Où Mucius, s’étant plusieurs fois cassé les dents sur des enquêtes policières tant comme joueur que comme MJ, vous donne des conseils qu’il espère avisés en vertu de ses échecs… et de ses quelques réussites, tout de même.
D’abord, qu’est-ce qu’un scénario d’enquête ? Définissons les codes du genre pour ne pas déborder sur n’importe quoi. Une enquête n’est pas nécessairement policière, n’est pas nécessairement un meurtre, mais toutes les enquêtes fonctionnent à peu près de la même manière, grâce aux mêmes codes. Si, au lieu d’un meurtre, vous pouvez mettre en scène « qui a volé mon épée de famille » ou « qui conspire contre le roi », il s’agit toujours de résoudre un mystère grâce à des indices.
D’ores et déjà, il nous faut parler des codes narratifs et esthétiques auxquels il conviendra de coller pour que les joueurs reconnaissent le genre dans lequel ils se trouvent (libre à vous de les ignorer si vous désirez qu’ils soient dans le brouillard) et surtout qu’ils sachent à quoi s’intéresser et où aller… à moins qu’ils ne désirent effectivement casser l’ambiance du scénario, ils suivront aussi ces codes du mieux qu’ils peuvent, surtout si ce sont des amateurs du genre et que c’est à leur demande que vous tentez ce genre de scénario.
Le Genre Littéraire du Roman Policier ou d’Enquête
Contrairement à ce que les gens pensent, le roman « policier » ne met absolument pas forcément en scène un policier… mais c’est vrai que c’est plus facile de justifier le fait que le héros enquête s’il a à la fois mandat et vocation pour le faire. Il s’agit généralement d’un meurtre ou d’un crime dont on ne connait pas le coupable, parce que c’est quelque chose qui intéresse et intrigue tout le monde (alors que « j’ai perdu mes clés », beaucoup moins).
Genre noble et très ancien, son premier représentant est probablement le « Di Gong An », trois enquêtes résolues par le Juge Ti, roman chinois du XVIIIe siècle basé sur les aventures du juge éponyme ayant réellement existé sous la dynastie Tang… Robert Van Gulik, en traduisant et continuant ces aventures dès les années 1920, a même créé le sous-genre du « policier historique ». Le roman d’enquête moderne se résume à un code très simple :
- Un crime mystérieux se dévoile au fil d’une enquête raisonnée.
L’esthétique varie beaucoup, et il ne me semble pas important de mentionner quelque élément que ce soit : le policier se mélange très bien avec tout, de la Fantasy à la SF en passant par le contemporain, l’historique, l’occulte… en roman comme en jeu de rôles ! N’ayons donc aucun scrupule à nous amuser avec.
On constate le crime au début du scénario, et l’intrigue consiste pour nos héros à trouver le coupable par des moyens satisfaisants, c’est-à-dire sans raccourcis magiques idiots (voir plus loin). Les méthodes du protagoniste sont donc basées sur la raison, la déduction ou l’induction. Le crime n’a pas besoin d’être un meurtre, et il n’y a pas besoin d’avoir qu’un seul héros : le Club des Cinq appartient à ce genre autant que les romans de Raymond Chandler.
Sous-genre du Whodunit, ou roman policier à l’anglaise
Sous-genre du roman policier correspondant à un certain « âge d’or », il est très populaire car souvent distrayant. Il a l’avantage de pouvoir facilement introduire humour et légèreté, malgré un meurtre, et de proposer au lecteur une énigme qu’il tentera de résoudre avant la fin… il s’agit, comme la phrase anglaise dont il est le diminutif, de trouver « qui a fait le coup ». Il est d’autant plus possible de s’en inspirer en jeu de rôle pour un « one-shot » distrayant, par exemple.
Exemples : les œuvres d’Agatha Christie (Hercule Poirot, Miss Marple, la pièce « The Mousetrap »…), les enquêtes du Juge Ti (Robert Van Gulik), Le Juge d’Egypte (Christian Jacq), de nombreux romans de Mary Higgins Clark (partageant son temps entre roman policier et roman à suspense), la série « Agathe Raisin Enquête » (M.C. Beaton), etc.
Codes :
- Les suspects sont présentés dès le début, jamais plus tard, et ne changent pas. Les œuvres qui présentent le coupable à la fin sont rarement satisfaisantes, ou ne sont pas des « whodunits » mais des Thrillers.
- Le ou les coupable(s) n’ont jamais pour mobile le hasard ou la folie, ni la nécessité ou la pauvreté.
- Ce n’est que rarement une intrigue politique, et l’intrigue suppose presque toujours des autorités et des lois. Le commentaire social est rarement présent en dehors d’un peu d’humour (s’il y en a).
- Pas beaucoup d’action, souvent aucun combat. Le coupable est arrêté à la fin (par sa mort ou par la police) et on revoit rarement des méchants récurrents : à la fin, le monde « rentre dans l’ordre ».
Esthétique :
- Le décor est généralement huppé, permettant une résolution d’enquête calme et réflexive (on n’est pas dans la jungle et rarement en danger, sauf de la part de l’assassin, et encore). C’est souvent un huis clos ou un meurtre « de chambre close », pouvant ainsi être facilement adapté au théâtre en un seul lieu, un seul décor.
- Personnages bourrés de clichés (détective hautain, bourgeoise huppée, vieux débonnaire, majordome impeccable…) ce n’est pas tellement une critique: les lecteurs aiment avoir des repères, on perds moins de temps à présenter tout le monde, et c’est avec humour que ce genre souvent bien usé s’autoréférence.
- Les motivations sont l’amour, l’avarice, la vengeance, le chantage, une rivalité professionnelle, la révélation d’un secret, etc. évitant généralement les fous criminels ou la pègre.
- Le crime est constaté au début, et, parfois, de nouveaux crimes viennent émailler l’enquête (par exemple, le second meurtre est presque toujours celui d’un témoin gênant, durant lequel le tueur laisse des indices car il improvise).
- La révélation finale se fait systématiquement en réunissant les suspects dans un cadre anodin (pas au commissariat ni sous la contrainte) pour une explication par l’enquêteur devant tout le monde. Le coupable finit par se trahir.
Sous-genre du Roman Noir, ou roman policier à l’américaine
Considéré comme l’autre grand sous-genre du policier, le « polar » ou la « série noire » est lui aussi un roman à énigme et/ou à suspense. Certains reprennent les codes du « Whodunit », à quelque chose près, mais le genre n’en a ni la portée, ni l’esthétique… créé surtout en réaction au policier à l’anglaise et développé à partir des années 40, il est moins « sage », et cherche à rendre compte de la réalité sordide du milieu du crime.
Exemples : Les Mystères de Paris (Eugène Sue), les romans de Raymond Chandler, « Les Incorruptibles » en feuilleton, Qui veut la peau de Roger Rabbit, Sin City (Frank Miller), la plupart des œuvres du genre « cyberpunk » …
Codes :
- Héros ambigus, au passé trouble, acculés sans le vouloir dans des situations désespérées. Monologue intérieur.
- Au cours de l’enquête, le héros va souvent devoir battre le pavé et devoir se confronter, dans les lieux les plus divers mais généralement urbains, à des personnages secondaires corrompus, violents, etc. et souvent à la pègre.
- Le commentaire social, ne serait-ce que par la mise en évidence de l’injustice, de la pauvreté, de la corruption et de la pègre, de l’envers du décor morbide des villes par rapport à une campagne souvent idéalisée, est omniprésent.
- S’il y a explication, il n’y a que rarement une réunion de suspects à la fin. La mort est souvent au rendez-vous.
Esthétique :
- Le « film noir » possède une identité visuelle très stricte et immédiatement reconnaissable : monologue intérieur du héros, éclairages crus et expressionnistes, ombres omniprésentes, noir et blanc, trottoirs humides, vapeur s’échappant des bouches d’égout, nombreuses scènes nocturnes…
- Généralement pessimiste et fataliste, le roman noir dépeint la société comme corrompue. Ses thèmes principaux sont l’infidélité, le crime, la trahison, l’avidité… les laissés-pour-compte y justifient des actes ignobles par la nécessité.
- Le cliché veut que le héros, un détective alcoolique et de second ordre, fauché, cynique et blasé, soit embauché par un commanditaire pour une enquête dont on lui cache les implications réelles et au cours de laquelle il rencontre une « femme fatale ». Avec tout ce que ça implique de robes rouges, de cabarets, de cigarettes et de gangsters.
- Les lieux sont multiples, mais le décor urbain est essentiel, la ville étant le symbole du vice. On y trouve bars louches, speakeasies où travaille invariablement une chanteuse sulfureuse, commissariats crasseux, salles de jeux, ruelles sombres regorgeant de criminels et de prostituées, et le bureau du « privé ». La récompense ultime du héros est de prendre sa retraite à la campagne en compagnie de sa fiancée, symbole de rédemption et de paradis.
Sous-genre du Thriller
Aussi appelé « roman de la victime » ou « roman à suspense », c’est une étiquette qu’on colle à beaucoup de types de romans (policier, espionnage, politique, militaire…) se déroulant dans de nombreux cadres (y compris de Fantasy ou de SF) parce que c’est surtout, au fond, une façon de raconter une histoire. L’esthétique, du coup, ne dépend généralement que du type d’œuvre ou de cadre dans lequel le Thriller se développe. C’est très souvent un policier, mais pas toujours.
Je dis que c’est un sous-genre parce qu’il y a rarement de Thriller « pur », et que c’est toujours une histoire policière, ou de Fantasy, ou d’espionnage, ou de SF, etc. qui est racontée à la façon d’un « roman à suspense »… mais c’est clairement un IMMENSE sous-genre dans la littérature et le cinéma ! Il est assez simple de rajouter un peu de « thriller » dans n’importe quelle histoire en Jeu de Rôles, en décrétant que le méchant, non encore démasqué, tente continuellement de tuer les PJs.
Le genre « zombie » est aussi, à l’origine, un dérivé du Thriller qui a pour thème une mise en garde contre le communisme… s’il a dépassé ce genre de message, il reste bien ancré dans le genre Thriller et en possède tous les codes. C’est dans le thriller que se retrouvent le plus souvent les terroristes, les psychopathes criminels et les extraterrestres ou êtres surnaturels prédateurs, de même que les monstres qui pourchassent leurs victimes : il suffit de changer l’esthétique et de garder les mêmes codes.
Exemples : La trilogie Bourne (Robert Ludlum), Eyes Wide Shut (Kubrick), La mort aux trousses (Hitchcock), Le Silence des Agneaux (Thomas Harris), Da Vinci Code (Dan Brown), Le Nom de la Rose (Umberto Eco), Bons Baisers de Russie (et certains James Bond, mais pas tous, de Ian Fleming), Les aventures de Scooby Doo…
Codes :
- Utilise le suspense pour provoquer l’excitation, la tension, la décharge d’adrénaline… souvent, la violence ou la menace de violence est le moyen d’y parvenir, à tel point qu’on identifie mal une œuvre ou la seule menace serait le déshonneur ou la ruine comme un vrai thriller. « Thrill » n’est-il pas l’anglais pour « frisson » ?
- Le protagoniste, souvent isolé et souvent inconscient du danger au début, est pourchassé par un adversaire qui en veut à sa vie. De fait, un Thriller policier adopte souvent le code inverse du Whodunit : le méchant et l’enquêteur ne se rencontrent souvent qu’à la fin, et il n’y a jamais eu qu’un seul suspect, non encore identifié.
- Le ou les protagoniste(s) doivent contrecarrer les plans d’un ennemi qui est souvent connu dès le début (malgré son identité non révélée) en évitant de subir un crime (structure exactement inverse du policier « classique », où l’on découvre un crime au début et trouve le méchant à la fin).
- Souvent, mais pas toujours, lié à une histoire policière. Parfois, le coupable est présenté comme un personnage lambda au début de l’oeuvre, comme dans un Whodunit, et n’est révélé qu’à la fin comme étant à l’origine de tout.
Esthétique :
- Selon les sous-genres… le thriller conspirationniste voit le héros pourchassé par les agents de « la conspiration », le héros d’un thriller d’espionnage est un agent du gouvernement, le thriller psychologique ne comporte qu’un conflit mental et émotionnel entre deux protagonistes avant le dénouement final et meurtrier, le héros du thriller politique doit préserver la stabilité de son gouvernement, le thriller horrifique est souvent un film avec un tueur en série, ou « slasher movie »…
- Il peut largement y avoir mélange des genres : Scooby Doo tient à la fois du Whodunit et du Thriller (une partie enquête et révélation finale, une partie ou l’équipe est pourchassée par l’ennemi). Indéniablement un Thriller, « à la Poursuite d’Octobre Rouge », film et roman, est à la fois militaire, politique, d’espionnage, psychologique, et en huis-clos ! La série Dexter est un thriller dans lequel le héros est un meurtrier et l’ennemi la police. Jurassic Park est techniquement un Thriller de science-fiction dans lequel les ennemis sont les dinosaures, comme un Predator, Alien, etc. ou l’ennemi est un extraterrestre. L’enquête consiste à survivre, trouver le monstre caché, et l’éliminer.
- Pour tous les genres : atmosphère généralement sinistre et menaçante. Le Thriller d’horreur (ça, The Thing, Texas Chainsaw Massacre…) s’il finit généralement bien pour un seul survivant, possède souvent une « fin à tiroir » que les connaisseurs attendent avec impatience. Il n’y a pas plus oppressant que de voir que l’horreur ne finit jamais !
- Bien que non essentiel au genre, le commentaire social est assez présent dans les thrillers politiques ou policiers (ne serait-ce que parce que le gouvernement est présenté comme une menace ou un repaire de gens corrompus), et les thrillers de SF comportent bien souvent une morale finale du style « science sans conscience… », etc.
Bon. Tout ça c’est bien joli, mais maintenant…
Comment adapter ça en partie de Jeu de Rôles ?
D’abord, sachez que ça n’est pas facile. Le scénarios d’enquête est un exercice périlleux qui a la réputation de tourner à la catastrophe, les PJs ne sachant que faire, à la recherche d’un indice qui n’existe pas, partant dans le décor et des chemins que vous n’aviez pas prévu (et ce même si vous avez méticuleusement décrit chaque dialogue avec chaque suspect ou personne présente sur les lieux). Les joueurs sont frustrés, le MJ pense qu’il a fait quelque chose de mal, tout le monde se sent idiot.
Prenons un exemple de ce qui peut arriver de pire. L’intrigue est la plus basique possible :
Deux personnes, un homme et une femme, ont été tuées. La femme était courtisée par un commis boucher du quartier. Dans la maison de l’une des scènes de crime se trouvent des lettres d’amour prouvant ce fait. Sur la scène du crime, il y a une caisse d’un abattoir, provenant en fait de la boucherie où travaille le coupable, le commis qui livrait sa viande lorsqu’il a commis le meurtre. Devant la fenêtre ouverte se trouvent des traces d’animal se transformant en traces humaines : notre tueur est un loup-garou ! Il a voulu s’en prendre à la femme, a trouvé le mari, s’est énervé et transformé, et, incontrôlable, a tué le couple avant de s’enfuir.
C’est on ne peut plus simple : chaque indice semble ne mener qu’à une seule conclusion, il n’y a qu’un seul suspect, une seule scène de crime, et pas beaucoup de rebondissements. Sauf que non.
Les PJs vont oublier d’examiner les abords de la maison, et ne trouveront donc jamais les traces de pas de loup. Ils vont échouer au jet de Fouille ou d’Investigation qui permet de découvrir les lettres. Enfin, face à la caisse cassée, ils iront enquêter dans un abattoir aux abords de la ville au lieu de se demander ce qu’une telle caisse fait ici et déduire que les bouchers s’en servent pour transporter la viande, tout simplement.
Faut-il pour autant renoncer uniquement parce que les joueurs ne sont pas Sherlock Holmes ? Heureusement, non.
Et heureusement aussi qu’ils ne soient pas Sherlock Holmes, avec ses inférences tirées par les cheveux. Prenons l’exemple de « une étude en rouge », première enquête du détective de Conan Doyle. Holmes est sur la scène d’un crime. Il remarque dans un coin de la pièce une petite pile de cendres. Il les examine, et déduit qu’il s’agit de cendre de cigare (elles ont une forme spécifique), provenant en sus d’une ville particulière en Inde.
Pour nous dire ça dans un jeu de rôles, le groupe a besoin de :
- Réussir un jet (investigation, par exemple) pour fouiller la pièce.
- Être suffisamment intrigué par un tas de cendres pour l’examiner plus avant (ils pourraient simplement se dire que la victime fumait, ou n’importe qui ayant pénétré dans cette pièce depuis le dernier nettoyage)
- Réussir un jet (histoire, par exemple) pour identifier les cendres et leur provenance
- Avec ces informations, et les autres indices, arriver à une conclusion correcte
Chacun de ces points est une chance d’échec, et donc de blocage des joueurs dans le mystère, soit parce que les joueurs ne penseront pas dans la direction attendue (et c’est toujours le cas, parce que chacun pense différemment et qu’il n’y a qu’un héros de roman pour penser exactement comme son auteur), soit parce que cela dépend d’un jet de dé (qui échouera toujours, parce que, soyons réalistes, vous n’aurez pas de chance).
Comme cet indice est essentiel à la résolution de l’affaire (par exemple si la suite de l’enquête doit se passer à interroger les bureaux de tabac à la recherche de mystérieux clients fumant des Trichinopoli) il s’agit d’un passage obligé, d’un genre de goulet d’étranglement, d’une clé de voûte : si elle n’est pas là, toute l’enquête s’effondre. Et cet indice n’est pas qu’une seule clé de voûte, c’en est quatre. Si une seule est manquante, rien ne marche.
Première solution :
Plus de chances d’échec, plus de goulet d’étranglement.
Dans pas mal de jeux datant des années 70 (L’Appel de Cthulhu, D&D, etc.), la nécessité de trouver des indices se fait grâce à une compétence spécifique, et qui ne la possède pas à un degré suffisant n’a aucun espoir de résoudre une enquête. Heureusement, d’autres jeux conçus pour l’enquête et la politique, comme Cthulhu Gumshoe, Esoterroristes, FATE ou le Livre des Cinq Anneaux… n’ont pas de compétence de fouille !
Il est admis que si les joueurs disent qu’ils examinent une scène, ils trouvent tous les indices les plus évidents et les plus nécessaires pour poursuivre l’enquête. S’il y a un jet à faire dans L5A, c’est celui d’une compétence liée à la scène ou l’activité, mais pas d’investigation : furtivité pour être discret, artisanat pour fouiller chez un artisan, étiquette pour fouiller chez un noble, et ainsi de suite. Et cela n’apporte de toutes les manières qu’un bonus ou des informations contextuelles sur les indices trouvés.
Dans tous les cas, on présuppose que quiconque fouille « correctement » les lieux trouve les indices, ce qui élimine trois des quatre « clés » de notre exemple : les jets de dés, et le fait de savoir que c’est un indice lié à l’affaire. Il suffit juste aux joueurs d’atteindre la bonne conclusion. C’est une solution un peu artificielle, certes, mais on peut supposer que des enquêteurs connaissent un minimum leur boulot, non ?
Cela peut paraître un peu dirigiste, encore qu’il soit possible de demander spécifiquement aux joueurs ce que les PJs examinent sur les lieux du crime, et de ne leur fournir QUE les indices qu’ils auraient logiquement pu trouver aux endroits requis.
Mais cette solution ne fait pas tout. Penser que nous sommes tirés d’affaire simplement en mâchant le travail des PJs, c’est considérer que l’histoire d’une enquête, c’est seulement une suite d’indices, une piste de miettes de pain que vous, le MJ, avez semé en pensant que A mènerait à B, qui mènerait à C, puis D, et ainsi de suite. Cela n’est pas vrai. L’histoire, ce sont les réactions des joueurs, ce qu’ils choisissent de faire, où ils choisissent d’aller avec en main ces informations.
Aucun groupe ne résout d’ailleurs la même enquête de la même manière. Reprenons notre exemple Holmesien : Notre détective infère que le coupable est un homme de plus de 1m80 qui fume des cigares de Trichinopoli, portant des brodequins à talons carrés, petits pour sa taille, et qu’il est venu ici avec sa victime dans un fiacre tiré par un cheval qui avait un fer neuf à la patte antérieure… entre autres choses.
Watson : — Vous m’ahurissez, Holmes ! dis-je. Certainement, vous n’êtes pas aussi sûr que vous le prétendez de tous les détails que vous leur avez fournis.
Holmes : — Pas d’erreur possible ! répondit-il. La première chose que j’aie remarquée en arrivant là-bas, c’est que les roues d’une voiture avaient creusé deux ornières près de la bordure du trottoir ; or, jusqu’à la nuit dernière, nous n’avions pas eu de pluie depuis une semaine ; par conséquent, les roues qui ont laissé une empreinte si profonde ont dû y passer la nuit dernière. Il y avait aussi la marque des sabots : le dessin de l’un d’eux était net ; le fer était donc neuf. Puisque le fiacre était là quand il pleuvait, et que, d’après Gregson, on ne l’a pas revu dans la matinée, il faut donc qu’il ait amené de nuit ces deux individus.
Watson : — Cela est simple, dis-je, mais la taille du meurtrier ?
Holmes : — La taille d’un homme, neuf fois sur dix, se déduit de la longueur de ses enjambées. C’est un calcul assez facile, mais je ne veux pas vous ennuyer avec des chiffres. Les pas du meurtrier se voyaient dehors dans la boue, et, à l’intérieur, sur la poussière. Et j’ai eu un moyen de vérifier mon calcul. Quand un homme écrit sur un mur, il le fait d’instinct au niveau de ses yeux. Or, l’inscription était à un peu plus d’un mètre quatre-vingts du sol. Un jeu d’enfant !
Notez que ce tout petit exercice de « déduction Holmesienne » n’est qu’une partie d’un mystère plus grand et que Holmes a en fait réuni un faisceau de plusieurs indices parmi la quantité d’informations qu’il a observé, qu’il les a étudiés, et qu’il en a tiré une conclusion. Voilà ce qui est typique du genre : un détective qui amasse lentement un corpus de preuves et d’indices jusqu’à ce qu’une conclusion se dégage. « Quand vous éliminez l’impossible… » bla, bla, bla.
Ce qui se dégage de cet exemple, c’est qu’il est indispensable de procéder à de nombreuses petites déductions pour pouvoir réunir assez de preuves pour résoudre l’enquête dans son ensemble. Chacune de ces déductions ne peut se baser sur un seul indice, mais doit bel et bien se former grâce à des indices qui 1) dénotent dans leur environnement, et 2) s’éclairent les uns les autres afin qu’on puisse les interpréter.
C’est non sans élégance que nous passons au point suivant, qui coule de source :
La Règle des Trois
Cette règle doit être votre maître mot dans un scénario d’enquête, elle ne souffre pas d’exceptions :
- Pour que vos joueurs arrivent à une conclusion donnée, donnez-leur un minimum de trois indices.
Pourquoi trois ? Parce que les joueurs vont passer à côté du premier en pensant que ça n’est pas important, que le deuxième ne sera même pas vu, et que le troisième sera mal interprété, ou pas en regard du premier. Dans tous les cas, les PJs feront une espèce de salto acrobatique, un tel saut intuitif au-delà de toute logique qu’ils finiront par revenir là où vous voulez qu’ils soient… mais est-ce que ce sera par le chemin que vous aviez prévu ? Rien n’est moins sûr.
Dans d’autres billets, j’ai déjà parlé de la faculté des joueurs à extrapoler et à partir dans des directions que le MJ ne peut jamais prévoir… eh bien c’est exactement ce qui se passe dans ce cas. Un scénario d’enquête est trop dirigiste, particulièrement si vous estimez qu’un seul indice doit mener au suivant et qu’il n’existe qu’un seul chemin. Pensez chaque indice, chaque élément trouvable par les PJs, comme un plan qui peut les mener à une conclusion.
Pensez à votre groupe de joueurs : vous croyez vraiment que vous n’aurez pas besoin d’un plan de secours, voire deux ?
Dans le meilleur des cas, les PJs trouvent les trois indices, et tout le monde est content. C’est très bien, cela permet d’orienter leurs conclusions dans la bonne direction et de les conforter dans une hypothèse pour laquelle tous les indices concordent, comme Sherlock Holmes un peu plus haut. Au pire, ils trouveront un seul des TROIS MILLIARDS d’indices possibles, et utiliseront cet indice pour avancer au moins une hypothèse qui correspond à peu près aux faits.
Mais, me direz-vous, s’il y a trop d’indices, ou s’ils sont vraiment trop évidents, est-ce que mes méchants ne vont pas passer pour des imbéciles ?
Ô, gens de peu de foi ! Songez que vos joueurs ne sont pas des enquêteurs professionnels. Songez aussi que quand vous écrivez un scénario, vous connaissez déjà la solution, et tous les indices vous semblent parfaitement évidents ! Vous ne sauriez juger objectivement de ce qui est « facile » ou non. Et un indice n’a pas à signifier une maladresse du méchant. Au pire, que se passera-t-il ? Les joueurs se sentiront plus intelligents d’avoir trouvé et interprété des indices, voilà tout.
Et cela n’est pas un conseil réservé aux enquêtes.
Richard Garriott, concepteur des jeux vidéo Ultima, a dit un jour que son travail en tant qu’auteur de jeu était simplement de veiller à ce qu’il y ait au moins UNE solution possible à un problème, SANS empêcher les joueurs de trouver leur propre solution. Par exemple, face à une porte fermée, vous pouvez trouver la clé, ou la crocheter, ou la frapper à coups de hache jusqu’à ce qu’elle tombe, ou faire donner un coup de canon pour l’ouvrir. C’est ce qui se passait dans Ultima, en tout cas.
C’est toujours un bon conseil pour un MJ (et un conseil que j’ai déjà donné) de ne prévoir qu’un petit nombre de solutions qui marchent, sans essayer de prévoir tout ce que les joueurs feraient, ni toutes les solutions qui pourraient marcher, MAIS en restant totalement ouvert aux solutions qui seront apportées par les joueurs. Dans un scénario d’enquête, c’est difficile : il n’est pas impossible d’inventer des indices au débotté, mais cela demande un peu de références dans le genre « policier ».
Que faire si un joueur, examinant une scène de crime, vous interroge spécifiquement sur les traces éventuelles sur le tapis de la pièce et que vous n’aviez rien prévu comme indice ? Simplement se poser la question de savoir si le coupable ou si autre chose aurait pu laisser des traces, faire bouger un meuble qui aurait laissé une marque, si le nettoyage a été fait, et ainsi de suite. Vous savez qui a fait le coup, comment, et comment il était habillé, et qu’il n’a pas pensé à cela, puisque vous n’y aviez pas pensé non plus. Vous pouvez donc en déduire un certain nombre de choses simples.
Mais pour les points essentiels, ceux qui sont des « clés de voûte » (voir plus haut), prévoyez trois chemins possibles. Trois indices qui indiqueront à vos joueurs que c’est par là qu’il faut aller.
La suite de l’aventure se trouve derrière une porte secrète, et il est vital que les joueurs la trouvent, mais vous ne pouvez pas simplement leur montrer où elle est ? Prévoyez des indications. Un jet de « fouille » réussi n’est qu’une solution sur trois.
Autres indices : une note chiffonnée sur l’un des sbires disant « cacher l’artefact derrière la statue de Globoo » (là où se trouve la porte secrète)… un journal d’explorateur qui parle d’un passage derrière cette pièce… une autre porte dans une autre pièce menant au même endroit… un plan cadastral des lieux qui indique un vide étrange… un méchant qui s’éclipse par cette pièce et n’est pas revu par la suite, laissant penser qu’il y a une porte secrète… la possibilité d’interroger un sbire encore en vie… et ainsi de suite.
Une fois que vous avez identifié un « passage obligé » dans votre scénario, qu’il s’agisse d’un indice ou d’autre chose, il devient assez simple d’ajouter des « chemins » supplémentaires.
Mais, me direz-vous encore (et arrêtez de m’interrompre, c’est très agaçant), n’est-ce pas trop facile ?
Non.
En réalité, de telles alternatives rendent un scénario plus vivant et plus intéressant. Voyez la porte secrète : avant d’ajouter des chemins supplémentaires, c’était un simple jet de dé. Maintenant, c’est un prétexte à faire vivre des PNJs (les sbires), à détailler un lieu, à examiner au juste quel est ce culte secret à Globoo, et nous savons qui a conçu cette porte et dans quel but : ce sont les méchants, pour pouvoir s’échapper et cacher un artefact.
Faites une liste claire de toutes les conclusions que vous voulez que vos joueurs découvrent. Les essentielles et les autres. Pour chacune, faites une liste des indices qui tendent à la prouver. Cela vous servira pendant la conception du scénario pour vérifier que chaque conclusion est soutenue par un bon nombre d’indices, que chaque point est vraisemblable, et que tout s’enchaîne bien. Et vous pourrez cocher les indices trouvés pendant le jeu.
C’est important. Pendant le jeu, les choses sont toujours un peu chaotiques… En cochant les indices obtenus, vous pourrez voir exactement à quel endroit vous avez pu oublier d’en donner un, là où les PJs n’en ont pas trouvés beaucoup, ou quels sont les indices que les PJs ont eu mais oublié. En tout cas, vous pourrez aussitôt voir les conclusions qui n’ont pas été atteintes. Attention, ne cochez une solution que si les PJs la tiennent pour vraie, pas s’ils n’en ont émis que l’hypothèse !
Ces conclusions, ces révélations progressives, sont la colonne vertébrale de votre enquête. Chacune est un point dans le scénario. Veillez à ce que le scénario soit faisable avec le moins de « points » possibles, comme pour les indices, et que chaque point/révélation puisse être atteinte par plusieurs voies différentes. Il peut y avoir un ordre, ou non. Une fois les révélations assemblées, elles peuvent ou non mener à une révélation finale.
Ces révélations sont essentielles à la bonne marche de votre histoire, mais elles sont faciles à fabriquer ! Ce sont simplement des étapes, des éléments qui font avancer l’intrigue, des retournements de situation, des choses qui rendent l’histoire intéressante. Si certaines sont essentielles et que les joueurs ne les trouvent pas, rien n’avance… il est donc d’autant plus important de bien baliser les chemins qui y mènent. Pour d’autres, c’est beaucoup moins grave.
C’est d’ailleurs une bonne manière de voir un scénario, quel qu’il soit, et pas seulement une enquête.
Reprenons l’exemple du début, l’Affaire du Loup-Garou éconduit. Voici trois moyens d’identifier le tueur, dont un seul suffit techniquement à le trouver et l’éliminer :
- Patrouiller les rues du quartier à la pleine lune
- Identifier la première victime comme étant l’amante du commis boucher
- Se rendre chez le boucher local et y trouver des horreurs dans l’arrière-cuisine
Chacune de ces méthodes dépend d’une conclusion spécifique à laquelle les PJs sont arrivés en trouvant les indices correspondants :
Conclusion 1, Le coupable est un loup-garou :
indice A : Des traces de pattes qui se changent en traces de pieds derrière la maison des victimes.
indice B : Des marques de griffes surdimensionnées sur les victimes.
indice C : Le mari avait un pistolet avec des balles en argent, soupçonnant le pire
Conclusion 2, le coupable est un amant ou ancien amant de l’épouse :
indice A : Des lettres d’amour écrites par le coupable.
indice B : Un journal intime écrit par l’épouse expliquant que son mari soupçonne sa relation.
indice C : Des rumeurs de voisinage selon lesquelles le commis boucher venait livrer lorsque le mari était absent.
Conclusion 3, le coupable est le commis boucher, il faut aller voir à la boucherie :
indice A : Une caisse brisée dont une planche affiche le nom d’un abattoir de la ville, semblable à celles dont se servent les bouchers pour leurs livraisons.
indice B : Un mot froissé dans une corbeille à papier indiquant « j’ai envie de toi, la boucherie après le travail »
indice C : Une note dans l’agenda de l’épouse : « rencontrer X boucherie, telle heure »
Voilà un scénario avec non pas une, mais un minimum de NEUF solutions possibles. Un seul de ces indices permettrait à des joueurs intelligents de résoudre l’affaire. Il y a des chances pour qu’ils n’en trouvent que quelques-uns, qu’ils ne pensent pas à tout. Rien ne vous empêche d’inclure des tas d’indices plus difficiles à interpréter : si vous joueurs n’en trouvent ne serait-ce qu’un seul, ils seront d‘autant plus satisfait d’avoir trouvé à quoi il correspondait.
Qu’est-ce qui vous empêche de laisser une référence à la boucherie dans l’une des lettres ? de remplir ce journal intime de croquis de loups au fusain ? De laisser planer le doute sur le fait que la femme commençait à se changer en louve ? Et ainsi de suite. L’important est que vous vous donniez à vous-même la permission d’inclure autant d’indices que vous voulez, et des indices marquants, intéressants, subtils. Pas simplement les indices qui correspondent aux informations indispensables.
Il y a rarement trop d’indices.
L’instinct d’un MJ comme celui d’un romancier, lorsqu’il conçoit une enquête, est de faire de la rétention d’information. C’est bien naturel : un mystère ne se définit que par ce que l’on ignore, par le manque d’informations. Toutefois, je préfère donner le conseil que j’ai déjà donné au sujet des secrets des PJs dans leur historique : un secret qui n’est jamais révélé n’a strictement aucun intérêt en jeu. Autant ne jamais l’avoir écrit, si c’est pour éviter de le partager. Ne jouez pas contre les autres.
C’est peut-être contre-intuitif, mais c’est comme ça : ne tombez pas dans le piège de l’antagonisme, du PJ contre MJ. Le MJ est du côté des joueurs, il doit non seulement leur exposer l’énigme, mais leur permettre de la résoudre… voire les y aider. Je crois fermement à la maxime qu’il n’y a jamais trop d’indices. Attention, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit… il y a une grosse différence entre un indice et un meurtrier qui écrit son nom et son adresse en lettres de sang sur le mur mitoyen !
Le désir de retenir l’information est contre-productif pour le MJ, et fait plus de mal que de bien.
En retenant cette information, en refusant de laisser parler tel PNJ fermé comme une huître parce que vous estimez qu’il n’a pas été suffisamment intimidé, charmé, ou que les PJs n’ont pas prononcé les mots exacts que vous attendiez (c’est très courant !), c’est vous-même qui bloquez un chemin essentiel à la résolution de votre énigme. Vous frustrez les joueurs, et vous vous frustrez vous-même, parce que personne ne va comprendre votre jolie histoire !
Ne verrouillez rien. Laissez les PJs arriver à la conclusion par le chemin qu’ils ont choisi. Si vous avez placé un témoin là, c’est pour qu’il parle. Si vous avez placé une porte là, c’est pour qu’elle soit ouverte. A moins que vous n’ayez une excellente raison pour que la porte soit immunisée aux haches et aux canons, récompensez les joueurs créatifs en leur laissant défoncer la porte, puisqu’ils n’ont pas trouvé la clé et que la suite se trouve derrière.
Vous n’avez pas besoin de placer la clé dans un endroit plus facile, genre sous le paillasson, ni même accrochée à une ficelle sur la poignée… cachez-la où vous voulez. Simplement, acceptez qu’il existe plusieurs moyens de passer de l’autre côté de cette porte, y compris détruire le mur. Vous n’avez pas besoin de rendre ce témoin prêt à tout déballer… mais acceptez qu’il existe plus d’une manière de le faire parler, ou d’obtenir la même information d’une autre source.
Si vos joueurs sont créatifs, récompensez-les avec des indices ou des informations utiles. Peut-être une indication qui fera pencher leurs hypothèses dans la bonne direction, un élément de contexte… l’occasion de leur dire que cela leur fait penser à tel ou tel élément sur lequel ils ont passé rapidement mais qu’ils pourraient vouloir réexaminer. Soyez ouverts et permissifs, ne considérez pas qu’il n’y a QUE les indices prévus, les chemins prévus, et aucun autre.
Ne considérez pas la liste de vos indices comme un carcan, mais comme un filet de sécurité. J’ai déjà parlé de ce genre de structure scénaristique « en points » dans un autre billet : les PJs ne sont pas forcés de passer par tous les points, mais ces points, ces éléments du décor et de l’histoire, ces PNJs, ces éléments de contexte ou de culture, vont vous servir pour improviser ce que les PJs trouveront s’ils posent telle ou telle question, à tel ou tel PNJ, et ainsi de suite.
Ils n’ont pas découvert les lettres d’amour cachées derrière le meuble ? S’ils pensent à interroger les domestiques (ce que vous n’aviez pas prévu, mais vous savez que la culture dominante des lieux le permet), vous improvisez une servante en deux secondes (toutes les caméristes se ressemblent, jeune, nerveuse, uniforme de soubrette, plumeau…) qui garde le secret de sa maîtresse… un secret qui lui brûle les lèvres et qu’elle a hâte de révéler. Un simple regard vers le pied du meuble suffit…
Certes, vous avez peut-être envie que vos joueurs suivent un chemin spécifique et très astucieux, que vous, vous aimez bien.
J’ai d’abord envie de vous dire MERDE. Aucun plan ne survit au premier contact avec les joueurs, et vous le savez très bien ! Si vous vouliez écrire l’histoire tout seul, vous n’aviez qu’à écrire un roman. Manque de bol, le jeu de rôles, c’est une narration partagée, et vous n’êtes responsable que d’une partie du bouzin, c’est comme ça. N’investissez pas émotionnellement dans une solution particulière, et surtout n’opposez pas votre véto aux solutions des joueurs si elles vous semblent trop différentes.
Vous verrez, jouer au jeu de rôles, c’est bien plus agréable lorsqu’on laisse les joueurs surprendre le MJ.
Disons que votre solution préférée, c’est le plan de secours, le filet de sécurité qui rattrape les PJs lorsque les joueurs ne trouvent rien de plus inventif à faire. Mais pour être aussi ouvert et permissif (disons même coulant) dans un scénario d’enquête, vous devez avoir une excellente compréhension de ce qui s’est exactement passé, dans quel ordre, et ainsi de suite, jusqu’aux détails sans importance en apparence, de manière à faire face aux PJs avec des réponses sûres et certaines.
Poursuivons avec notre exemple :
Qui est le loup-garou ? Quelle est sa personnalité ? Son passé ? Comment a-t-il tué ses victimes ? A-t-il déjà tué ? Quand a-t-il tué ? Qui ? Pourquoi ? Qui sont ces gens ? Pourquoi n’y a-t-il aucun témoin direct ? Où étaient les domestiques ? Par où est-il entré ? Ressorti ? Pourquoi le mari n’a-t-il pas eu le temps d’agir ? Comment le mari a-t-il soupçonné quoi que ce soit ? La femme savait-elle qu’il s’agissait d’un loup-garou ? Le tueur le sait-il, ou n’est-il plus lui-même lorsqu’il se transforme ? Etc.
Et si ça ne marche pas, il reste encore d’autres solutions !
Le dernier recours : L’urgence !
Parfois, malgré tous vos efforts, les joueurs sont bouchés à l’émeri. Ils tournent en rond, ne comprennent pas ce que les indices signifient, ignorent des indices qu’ils ont trouvés parce qu’ils ne s’en souviennent plus ou qu’ils butent sur un indice particulier et ne voient rien d’autre… Ou alors ils ont une théorie alambiquée qui utilise les indices mais les pousse dans la mauvaise direction… Parfois même, les joueurs ne réalisent même pas qu’il y a une enquête à mener, surtout dans le cas ou ce n’est pas clairement un meurtre et ou vous n’avez pas utilisé tous les codes du genre.
Le filet de sécurité ? Envolé. Le plan de secours ? C’était ça, le plan. Vous êtes dans la merde.
Le problème de ce genre de scénario est que les PJs s’obstinent comme des ânes sur un aspect particulier du problème, ou sont trop passifs. Ils ne bougent plus, enferrés dans des broussailles mentales, soit parce qu’ils n’ont pas l’information dont ils ont besoin (il est possible qu’ils ne sachent pas où chercher ou soient à court d’idées), soit parce qu’ils n’arrivent pas à faire sens de ce qu’ils ont déjà. Il faut les décoincer. Pour ce faire, il faut que quelque chose leur arrive qui les tire de leur torpeur.
Le conseil de Raymond Chandler était le suivant : « Dans le doute, faites entrer dans la pièce un type avec un flingue. »
Vous pouvez toujours vous rabattre sur la solution du Thriller. Consultez la définition plus haut. Cela n’en était pas un ? Eh bien maintenant, si. La solution la plus évidente, c’est que d’une manière ou d’une autre (que vous n’avez pas besoin de préciser) le méchant de l’histoire a su que les PJs enquêtaient, et il envoie quelqu’un pour les tuer ou tenter de les corrompre (ou les mener sur une fausse piste, mais c’est moins facile à improviser, et cela a certains désavantages… voir plus loin).
Autre solution lorsque le méchant n’a pas de sbires et ne peut pas aller voir les PJs sans se révéler, faites peser un sentiment d’urgence autrement : organisez un second meurtre (ou un premier, si personne n’est encore mort) ! C’est toujours comme ça, dans Hercule Poirot, quand le détective est coincé et que le rythme s’essouffle. C’est aussi l’occasion de laisser des indices supplémentaires… davantage, même, puisque le second meurtre est rarement aussi bien prémédité.
D’une manière générale, c’est là qu’entre en jeu votre chronologie. Si vous avez lu mes autres billets sur la préparation de scénarios, vous savez que vous DEVEZ écrire quelque part une chronologie concernant le plan du méchant, et tout ce qui se passe si les PJs n’interviennent pas. Ainsi donc, si les PJs sont coincés, faites simplement se produire la phase suivante du plan du méchant. Vous serez ainsi proactifs et créerez une nouvelle situation, nouveau lieu, ou nouvel événement pour vos PJs.
Ce sont des éléments que vous pouvez prévoir pour instiller un peu de suspense dans votre intrigue, si du moins vous estimez que c’est le genre d’intrigue qui a besoin de suspense… mais si vous n’en rajoutez pas volontairement, ce n’est pas grave, il y en aura quand-même lorsque vos joueurs échoueront
Au pire, surtout si le temps manque, il est parfois possible d’avoir un joker dans sa manche qui permette de finir le scénario quoi que fassent les joueurs… c’est moins satisfaisant que de les voir trouver la solution, mais c’est une solution plus intéressante que de les laisser tourner en rond pendant des heures ou de leur crier dessus que ce sont des incapables (et croyez-moi, vous en aurez très envie, parfois… vous aurez sans doute tort, mais vous en aurez envie !).
Pour le récit que nous avons pris pour exemple, disons simplement que si les PJs sont perdus au point de ne plus savoir quoi faire, le loup-garou les attaque parce qu’il pense qu’ils s’approchent trop de la vérité. Le méchant meurt, fin de l’histoire.
Derniers conseils : Fausses Pistes et Vrais Fiascos
Les fausses pistes sont un élément classique du genre policier. Toutes les preuves semblent désigner X, mais diantre, révélation inopinée, c’était en fait Y le tueur ! Ce qui semblait être un indice au départ est en fait sans intérêt ! Z semble cacher quelque chose, mais c’est en fait une nervosité tout à fait innocente à propos d’autre chose ! Beaucoup de MJs trouvent leurs histoires trop simples (parce qu’elles sont évidentes pour eux) et veulent les embrouiller avec des couches supplémentaires.
Petits rigolos que vous êtes !
Il est cependant assez rare qu’il soit utile d’en rajouter dans un scénario de jeu de rôles. C’est pour ainsi dire une fausse bonne idée. J’irai même jusqu’à dire que, s’il n’est peut-être pas indispensable d’en interdire absolument l’usage, il convient d’aborder le problème de la fausse piste avec une prudence et une minutie de joailler. Il y a plusieurs raisons à cela. D’abord, songez que vous rajoutez en l’espèce une seconde enquête qui prend autant de temps que la première aux joueurs.
Ensuite, il est déjà bien difficile d’amener les joueurs à faire les déductions qu’ils sont supposés faire sans en rajouter. Réfléchir non seulement à des indices en pagaille, mais à plusieurs manières de les interpréter, c’est un travail de titan. Et c’est parfaitement inutile : les joueurs vont presque certainement s’en occuper pour vous, simplement en se trompant. Remplissez votre scénario d’une multitude d’indices pointant tous irrémédiablement vers le même tueur, ça n’a aucune importance.
Je peux vous garantir que les PJs soupçonneront au moins trois autres personnes avant le vrai coupable. Il faut bien comprendre que beaucoup de joueurs sont comme Columbo et non comme Poirot. Là où Poirot va où les faits lui disent d’aller, Columbo s’attache tout d’abord à une conclusion après un faisceau d’indices minimal et aucune autre preuve que son intuition, et la poursuit sans en démordre, harcelant un pauvre quidam jusqu’au bout.
Ce n’est que par le bon vouloir des scénaristes que Columbo arrive toujours à la bonne conclusion sans aucune preuve à l’appui… à moins que vous ne désiriez changer le coupable en fonction de la personne que vos joueurs poursuivent (c’est possible, mais difficile, le seul avantage étant que vous pouvez laisser les joueurs établir la théorie pour vous), je vous conseille d’essayer de dissuader vos joueurs de suivre ce qui est, justement, une fausse piste.
Il peut être extrêmement compliqué de faire lâcher leur théorie fumeuse à ce genre de roquet. Un PJ qui tient une fausse piste qu’il a monté de toute pièce ne la lâchera pas à moins d’avoir une preuve formelle que ce n’es pas la bonne. Par exemple, les PJs arrêtent leur suspect, et les meurtres continuent tout de même. Ou la personne a un alibi. Ou elle n’a pas matériellement la force nécessaire pour porter un coup aussi mortel.
Et encore : les PJs sont très attachés au fait de faire comme dans les romans, ou le détective ne se trompe que rarement et trouve la solution du premier coup. Tout le monde veut être Holmes, personne ne veut être Lestrade qui arrête le mauvais suspect, même s’il prouve son innocence par là même. Certains pousseront le vice jusqu’à croire à un complice ou un « copycat », à un faux alibi, ou à un appareil à poulies démultipliant la force du suspect.
Et après tout, si c’est une théorie aussi créative, elle est peut-être meilleure que votre intrigue…
Non, vraiment, rajouter des fausses pistes et du suspense là-dedans, c’est comme faire boire les joueurs avant de les faire conduire.
En guise de conclusion : rien ne résiste aux joueurs.
Vous avez mis en place un scénario en béton, plein de multiples chemins pour arriver à votre solution logique et astucieuse, chaque étape balisée par de douzaines d’indices possibles, certains facultatifs, d’autres impossibles à manquer. Aucun jet de dé n’empêche les joueurs d’arriver à bon port. Vous avez deux plans de secours pour replacer la locomotive sur les rails. Vous avez prévu un joker au cas où, avec une scène de combat pour égayer un peu.
Vous avez tout prévu. Il ne peut plus rien vous arriver d’affreux maintenant… Dés le moment où vous pensez à cette phrase, vous êtes maudit. Et le pire c’est que vous le savez. C’est la loi de Murphy. Tout ce que je peux vous recommander c’est de ne jamais faire de « passage obligé », de toujours prévoir plusieurs solutions, plusieurs chemins pour aller au même endroit. Ne bloquez rien derrière un jet de dé, et bannissez les mots « rien d’intéressant »…
D’une manière générale, plutôt que de donner le conseil « faites un jet de dé chaque fois que quelqu’un peut échouer une action », je préfère celui-ci : ne faites un jet de dé que si l’échec rend l’histoire plus intéressante.
Oui, même en combat. Pas la peine de lancer les dés contre le petit kobold tout seul si vous êtes niveau 8.
De la même manière, si vous n’avez pas de jet à faire mais qu’un échec peut être drôle ou faire avancer l’histoire, lancez les dés. Si vos joueurs sont coincés, profitez d’un échec critique anodin pour les faire tomber tête la première sur tel ou tel indice, leur faire rencontrer tel ou tel PNJ, et ainsi de suite. Tel PJ tombe ? Il est nez à nez avec un papier froissé sur le sol… Il se casse une dent ? L’infirmier a justement une information sur un ex patient… C’est marrant, et c’est un indice de plus.
Ah, autre chose: En Fantasy, notamment dans D&D qui n’est pas du tout fait pour ça, il existe le sort “communication avec les morts”, le sort “lecture des pensées”, “clairvoyance”, et ainsi de suite. Il n’est pas loisible, à mon avis d’interdire l’usage de ces sorts simplement pour un scénario: s’ils existent, c’est qu’on peut s’en servir. Soit vous les interdisez pour TOUTE la campagne, SI vous avez une vraie raison, soit vous les autorisez.
Non, ce qu’il faut faire c’est en tenir compte. Un meurtrier intelligent l’aurait fait, lui… Par exemple en ne se faisant pas voir de sa victime, afin que, même morte, elle ne puisse pas certifier qui l’a tué. Par exemple, en brûlant le corps de ses victimes pour prévenir toute nécromancie. En portant un masque pour éviter d’être reconnu, même seul dans une pièce. C’est comme prendre des gants pour éviter les empreintes.
Il n’y a rien de bien différent des précautions que prennent les meurtriers modernes.
Peut-être davantage que pour n’importe quel autre type de scénario, il faut écouter les délibérations des joueurs. Parce qu’ils délibèreront davantage, partageant chacun théories, hypothèses et indices, d’ailleurs pas toujours dans le rôle de leur personnage. Profitez-en pour cocher les indices de vos listes et savoir exactement où ils en sont. S’ils pataugent, faites arriver quelque chose qui les remette un tant soit peu dans la bonne direction, ou qui renforce un sentiment d’urgence.
Je pense sincèrement que le plus grand secret pour faire un scénario d’enquête, c’est qu’il n’y a pas de secret. Il s’agit d’un exercice difficile entre linéarité totale (il n’y a après-tout qu’une seule fin possible à ce type de scénario) et ouverture style grand-écart à la Van Damme (les PJs doivent avoir le champ complètement libre pour y arriver, et tout doit pourtant pointer dans la même direction). Il faut juste tenir les joueurs assez longtemps pour éviter un crash total.
Prévoyez tout ce que vous pouvez, sachant fort bien que dans le meilleur des cas, les joueurs suivront quelques pas de ce chemin-ci, sauteront vers le chemin voisin, auront une intuition aussi fulgurante que mauvaise qui aura l’avantage d’innocenter l’un des suspects, puis reviendront sur leurs pas pour réinterpréter les indices de manière absurde mais géniale, et trouveront le fin mot de l’histoire grâce à un truc auquel vous n’aviez pas pensé, confirmé par un PNJ que vous n’aviez pas écrit.
Plus que tout autre type de scénario, le scénario d’enquête est celui ou il y aura le plus de « déchet ». Vos PJs n’auront jamais besoin de trouver tous les indices ou d’interroger tous les suspects, ou de poser toutes les questions prévues à chaque suspect. Tout cela partira au panier une fois le scénario fini : c’est trop spécifique pour être recyclé dans une autre intrigue. La tentation est grande d’écrire chaque témoignage de PNJ, au cas où. C’est chronophage. Mais le résultat est gratifiant !
Ils se peut, bien entendu, que vos joueurs soient très calmes et intelligents, et passent par tout ce que vous aviez prévu au départ sans sourciller… il se peut, oui, que tous ces conseils soient en vain. Cela arrive si vous les connaissez vraiment très bien. Mais soyons sérieux, ça fait des années que je joue avec certains de mes amis, je ne les ai pas encore vu résoudre une enquête sans aide. Et les amateurs de policier ? Ce sont les pires. Ils ont déjà des idées préconçues pleines de clichés.
Quel que soit votre groupe, chaque chemin prévu, chaque nouvelle question, chaque coup de pelle que vous aurez donné par avance dans le creusement éternel et titanesque de votre univers est une sécurité de plus, un confort de plus pour votre esprit d’improvisation, et un chemin nouveau vers ce qui importe le plus : la satisfaction de toute la table.
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