moins que ce qu’ils devraient faire… Mais qu’est-ce que j’en ai marre !
On peut très bien faire des histoires sombres. On peut jouer à des jeux d’horreur, mettre en scène des personnages dysfonctionnels, parler traumatismes, drogue, univers carcéral, torture et autres saloperies… mais on n’est pas obligé de rendre cela inévitable. C’est très à la mode. On ne compte plus les séries sur les flics durs à cuire, les serial killers et la corruption, dans lesquelles les personnages tombent comme des mouches. Il n’y a presque plus que ça !
Même la très positive série de films Marvel, pleine de héros en collants et couleurs vives, vient de sortir un film ou tout le monde crève… et ne me parlez pas de Game of Thrones ou de DC. N’oubliez pas que vous êtes entre amis autour d’une pizza un vendredi soir, et que le monde est déjà assez sombre comme ça ! Comme le disait Seth MacFarlane en annonçant sa série « The Orville » : si on me force à regarder encore une autre série sombre et déprimante, je pense que je vais me flinguer.
Veillez donc à éviter de donner dans la gratuité. Si vous pensez qu’un surcroît de violence est « réaliste », sachez que si le monde n’est pas rose, la violence est en nette diminution sur Terre, de même que le crime et la guerre. Et puis nous sommes dans un monde imaginaire : Tout le monde n’a pas besoin que tous ses loisirs soient anxiogènes (certainement pas moi, en tout cas) ! Les gens heureux n’ont pas d’histoire, dit-on… mais les gens malheureux finissent pas nous ennuyer.
La rédemption existe, le ciel bleu aussi. Il est possible de se remettre d’un traumatisme, de surmonter des épreuves, et sans forcément être à vif et y laisser « une partie de son humanité ». C’est une remarque très générale, mais qui se décline à loisir en de nombreux problèmes spécifiques des histoires d’aujourd’hui.
Je suis un homme, mais j’ai des fêlures…
Les joueurs sont les principaux coupables de ce genre d’exactions narratives avec leurs BGs, mais c’est après-tout le MJ qui « laisse passer » … et puis le « loup solitaire au passé trouble » est aussi souvent un PNJ chéri du MJ. C’est très bien de faire des personnages complexes, des anti-héros ou des gens au passé tragique, mais attention à ne pas les rendre antipathiques, imbuvables, insortables, bref, avec tellement peu d’intelligence émotionnelle qu’ils en deviennent injouables.
Dans cette catégorie, je range le PNJ qu’il faut aider pour résoudre le scénario, mais qui refuse qu’on l’aide et fait de la rétention d’information parce qu’il n’a confiance en personne. J’y mets aussi le personnage qui a subi un événement terrible il y a longtemps et refuse de s’en remettre. Batman est un orphelin comme tant d’autres, mais qui a refusé obstinément de dépasser ce traumatisme, par exemple, et de manière peu réaliste pour un millionnaire. Superman, lui, a juste été bien élevé !
La carte de l’enfance difficile est jouée extrêmement souvent dans les films, séries et médias, et en JdR, on l’a dit et redit. Tout ça n’excuse pas tout, ne justifie pas tout non plus. Attention… ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit :Tous ces éléments sont très intéressants s’ils ne sont que cela : un élément du personnage. Les protagonistes n’ont pas à être instables pour être profonds, la tragédie n’est pas équivalente au développement d’un personnage.
Une fois ou deux, ça va, mais je ne sais pas pour vous, moi je ne suis pas le psychanalyste des PNJs ! Veillez aussi à ce qu’il y ait des gens heureux, gentils et bien adaptés dans vos univers ! Plutôt que de faire des protagonistes qui « doivent se reconstruire », pourquoi ne pas faire des gens stables qui sont, de ce fait, mieux à même de vivre des aventures ? Pourquoi ne pas créer des gens qui ont des histoires et des motivations diverses, et pas systématiques ?
Encore un cliché en guise d’exemple : le méchant semble toujours être quelqu’un de solitaire, de mal aimé, ayant eu (surprise, surprise) une enfance malheureuse. Ouin-ouin. Bon, à partir du premier meurtre, personnellement, enfance malheureuse ou pas, je n’ai plus d’empathie pour le personnage, donc ça ne sert à rien d’écrire ce genre de chose. C’est simpliste. Certes, les gens manquent d’empathie parce qu’ils sont seuls, qu’ils ont mal… mais il y a des causes moins convenues à cela.
Regardez Donald Trump : il a eu une enfance heureuse, il a été très gâté, et aujourd’hui, comment le prendre pour autre chose qu’un méchant idéal ?
Syndrome de Trinity et autres clichés sexistes
J’ai dit « homme » tout à l’heure parce que ce sont principalement des hommes qui font et qui sont ce genre de personnage… société patriarcale oblige, il semble que faire une femme qui tire sa force de ses fêlures est plus rare qu’une femme qui tire sa force de sa rébellion. Le personnage de femme « badass » surpuissant est courant chez le MJ (principalement masculin, ai-je constaté) qui écrit un scénario et veut faire « féministe ».
Ce personnage de femme surpuissant enseigne souvent des choses aux PJs et les impressionne par son expertise, mais doit nécessairement s’effacer devant les vrais héros de l’histoire… et lorsque ces héros sont masculins, nous avons le syndrome de Trinity : la femme qui apprend tout au héros, MAIS qui a tout-de-même besoin qu’il la sauve à la fin, inexplicablement, parce qu’elle n’est pas l’élue, le héros, etc. et que ses pouvoirs ne sont pas suffisants, ou, soudain, ne marchent plus.
C’est souvent irréaliste et presque toujours sexiste. D’ailleurs il est grand dommage que nous ayons besoin de rappeler dans une liste de clichés tous les errements misogynes qu’on retrouve par pelletées dans les jeux de rôles… par exemple, c’est toujours la fille qui doit se soumettre à un mariage arrangé. J’ai fait l’inverse dans un scénario, avec un PJ dans le rôle du marié de force, et c’était pourtant très bien ! Même en Fantasy et SF, il y a des métiers d’homme et des métiers de femmes…
La méchante reine cherche toujours la jeunesse éternelle, le méchant sorcier à dominer le monde. Quand des victimes sans importances sont retrouvées pour faire monter la tension, ce sont presque toujours des femmes… et les « bêtes », dragons, tueurs fous, etc. sont presque systématiquement des hommes. Vous avez remarqué qu’il n’y avait jamais de troupes d’orques femmes, de gobelines, etc. exclusivement féminines à harceler les villages au milieu de la forêt ?
Et quid de tout ce qui est non-binaire, trans, et ainsi de suite ? Bien souvent, ce genre de personnage est créé pour remplir un quota, et est donc hypersexué, n’étant rien d’autre que cette « identité de genre inhabituelle » sur pattes. Par exemple, le perso bisexuel est souvent une excuse pour draguer tout ce qui bouge, et si un PNJ est homosexuel, c’est souvent que c’est important pour l’histoire… il y a peu de couples homos heureux simplement dans le décor d’un scénario de JdR !
C’est en tout cas une rareté que je goûte d’autant plus, comme la forgeronne, la capitaine, l’infirmier, la bourgmestre, le barbare androgyne… Moi, je me suis fait une table aléatoire pour tirer au hasard le genre de mes PNJs, et si cet élément est important pour le personnage, c’est son rôle dans l’histoire (métier, origine, famille, pouvoirs…) qui le définit avant tout. Bref, un peu d’originalité, les gars (car ce sont principalement les gars qui ont besoin de ce conseil) !
Ouh, que je suis méchant !
Certes, établir un méchant passe parfois par lui faire trucider sans raison un innocent, ou l’un de ses subalternes incompétent… mais si on y réfléchit, à moins d’avoir une organisation fanatisée, le taux d’embauche des sbires du méchant après le premier meurtre descend en flèche, et la plupart des laquais quitteront l’organisation dés qu’ils le pourront. D’autant plus que les sbires sont d’alignement « mauvais » et veillent à leur propre intérêt !
Le cliché qui dit que les gens les plus intelligents, les génies, et particulièrement les docteurs, sont en fait tous des sociopathes imbuvables (qu’ils soient le méchant ou le héros), ça m’énerve. Être intelligent, ça ne rime pas forcément avec le fait d’être un connard. C’est injuste envers les sociopathes de les réduire aux rôles de méchants, et de nier la diversité des sociopathies. Pour être un bon PJ et pour être un bon méchant, il FAUT savoir travailler avec les autres, organiser, et rester poli… c’est la base.
Menacer systématiquement de mort les gens qui travaillent pour vous, ce n’est pas de bonne politique : soit ils partent, soit vous les tuez, soit les deux. Dans tous les cas, vous n’avez plus personne à votre service. Mais cela ne vaut pas que pour les méchants… Vous savez, dans la vraie vie, les gens sont, la plupart du temps, polis. Quand quelqu’un gueule sur tout le monde, il lui arrive en général des bricoles, et la société, à juste titre, n’est pas tendre avec lui.
S’il y a quelque chose que j’ai assez vu, ce sont les personnages malotrus. Comment respecter quelqu’un qui ne nous respecte pas ? Déjà, ça m’insupporte quand le groupe des PJs est dysfonctionnel (comment se fait-il que l’elfe et le nain qui se gueulent dessus constamment soient encore ensemble, et comment se fait-il que les autres n’aient pas fui ces deux gros racistes depuis longtemps ?), mais quand les PNJs le sont, c’est pire encore. En dehors des ermites, la misanthropie est finalement rare.
Ce genre de cliché narratif qui promeut exactement le contraire, en tout cas, m’agace au plus haut point.
Pourquoi tant de haine ?
Autre exemple, le supérieur et donneur de mission des PJs est, presque systématiquement (surtout s’il s’agit d’un militaire, d’un policier, d’un ancien aventurier, et généralement d’un mec…) bourru et autoritaire au point d’en être puant. Le style du capitaine de police avec un ulcère qui hurle « Riggs ! Murtaugh ! Dans mon bureau, et tout de suite ! » … Même quand on donne un ordre, même à des persos débutants, on n’est pas obligé de cracher sur tout le monde.
Et qu’est-ce qui est arrivé au mot magique qu’on apprend tout petit ? « S’il vous plaît », ça ne vous dit rien ? Les héros sont généralement des gens au-dessus du commun des mortels, et on les emploie justement pour leurs qualifications. Ne pourrait-on pas reconnaître leur expertise, puisque c’est pour ça qu’on fait appel à eux ? Ils ont généralement été entraînés PAR l’organisation du supérieur en question… évitons de voir celui-ci nier totalement que cet entraînement ait la moindre valeur.
Assez de vieux (hommes blancs cisgenres) qui aboient aux PJs « Vous avez besoin de 4 heures ? Je vous en donne 2, pas une de plus ! » … Assez de « J’ai pas le temps pour vos questions ! Débrouillez-vous, je ne vais pas vous mâcher le travail ! ». Si le supérieur détient des informations et désire que la mission réussisse, même si elle n’est pas cruciale, ne se doit-il pas de les donner aux PJs sans même qu’ils aient à la demander ?
Dans un dossier, par exemple ? En entreprise, dans la police, ça se fait. Et arrêtez de nous bassiner avec les agents secrets dont les supérieurs leur mentent effrontément sous prétexte de compartimenter l’information. Compartimenter oui, faire de la rétention au point de tout foutre par terre et risquer des vies inutilement juste pour que les espions du Shield aient l’air sinistres, c’est ridicule ! Ne créez pas non plus des PNJs tous paranos et fermés comme des huîtres dans les scénarios d’enquêtes, sinon personne n’obtiendra jamais la moindre information, le moindre indice… Ce n’est pas le but !
Assez de « Le budget est trop serré », aussi ! Même chose pour le matériel. Que le matériel soit retenu plus tard sur la paie des PJs ou acheté par les PJs avec leur paie, cela revient au même : économisez l’étape « shopping », toujours (disons le mot) chiante, et fournissez directement au moins le matériel de base pour la mission. Si la mission est si importante et les PJs héroïques, pourquoi perdre du temps à être radin au point de risquer un échec ? Un bon ouvrier a toujours de bons outils.
Même sans l’aide du « département Q » et ses gadgets, il y a eu un tournant, à un moment, ou « Vous seul pouvez l’arrêter, James, vous êtes notre meilleur élément… vous avez carte blanche ! » s’est transformé en « Bond, votre comportement est inqualifiable. » suivi de « C’est notre meilleur agent… mais je ne veux pas le lui dire… » Tout cela a un nom : un environnement de travail TOXIQUE. Moi, je décroche. Arrêtez avec ça, sinon les PJs vont démissionner, trahir, ou se rebeller.
Eh oui ! Ils ne sont pas obligés de se laisser marcher dessus : il n’y a pas de précarité en JdR parce qu’il y a toujours un autre scénario, un autre univers ! Donc, et si vous traitiez vos héros en héros, ou même comme des êtres humains, pour une fois ?
Mais où est donc la carotte ?
On peut faire la même remarque à propos d’un autre cliché… le bâton comme motivation. De plus en plus souvent, les séries, JdRs, comics et autres racontent des histoires ou les héros sont prêts à raccrocher mais sont forcés d’effectuer la mission par les circonstances. Reconnaissons-le, ça fonctionne très bien avec des anti-héros du style détective alcoolique (« je suis trop vieux pour ces conneries… ») et vétéran traumatisé (« c’est pas ma guerre… ») et autres héros rangés des voitures.
Il n’y a rien de mal, d’ailleurs, à mettre le monde en danger pour pousser les PJs à l’action… sauver le royaume, sauver un ami de la maladie, c’est louable. Aller guérir les victimes d’une peste aussi… mais ça, c’est proactif. Le fait de guérir, les bonnes actions en elles-mêmes, ce sont des carottes pour un personnage héroïque, pas des bâtons. Un tel personnage (et la plupart des PJs le sont, au fond) n’a pas besoin qu’on lui dise d’y aller deux fois.
Seulement, nous sommes dans une époque très « bâton » ou la carotte est tombée en désuétude. La série de BD des Terres d’Arran (Elfes, Nains, Orques…) use et abuse des anti-héros avec tous les clichés déjà vus plus haut, sa formule éculée mettant en scène la souffrance de héros solitaires forcés de survivre dans un monde désespéré… Et aujourd’hui, même les héros aux motivations les plus diverses sont soumis à la dictature de la mission forcée.
Par exemple, la prise d’otage… « faites la mission, ou sinon il arrive X à Y ». « Je vous donne l’antidote au poison qui tue votre ami si vous me rapportez la fleur dans les montagnes de machin ». « Allez me chercher le trésor, ou sinon je tue votre femme ». « Rapportez-moi le McGuffin ou votre fils passe le restant de ses jours en prison. » … Ce genre de scénario est très intéressant, mais ne doit pas devenir systématique : cela donne raison aux joueurs qui font un BG sans aucune « prise ».
Les PJs sont quand-même le plus souvent des personnages qui ont fait leur métier de partir à l’aventure et de développer certaines compétences, et qui y ont pris goût, s’ils ne l’avaient pas dès le départ. Et si (je dis ça, je ne dis rien, hein) vous essayiez de proposer une mission aux PJs qui soit attrayante dès le départ ? Quand on met spontanément ses capacités hors du commun au service d’autrui, pour l’argent ou la gloire ou parce que c’est simplement la chose à faire, pas besoin d’otage.
C’est pour ça qu’on joue, je vous signale… pour aller dans les ruines de trucbidule et sauver machin. La carotte, c’est tout à fait efficace, comme motivation. Moi, quand on me donne des coups de bâtons, j’ai tendance à les rendre : quand un ami de mon perso est pris en otage, ma mission n’est pas d’obtempérer et de me soumettre, mais bel et bien de ne pas donner au méchant ce qu’il demande. La police vous le dira : on ne négocie pas avec des terroristes et les rançonneurs, on les arrête !
Moi vois, moi tue !
Et tant qu’on y est, pourquoi tant de violence ? Même dans D&D, est-il toujours nécessaire de tuer son adversaire ? Est-ce que Batman et Superman doivent tuer ? Je ne dis pas qu’en cas de légitime défense, hein, bon… mais laisser une traînée de cadavres, même d’orques et de gobelins, est-ce que cela doit être récompensé au même titre que d’avoir réussi à éviter les effusions de sang, surtout si on n’a même pas cherché à le faire ? Encore un coup de la darkitude envahissante !
La realpolitik des JdR, c’est la satisfaction du joueur… mais est-ce vraiment satisfaisant pour tout le monde de tuer ? Si on se casse le cul à faire des méchants complexes, est-ce que c’est justement pour les voir perdus à jamais ? Le paladin Loyal Bon n’a-t-il pas un devoir de compassion, et de trouver le juste châtiment aux actes mauvais au lieu de systématiquement passer tout le monde par le fil de l’épée ? Certes, le génocide mérite sans doute la mort… mais tous les adversaires ne sont pas Hitler.
Et puis dans notre société un tant soit peu éclairée, nous avons aboli la peine de mort, quel que soit le crime. Pourquoi est-ce un fantasme que de la voir maintenue dans pratiquement tous les univers ? Je ne dis pas qu’il faut en perdre le sommeil si, au cours d’un combat final, on tue un violeur multirécidiviste, mais trucider les femmes et les enfants kobolds qui n’ont rien fait et le nécromancien qui ranime des zombis (un crime sans victime), c’est douteux au possible.
La fin ne justifie pas toujours les moyens. S’il est satisfaisant pour certains de résoudre les problèmes de façon simpliste dans un JdR, soit… mais la simplicité n’implique pas forcément la cruauté gratuite et sans conséquence.
On pourrait penser que ce genre de chose est moralisateur et pompeux, que c’est après tout dicter une fin non violente aux joueurs qui pourraient très bien s’amuser à tuer tout le monde… C’est vrai. Mais je trouve que ne pas proposer cette fin, ne pas l’encourager, laisser la porte ouverte aux « murderhobos », c’est rendre le monde de jeu moins réaliste, moins intéressant. Si vos joueurs laissent derrière eux une traînée de corps, c’est que vous ne les avez pas mis en face des conséquences.
Normalement, les aventuriers sont les gens qu’on envoie pour régler le compte des meurtriers dans ce genre… envoyez-donc à vos assassins préférés une équipe d’aventuriers, ça leur fera les pieds. Le cliché du héros qui DOIT tuer, qui DOIT taper fort, a la vie dure… aussi dure que le méchant avec qui il est TOUJOURS possible de négocier, aussi dure que le méchant avec qui il n’est JAMAIS possible de négocier. Choisissez la complexité.
Il est grand temps que les gens apprennent que cela n’est pas la seule manière de jouer ou de résoudre les problèmes… ni même une façon de résoudre quoi que ce soit. Montrer que la violence ne résout rien, qu’il n’y a pas de solution toute faite, Star Trek le fait très bien, alors pourquoi pas vous ?
« Dites non à la drogue, les enfants » et autres messages à la con
Encore une fois, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : ne faites pas la morale à vos joueurs, c’est très agaçant. Mais la violence comme seule solution est un cliché si omniprésent qu’il fallait bien souligner que c’en est un ! Il faut faire attention aux messages que l’on affiche, parfois malgré soi, dans ses scénarios de jeux de rôles. Il y en a qui sont particulièrement répétitifs. Qu’ils soient vrais ou faux, je finis par vomir ce qui n’est souvent qu’une série d’opinions convenues et bien-pensantes.
Exemple parmi tant d’autres, le message écolo. Oui, on sait, le réchauffement climatique est un problème terrifiant. Oui, on sait, la déforestation c’est mal. Oui, on sait, marées noires, pollution, gnagnagna. Mais nous jouons aussi dans des univers de Fantasy et de Science-Fiction pour s’évader du quotidien ! Si vous ne jouez pas post-apo ou cyberpunk, ou ces thèmes sont centraux, essayez de ne pas tomber dans le sempiternel message « nature = bien ».
La nature n’est pas « bien » ou « mal ». Le plus souvent elle est cruelle. Les prédateurs et les bestioles empoisonnées sont archi-nombreuses. Dans un monde médiéval, la déforestation n’est PAS un souci du tout pour la planète. La nature n’est pas systématiquement une mère, une femme, une nourricière qui vous soigne gratuitement. La nature, même personnifiée, n’a que faire de l’harmonie. La mort, phénomène naturel, permet la survie du plus apte, je vous signale !
Les druides font de très bons méchants, mais ça n’est pas politiquement correct. Et tant qu’on est sur le sujet, NON, tous les marchands n’ont pas à être malhonnêtes dans un JdR. Tous les riches n’ont pas à être d’immondes salopards. Tous les nobles n’ont pas à être des freluquets méprisants. Tous les prêteurs sur gages n’ont pas à être des mafieux. Tous ceux font la fortune est ostentatoire n’ont pas à être les méchants… la philanthropie, le fait de prendre au sérieux ses responsabilités, ça existe.
De la même manière, tous ceux qui sont de basse extraction ne sont pas des « gentils », et être pauvre n’est pas une circonstance atténuante au banditisme ou au meurtre. Tous les voleurs n’ont pas un « code d’honneur », il n’y a pas de « bons gangsters » qui ne touchent pas à la drogue et respectent les prostituées et de « mauvais gangsters » au comportement incontrôlé, ils sont en réalité TOUS d’ignobles voleurs et meurtriers. Les scientifiques ne se prennent pas tous pour des dieux.
La marijuana n’est pas qu’un accessoire bénin qu’on met entre les mains d’un PNJ pour le rendre sympathique en ignorant les trafics qu’on en fait. Les drogues dures ne détruisent pas non plus systématiquement des vies, et on peut mettre en scène DMT, LSD, cocaïne et les amphétamines sans les accompagner de messages bien-pensants… Je suis personnellement contre la drogue, mais ce que je veux dire, c’est qu’il faut se permettre de prendre à l’envers les sentiers rebattus.
Le « héros du peuple » ne doit pas systématiquement aller contre la loi. Pourquoi ne pas agir au sein du système, pour une fois ? N’est-il pas idéalement l’émanation du peuple ? Ce n’est pas parce que le monde actuel est cassé que le monde du jeu doit l’être. N’oubliez pas que Robin des Bois était aussi un noble. La mission « Chevalier, allez enquêter sur les agissements du seigneur machin » est aussi valable que « Rebellons-nous contre le seigneur machin et le roi qui a permis son établissement ».
On n’est pas obligés de faire la révolution… Personnellement, j’ai assez de ça aux infos, dans les films, les séries, comics, etc.
Usé jusqu’à la corde
Faisons encore la liste de tout ce qui est éculé… la prophétie, tiens, elle est belle, celle-là ! En plus d’être suremployé, faire des personnages les « élus » c’est souvent les faire se reposer sur leurs lauriers puisqu’ils savent qu’ils vont réussir. Il est d’autant plus difficile de leur réserver des surprises que tout le monde leur dit que leur destin est particulier. Et, soit dit en passant, point n’est besoin de le dire aux joueurs : ils le savent, puisqu’ils jouent les protagonistes. Sinon à quoi bon jouer à un JdR ?
Faire des PJs les aventuriers de la prophétie, ça minimise aussi les pouvoirs des PNJs à peu de frais… c’est à la fois pratique et un peu bête : pourquoi, s’il existe des gens plus puissants et plus compétents, est-ce que ce sont spécialement nos héros qui doivent résoudre tout le bouzin ? Ceci rejoint le syndrome de Trinity. Et en prime, si les PJs sont les fameux élus de la prophétie, pourquoi ont-ils un supérieur bougon qui leur refuse informations et matériel ? On en a discuté plus haut.
Sachons aussi éviter le syndrome de Worf… Worf, c’est le plus fort de l’équipage de l’Enterprise D. C’est aussi celui qui se fait mettre au tapis le plus souvent lorsqu’il faut montrer qu’un méchant est « fort », du coup. Dire qu’un PNJ est au-dessus du niveau des PJs, puis le faire vaincre sans effort par le grand méchant que l’on souhaite établir. Cela sent souvent le TGCM, c’est systématiquement paresseux, un peu comme l’écriture de grands passages du premier film des Avengers avec Thanos.
Thanos qui neutralise Hulk, Thor et Loki dés la première scène, c’était supposé me faire trembler… ma réaction a été « Bitch, please… l’équipe scénaristique a été payée pour ça ? ». N’humiliez pas vos PNJs ni vos héros, c’est un manque de respect inutile. On n’a pas à briser ce qui a été établi, surtout trop récemment. Ces codes sont aussi usés que l’apocalypse zombie, désormais courante, le post-apocalyptique dystopique et le futur plein de mégacorporations au lieu d’être utopique…
Depuis quand n’avez-vous pas vu une utopie au cinéma, hein ? J’aimerais bien en revoir une de mon vivant, moi…
Hélas, les capitaines sont bien souvent des gentils, et les docteurs des méchants ou des anti-héros (et si on respectait l’éducation et pas l’armée ?). Hélas, les chauves sont toujours des méchants (en tant que chauve, j’en ai un peu marre). Hélas, les inestimables ruines de la cité perdue sont détruites à la fin. Hélas, les mariages « de raison » sont toujours présentés comme très mauvais, en dépit du fait que les mariages entre jeunes gens passionnés durent aujourd’hui si peu…
Les clichés sont partout, et ils sont nombreux. Pourquoi ne pas écrire, pour une fois, une histoire sur une princesse qui VEUT se marier avec un mec (ou une FILLE) riche et qu’elle apprécie, mais qu’elle n’aime pas, pour son bien et celui du royaume ?
Réutilisons les clichés… parce qu’ils n’en sont plus
Les clichés, en fin de compte, ça va, ça vient. Cela fait depuis presque quinze ans que je n’ai pas vu dans une série, une BD ou autre, un politicien honnête qui ne pratique pas systématiquement le compromis, ou pas de manière honteuse en laissant faire des choses inavouables. Un dirigeant qui a l’avenir de son pays à cœur. A ma connaissance, bien peu d’œuvres ont été produites avec ce genre de personnages depuis les années 80, en dehors des nanars ringards.
Les œuvres anciennes et leurs adaptations (le Seigneur des Anneaux, par exemple, ou certains vieux Gabin) ne comptent pas. En dehors des vieux Superman, des débilités comme Air Force One et des excellentes séries comme The West Wing et Star Trek (et encore, pas toujours), je ne vois pas grand-chose. Les super-héros font de plus en plus de politique, de façon désabusée ou révoltée, et replantent de moins en moins le drapeau sur la Maison Blanche.
La police n’arrive plus à la fin pour arrêter les criminels et rétablir un ordre bon et souhaitable… aujourd’hui, dans la fiction, c’est « police partout, justice nulle part », même quand dans la vie, de temps en temps, la police fait son travail. Le vieux roi barbu n’est plus juste et bon. Même le donneur de mission est désormais tellement systématiquement un traître ou un méchant dans les séries, les films et les scénarios de JdR que je suis surpris quand ça n’est pas le cas !
Les criminels sont aujourd’hui les « gentils » et les héros tuent sans sourciller (sauf dans l’Aquaman de 2018, et encore). C’est devenu tellement normal… est-ce que ça n’est pas un nouveau cliché, du coup ? Et si on revenait un peu là-dessus ? Et si on retrouvait des héros qui sont de grandes figures, pas parfaits, mais qui évitent les travers du commun des mortels ? Marvel l’a bien compris avec des héros positifs comme Spiderman, T’Challa, Capitaine America… des raretés, en dehors de leurs films.
Et même les héros de Marvel sont parfois des « loups solitaires », sont vilipendés par l’opinion publique, ont des supérieurs corrompus, des rois avec des secrets honteux, des relations artificiellement rendues dysfonctionnelles pour mieux remettre en scène leur réunion, des adversaires TGCM, des arcs de personnages qui ne sont là que pour qu’il y ait un arc de personnage mais qui sont complètement inutiles…
Sachez-le, le développement du personnage n’implique pas qu’il ait besoin de se remettre en question. Parfois, le héros qui fait le bien, bah, il fait juste le bon choix, il n’a pas à se le demander après coup ! Regardez Steve Rogers. Vous pouvez aussi prendre plaisir à jouer un chevalier qui protège la veuve et l’orphelin, d’autant plus que ce type de personnage simple et « trop lisse » est de plus en plus rare de nos jours… et vous n’avez pas besoin, justement, qu’il soit « trop lisse ».
Sachez-le, la tragédie n’est pas la profondeur, et les cadavres ne sont pas l’équivalent du développement d’un personnage, pas plus que la « woman in the fridge » (encore du sexisme, renseignez-vous là-dessus) ou de l’enfance malheureuse. J’ai fait des personnages de D&D avec une enfance heureuse, une famille nombreuse et encore vie. J’en joue encore, et avec plaisir ! Cela leur donne des objectifs clairs et positifs, de ne pas s’être construits en dépit de tragédies plus horribles les unes que les autres.
La plupart des gens qui ont eu du bonheur dans leur vie ne sont pas foncièrement méchants, croyez-le ou non !
La torture n’est pas un bon moyen d’obtenir des informations, ça n’est jamais pratiqué « pour le bien », et on n’a pas à forcément la mettre en scène pour rendre les autorités policières ou militaires « réalistes ». Sexisme, homophobie, racisme, drogue, violence et corruption… n’ont ni à être omniprésents, ni à être absents. Enfin, un personnage peut ne pas avoir d’Arc, de remise en question… autant de théories d’écriture si prisées en ce moment, mais qui ne sont pas parole d’évangile.
Exemple parlant : Jean-Luc Picard se fait torturer par les Cardassiens et assimiler par les Borgs, et il s’en remet grâce à la médecine et la psychiatrie du futur. On le retrouve avec plaisir, bien le même, avec son équipage qui ne se bouffe pas sans cesse le nez et n’a pas le bec dans ses problèmes relationnels à tout bout de champ, à faire des missions qui les exaltent et les intéressent, et à faire de bons choix sans pour autant que les dilemmes des épisodes manquent de profondeur !
Bien sûr, tout cela reste subjectif. Peut-être que vous n’avez pas mon ressenti quant au côté tragique et gratuit des choses. Peut-être que le paysage médiatique que vous consultez comporte toujours plus de ces œuvres simplistes, parfois désuètes et manichéennes, dont je regrette quelque peu l’absence à l’ère de Netflix, de The Expanse, de Star Trek Discovery, de Game of Thrones et des superhéros dans le style de cet immonde détraqué de Frank Miller. Admettons.
Comme je l’ai dit, ce sont surtout les choses qui m’agacent personnellement qui, par nécessité, constituent cet article. Mais l’important, c’est que vous ne vous interdisiez pas d’aller à l’encontre de vos instincts, de vos opinions, et que vous vous posiez des questions… Ce que vous faites fait-il passer un message ? Consciemment ou non ? Est-ce le but (a priori non) ? Est-ce original ? Et là encore, est-ce le but (c’est comme vous voulez) ? Qu’est-ce que je peux faire pour améliorer les choses ?
Et surtout LA question… Est-ce que c’est amusant, pour moi et pour mes joueurs ?
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