Régler le problème de la violence

Où Mucius, qui apprécie la liberté de choisir d’être violent même quand ce n’est pas nécessaire en JdR, mais aussi celle de chercher par tous les moyens à ne pas l’être même et surtout lorsque cela n’est guère évident, parle de violence systémique en JdR… celles que nous employons tous constamment et que nous encourageons sans le vouloir, en termes de codes, de règles et d’idéologie.

Le JdR a un problème de violence. C’est un message digne d’une « intervention », de ceux qui cherchent à faire prendre conscience qu’il faut aller se faire soigner chez un addictologue… le ton est sérieux, du style « Diantre, mais pensez aux enfants qui jouent à ces horreurs ! ». Point n’est besoin d’être aussi dramatique : il vaut mieux que la violence reste dans le jeu et pas dans la réalité, et les gens font généralement très bien la différence, comme avec les jeux vidéo !

Dans presque tous les JdR « mainstream », il est porté une attention toute particulière au combat. On parle de « système de combat » séparé du reste du jeu, il fait l’objet de mécaniques supplémentaires et on lui donne un poids conséquent dans la narration. Il est là constamment, c’est un recours facile, mis en évidence par ses règles touffues dont il faut assez souvent vérifier les points précis, et dont les marqueurs occupent une grande partie de la feuille de personnage.

Même quand le système pour faire des attaques est le même que pour toutes les autres compétences (Vampire, l’Appel de Cthulhu…) les compétences et pouvoirs de combat sont fort nombreux, et il existe un système dédié, différent, pour les blessures. D&D, toutes éditions confondues, est le champion toutes catégories là-dessus : pendant longtemps, le système de combat a été l’intégralité du jeu, et les compétences (au système encore simplifié et riquiqui) n’ont été ajoutées qu’après coup.

Héritage du wargame, D&D, le premier jeu de rôles, a marqué tous les autres : le combat y est le principal outil de résolution de conflits dans le jeu. L’avancement, l’accroissement en puissance dans la plupart des jeux, reste le fait de tuer des adversaires. La mesure de cette puissance, c’est tuer plus et mieux. AD&D a commencé par donner des points d’expérience en fonction des adversaires tués (et c’est encore le moyen principal de progresser en niveau), et même, pendant fort longtemps, des pièces d’or acquises !

Le vol et le meurtre, souvent infligés à des êtres sauvages (bien que clairement intelligents et souvent dotés d’un langage) dans des contrées reculées par un petit groupe d’explorateurs aux idéaux similaires, la destruction et l’éradication de la société de ceux qui « terrorisent » les populations humaines (à 99% européennes et blanches) s’étant étendues jusque-là. Voilà ce qui était présenté comme le seul moyen de devenir plus puissant. Un idéal colonialiste s’il en est.

Même si les choses se sont beaucoup améliorées et que de nombreuses façons de jouer sont aujourd’hui possibles, voire encouragées, le système est là, les codes aussi. Encore une fois, je ne veux pas moraliser… on a le droit de jouer à ça, je le fais avec joie : on fait des tas de choses en JdR qu’on ne ferait heureusement pas dans la réalité ! Mais il faut en avoir conscience, et connaître les clichés qu’on véhicule sans s’en apercevoir.

Plus profonds encore que les clichés, je pense même que D&D recèle un noyau dur de phénomènes psychologiques étonnants, du fait de définir les gens en les comparant en termes de valeurs chiffrées et en les classant pas profession, à l’obsession du contrôle sur la mort. Obsédé par le fait d’infliger des dégâts et d’en encaisser, le jeu possède aujourd’hui non pas un, ni deux… mais SIX jauges et systèmes différents pour savoir si un personnage risque de mourir et combien il en est proche !

Pour les curieux, ce sont les points de vie, les « jets de la mort », les jets de sauvegarde, la classe d’armure, le « second souffle » et la récupération par le repos, et enfin les éventuelles manœuvres de combat (évasion, etc.), objets et sorts de protection qui ajoutent encore une couche à tout ça, dont la possibilité de revenir à la vie par rien moins que TROIS sortilèges de résurrection différents (Rappel à la vie, Réincarnation et Résurrection). Et vous n’avez aucun malus si vous êtes juste blessé.

Quand je vois des systèmes avec juste « vous êtes blessé » et « vous êtes mort », voire des jeux ou la mort reste entre les mains du joueur et un aspect mineur de la chose… Quand je vois des jeux de plateaux anticolonialistes (Spirit Island, par exemple, dans lequel les esprits indigènes doivent défendre une île contre des conquistadors blancs) je trouve que tout ça sent un peu la fragilité de la masculinité et de la blanchitude, si vous voulez mon avis. Mais passons.

La violence est au cœur de Vampire (on en a déjà parlé), de l’Appel de Cthulhu, de Shadowrun, d’Exaltés, de Warhammer (c’est dans le titre !) et de quantités d’autres jeux, indépendamment des clichés et idéaux poursuivis.

Bref… Le JdR, et particulièrement les « grands », a un problème de violence. Comment le résoudre ?

S’inspirer d’œuvres qui ne glorifient pas la violence

Le problème vient en partie des genres, des œuvres et des styles que le JdR émule. A 99%, l’image du JdR, ce sont des hommes blancs hétérosexuels (nains, elfes ou autres) qui combattent des orques et des dragons. C’est à l’image de la Fantasy, dont beaucoup ne voient que le haut de l’iceberg (enfin… ça reste quand-même un iceberg dont la partie cachée, celle qui ne traite pas des mondes de style médiéval européen ne demandant que peu de recherches, est assez petite. Mais passons…)

Et cela ne prend pas en compte les autres genres littéraires, pourtant bien présents. D’accord ou pas avec ce genre de chose et ce que ça reflète du JdR, la plupart des jeux sont plutôt portés sur l’action et les genres qui la glorifient. Les médias glorifient déjà la violence comme le moyen que la fin justifie toujours, et l’applaudissent, même et surtout comme le dernier recours d’une personne désespérée, ce qui blanchit tous les personnages, à tort ou à raison.

J’ai déjà parlé dans mon article sur les clichés de cette violence omniprésente… Je ne peux que citer Daredevil, dont la série continue comme si de rien n’était sur Netflix alors qu’il ne fait globalement que tabasser des petits malfrats au lieu de les traîner en justice (il est avocat dans le civil, pour rappel), qu’il rend coup pour coup, et qu’il laisse tuer un enfant, en toute connaissance de cause, à l’épisode 6 de sa première saison, sans même punir le coupable (qui n’est-autre que son mentor).

La Fantasy et la Science-Fiction, quel que soit le média employé, ont tendance à accentuer un recours incessant à la violence qu’on ne se permettrait pas dans un univers contemporain dépourvu de fantastique : elle y choque moins. La Fantasy est particulièrement adepte de la violence, surtout récemment, lorsqu’elle cherche à rendre ses trames narratives « épiques » ou à leur conférer plus d’authenticité. La violence est souvent un recours facile pour provoquer l’émotion et le choc.

N’ignorons pas l’exemple le plus évident : Game of Thrones, en livre ou en série, décrit la dure vie des pauvres innocents piégés dans l’enfer de la guerre civile sur le continent de Westeros, tout en glorifiant la violence, pourtant cause de tout ceci, comme ultime solution. Nous sommes horrifiés par la famille Frey lors des événements du fameux « Red Wedding », et nous adorons les détester, mais cela ne nous empêche pas d’applaudir lorsque Daenerys déchaîne ses dragons sur des esclavagistes !

Fort heureusement, un gros travail a été accompli sur ces questions. Tolkien lui-même, qui inspira largement tout ce bazar, n’y était pas étranger, en tant que classiciste et que vétéran de la Somme, même si ceux qui sont venus après lui ont préféré parfois s’inspirer des valeurs nauséabondes de Robert Howard, père de Conan, pour pas mal de choses. Toujours est-il qu’il existe de nombreuses histoires plus calmes qui offrent des approches différentes à la résolution de conflits.

La plus récente série de Battlestar Galactica est l’exemple d’une telle réflexion : reboot d’une série manichéenne, blanche et viriliste, elle comporte un casting varié. Les héros de l’histoire ne sont presque jamais en position de force. Leur usage de la violence est presque toujours défensif, et la série interroge constamment le téléspectateur sur les dégâts qu’engendre le cycle de la violence… allant jusqu’à demander si une telle humanité mérite de survivre.

Sans aller chercher des œuvres aussi complexes ou aussi sombres, il existe de nombreux exemples d’univers, ou simplement de tons ou de thématiques, qui ne font pas l’apologie de la violence. Cherchez les livres, les séries, les films, où la violence n’est pas le moyen inévitable de résoudre les désaccords… les mots, les compétitions sportives ou autres, l’économie, la loi, la psychologie, l’intelligence de faire, comprendre et déjouer des plans complexes, autant d’options intéressantes.

Cherchez les œuvres dans lesquelles la violence, lorsqu’elle apparaît, est effrayante et indésirable. Cherchez les œuvres ou les gens se battent autrement : contre la maladie, contre la pauvreté, contre le destin, contre un désastre, contre quelqu’un d’autre mais sans chercher à tuer qui que ce soit… cherchez des œuvres qui mettent en avant la coopération, les gens qui ont le beau rôle au lieu d’être contraints de mal agir, les bonnes relations, le fait d’épargner son ennemi.

Ces œuvres ne sont pas rares, pour qui sait les trouver. La série Star Trek : La Nouvelle Génération en est une (et il existe justement un JdR basé dessus). Les sitcoms positives, qu’elles soient vieilles et problématiques (Big Bang Theory, Seinfeld, Friends), romantiques ou pleines de dilemmes moraux (Urgences, Docteur House), font rarement appel à la violence, même quand elles s’attachent à la mort elle-même (Dead Like Me, The Good Place). Elles feront d’excellents cadres de jeu.

Il ne s’agit pas de se débarrasser de tous les codes que vous aimez, mais d’y réfléchir. Vous pouvez jouer à D&D5 en mettant l’accent sur le système des compétences et des traits de personnages, et des situations « hors combat » ou les PJs combattent l’environnement, enquêtent, coopèrent, mènent des intrigues… la violence peut très bien être présente, mais au second plan, comme dans les genres de Fantasy plus politiques, ou dans lesquels les héros ne sont pas des combattants.

Ancrez les protagonistes dans une vraie communauté

La clé, ici, est de faire sentir aux joueurs que leurs personnages… qu’eux-mêmes, en fin de compte, ont des attaches sérieuses dans l’univers de jeu. Il est très facile de brûler un village et de piller tout l’or quand le forgeron n’a pas fabriqué son épée +5 assez vite. C’est beaucoup plus difficile de brûler le village ou l’on a vécu quelques mois, avec l’aubergiste qui connait votre boisson préférée… bref, facile de brûler du carton-pâte, beaucoup moins d’incinérer un personnage vivant.

Bien plus efficace que de punir les « mauvais élèves » à votre table en les mettant en face des conséquences judiciaires de leur violence (souvent, d’ailleurs, en les mettant face à une forme de violence plus forte), brisez le cycle. Trop souvent, les héros d’une partie sont les seuls personnages à qui on donne un pouvoir sur la narration, avec, éventuellement, les méchants qui doivent être leur égal sur le terrain. Les autres PNJs sont des outils narratifs plutôt que des individus.

Mécaniquement et narrativement, donnez du poids à vos PNJs, présentez-les correctement (si on vous en laisse le temps) … vous ferez déjà beaucoup pour limiter la violence envers eux à la table. J’ai déjà maintes fois parlé de ce problème de « murderhobo », qui est plus souvent un problème de joueur que de personnage, et plus souvent un problème de MJ qui ne fait pas ce travail narratif et émotionnel. Il faut encourager les joueurs à penser que les PNJs sont des gens.

C’est plus facile à dire qu’à faire, évidemment, puisque ce ne sont pas des gens, mais des marionnettes contrôlées par un seul esprit… que ce SONT des outils narratifs, en fin de compte. Donnez-leur des motivations, une vraie économie, des intérêts et une histoire, comme je vous l’ai moi-même enseigné dans beaucoup d’autres articles, faites-les réagir en conséquence, et vous donnerez à vos PNJs autant d’outils qu’ils pourront utiliser narrativement, comme de vrais personnages.

Si vous environnez les PJs de « véritables » personnes, de gens intéressants, ils cesseront probablement de vouloir les dominer, et iront quérir leur aide. Mettez ne avant le fait que se fier aux autres, que la coopération, est un moyen d’obtenir ce qu’ils veulent et d’aller au bout de l’histoire. Soulignez, mécaniquement et narrativement, combien les héros ont besoin de l’aide des autres, leur rôle au sein de la communauté qu’ils peuvent aider, et ils verront que la gloire partagée n’en est que plus grande.

Il faut, je pense, tenter de s’éloigner du fantasme de puissance, de tout dominer, de tout contrôler, même si c’est difficile pour tout le monde et qu’on n’a sans doute pas à complètement laisser tomber ce genre de chose (nous sommes après-tout dans un jeu qui doit rester plus attrayant qu’une vie ou nous contrôlons, au fond, si peu de choses). Cela ne doit, en tout cas, pas être le seul objectif du jeu… voire pas l’objectif du tout.

Dans Marvel : Super Heroes RPG, la progression des personnages passe presque complètement à la trappe. Si le jeu est bel et bien un fantasme de puissance, les PJs ne gagneront guère, en guise de nouveaux pouvoirs, que de nouvelles manières d’utiliser ceux qu’ils ont déjà, à l’image des héros en quadrichromie ! Le travail d’équipe est aussi mis en avant. Aucun héros ne peut tout faire tout seul, et il doit se reposer sur les autres membres de son équipe d’Avengers ou de X-Men.

Enfin, tentons de « déconstruire » le voyage du héros en tant que sacro-sainte grille de lecture à laquelle il faudrait chercher à adhérer obligatoirement, ou, surtout, littéralement. Elle n’est que cela : une grille de lecture parmi d’autres. Le héros n’a pas à être entièrement coupé de son monde, il n’a pas à être seul, et « terrasser le dragon » peut tout à fait être une métaphore pour une tâche n’impliquant aucune violence : une victoire contre ses propres faiblesses, une nouvelle amitié en dépit des obstacles.

Impliquer les héros dans le monde, leur montrer qu’ils sont exceptionnels mais qu’ils y ont leur place, qu’ils n’y sont pas seuls, voire même que les « simples mortels » peuvent participer à sa quête et l’aider sans avoir besoin d’être mentors, tricksters ou autres, va à l’encontre d’un des codes principaux du voyage du héros qui décrit le fait que le héros ne peut jamais vraiment rentrer chez-lui, que tout est changé et qu’il est alors à la fois « plus » et « moins » que les humains normaux.

Cela permettra de montrer aux héros que, s’ils sont meilleurs, ils n’ont pourtant pas une plus grande « valeur » que les autres vies… celles de leurs adversaires comprises. Qu’ils ne sont pas les seules pièces mobiles, mais qu’ils font partie d’un monde aussi complexe qu’eux. Que les adversaires ont simplement un point de vue différent. Que la diversité des points de vue est une meilleure base pour de meilleures histoires… que la loyauté y est plus importante, que la trahison y fait beaucoup plus mal.

Décolonisons !

Dans la plupart des jeux, surtout les plus anciens, la « carotte » qu’on tend au joueur dépend, on l’a déjà dit, d’une idéologie colonialiste : tuer les ennemis, prendre leurs possessions, parce qu’ils sont « différents et mauvais par nature ». L’Appel de Cthulhu est tout à fait xénophobe, comme Lovecraft l’était, et l’horreur y est toujours associée à l’altérité. On n’y est guère encouragé à comprendre les motivations « insondables » mais toujours néfastes des Grands Anciens.

Si les jeux les plus récents ont pris des mesures parfois drastiques pour s’éloigner de cet idéal par des conseils de jeu et des univers plus nuancés, le jeu reste neutre au sujet de la violence, laissant (et pourquoi pas) cette liberté. Peu de jeux punissent activement le recours à la violence comme Star trek Adventures (encore lui !) dont le système offre un surcroît de Points de Menace utilisables par le MJ lorsque les PJs menacent ou emploient la violence en premier lors d’un conflit !

Dans D&D5 comme dans la plupart des dernières éditions des jeux mainstream, comme dans 99% des jeux actuels, les joueurs sont récompensés (en XP ou autre) pour avoir résolu le problème, fait le scénario, effectué des jets de compétences (comme à l’Appel de Cthulhu) ou été victorieux d’une façon ou d’une autre… ceci peut, ou non, à la discrétion du groupe, inclure la violence. Mais si la trame de l’histoire et les codes de l’univers suivent encore des représentations « colonialistes », que faire ?

Cela renforce encore les mêmes idéaux, et les joueurs, avec toute la bonne volonté du monde, ont encore les mêmes réflexes… J’en ai eu un exemple pas plus tard que la semaine dernière, lorsqu’un de mes joueurs de Star Trek Adventures a tenté héroïquement de résoudre une prise d’otage par la violence, sans vrai plan… risquant la vie de dizaines d’otages, et ce en dépit du mécanisme mentionné plus haut ! Les vieilles habitudes ont la vie dure.

Privilégiez les jeux et les univers qui déconstruisent spécifiquement la mentalité colonialiste, qui présentent toutes les « races intelligentes » comme égales et ayant le choix du bien ou du mal, qui, à défaut de punir la violence ou de récompenser spécifiquement les actions non-violentes, permettent une liberté d’action dans la résolution des conflits… commencer par un jeu qui n’a pas un système spécifique pour le combat, c’est déjà un bon début.

Avoir un jeu qui encourage les PJs à engager la conversation et trouver des points communs avec les « ennemis potentiels », ce serait bien. Un jeu qui prenne en compte le stress mental ET physique (FATE) et ou le combat est une compétence au milieu des autres (Cthulhu). Qui possède un système pour faire diminuer, par divers jets de dés, le niveau d’hostilité des adversaires (et Donjons et Dragons en a un, depuis AD&D… vous voyez, tout n’est pas tout noir ou tout blanc !).

Tentez un jeu dans un cadre ou les gens sont diversifiés en termes de genres et d’ethnies (vous pouvez le faire avec TOUS les jeux… que dis-je, vous DEVRIEZ le faire avec tous les jeux !). Mettez en avant la culture des gens sans exotisme à peu de frais ni appropriation culturelle. Engagez les PJs dans des histoires qui ne suivent pas les codes du colonialisme, comme aider un état militairement moins puissant à rester souverain, aider des esclaves à se libérer plutôt que les libérer soi-même…

Sans aller jusqu’à faire de vos parties une estrade depuis laquelle vous donneriez vos homélies moralisatrices, évitez les clichés, ou jouez-en. En bref, utilisez le JdR pour ce qu’il peut faire de mieux : favoriser la coopération entre les joueurs, et les laisser se creuser la cervelle pour accomplir des objectifs positifs qui mènent à des situations gagnant-gagnant plutôt que pour « gagner » au détriment d’autrui ou poursuivre des buts égoïstes.

Je pense que, sans forcément aborder directement le sujet avec de gros sabots ni punir qui que ce soit à la table de jeu, et sans aller jusqu’à être virulent et tout défendre tout le temps face à tout le monde, un jeu a besoin d’être explicite à ce sujet. Les dégâts de telles mentalités, bien que réels et n’appartenant pas toujours au passé, ne sont pas enseignés à l’école, ou mal. On les sous-estime. On minimise l’impact de la violence, quelle qu’elle soit, présentée comme légitime et positive.

Tout le monde en pâtit, même les joueurs les plus intelligents peuvent se laisser aller. Le message de D&D5 quant à l’inclusion de personnages et de joueurs de tous les genres et de toutes les orientations sexuelles, y compris par des actes comme des images et des scénarios, c’est important. L’inclusion totale de tout le monde dans un monde post-colonialiste et post-féministe aussi. Un jeu indépendant, libertin et libertaire, tel que Friponnes RPG, c’est porteur d’espoir.

Si on a la liberté de ne pas aborder les problèmes comme la violence omniprésente en JdR et toutes les luttes convergentes, si le JdR peut être un espace « sûr » ou on peut discuter de tout ou choisir de ne pas en parler, ou chacun peut et doit se sentir libre et rasséréné en tant que joueur pour mieux entrer dans l’univers du jeu, alors on doit avoir la liberté de ne pas recourir à ces méthodes et idéologies qui sont, dans la réalité, malsaines. Ou d’y recourir, mais en connaissance de cause.

Le jeu Star Trek Adventures, qui a trois systèmes pour les défis de compétences, plus un pour simuler la méthode scientifique, et un seul (beaucoup plus simpliste) pour le combat, et qui donne des points supplémentaires au MJ pour mettre des bâtons dans les roues des PJs lorsqu’ils emploient la violence sans y être obligés ? Oui, moi, ça me convient plus qu’un jeu comme The Witcher RPG qui a des règles spécifiques pour le racisme ou pour savoir si votre ennemi a une plaie aspirante au thorax !

Des jeux narrativistes tel que Fiasco ou autres, sans meneur de jeu, qui mettent toutes les voix sur un pied d’égalité, les jeux comme FATE qui donnent le pouvoir narratif à chaque joueur quant à son personnage et ce qui lui arrive, des habitudes et des règles comme la « Carte X de la Sécurité », des prétirés non genrés, des personnages dont les genres et les origines sont équilibrés ou tirés au hasard, des « safe spaces » comme la Queervention… tout cela peut être utilisé à bon escient.

Il existe des jeux comme Star Crossed, ou deux joueurs vivent une romance contrariée sans que la violence soit de mise ou qu’il y ait obligation d’assassinat tragique… comme Good Society, ou l’univers à la Jane Austen fait que la violence physique, lorsqu’elle se produit, est toujours « hors champ », et ou le thème du racisme est complètement absent… comme My Little Pony, ou l’amitié triomphe dans la niaiserie pour le plus grand bonheur des « joueurses », comme on dit maintenant. Jouez-y.

J’ai étendu mon propos à d’autres choses qu’à la violence physique, mais c’est le nœud du problème. C’est un problème réel parce qu’elle est systématique… systémique. Elle nuit à la variété et à la profondeur des parties, et parce que si on ne joue que comme ça, personne ne pourra dire que le JdR enseigne la « planification » à part pour plus de cruauté, le « vivre ensemble » au détriment de la masculinité toxique ou des valeurs colonialistes, et la « résolution de problème » autrement que par la force.

Il ne s’agit pas d’interdire aux gens de massacrer des kobolds au quintal ou d’incarner un vampire pédophile si ça leur fait plaisir. Mais quand cela devient la seule option, au point que les « jeux de rôles » sur ordinateur et consoles, pourtant inspirés de leurs ancêtres sur table, ne sont que des suites d’instances de combat, au point que la seule réputation du JdR chez les non-joueurs n’évoque aucune émotion, aucune situation hors-combat… il est temps de proposer autre chose.

Jouons en toute conscience, avec les codes que nous voulons, pas sans réfléchir avec des codes qu’on nous impose.

  1. Article édifiant. Difficile en effet de sortir de ce carcan génocidaire ou de considérer comme “héros” un groupe d individus ayant sans doute rayé de la surface du globe plus d’êtres vivant que l ensemble des cultistes réunis. J essaye, dans mes scénarii d inclure d autres voies de résolution, de donner toujours plusieurs voies de sortie pour une opposition. Ainsi, en fonction des choix de mes joueurs auront (presque) toujours des possibilités d avancer dans l histoire. Cela complexifie l écriture et chaque fin de scénario modifiera ceux qui étaient prévus par la suite en fonction des choix réalisés en jeu mais j aime pouvoir offrir ce choix.
    Merci pour ces articles qui, d une part, m ont permis d envisager l’écriture et mes univers d’une manière plus approfondie et moins conventionnelle et, d’autre part, m’ont donné suffisamment de matière pour oser faire jouer ce que j’ai écrit, ce que je n’aurais jamais osé faire auparavant.

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